Une petite mésienne …
À chaque âge sa pratique.
Longtemps j'ai conservé le souvenir douloureux de ce moment que nous imposait la sœur Vincent au sortir du repas méridien. Nous nous retrouvions dans le grand dortoir, les rideaux tirés sur une clarté qui ne parvenait pas à totalement se faire oublier. La monitrice arpentait les couloirs, prompte à débusquer les bavardages ou nos innocentes occupations prohibées. Il convenait de respecter ce temps de pause et si possible de se laisser aller à un sommeil réparateur. Il est vrai que nous nous dépensions sans compter le reste du temps.
Nous savions alors que les plus grands étaient exonérés de cette corvée ce qui accentuait un peu plus encore notre rejet de la chose. Le signal du réveil nous surprenait parfois alors que, à nos corps défendants, nous avions succombé par inadvertance sans doute à cette injonction dont nous nous serions tous passés. La délivrance se manifestait par l'ouverture des rideaux, signal qui sonnait un branle-bas de combat incomparable.
Les années passèrent, la sieste ne fut plus qu'un lointain souvenir, jalonné par de petites pauses crapuleuses qui font le délice des jeunes couples ou des parenthèses enchantées. Les enfants arrivant, la sieste revint au programme, devenant pour les uns une évidence tout autant qu'une nécessité tandis que pour d'autres, elle se faisait contrainte accompagnée de palabres ou de menaces odieuses. Puis tout rentra dans l'ordre d'une vie laborieuse qui ne prenait pas le temps de prendre le temps.
La retraite soudain, imposa comme une évidence cette coupure qui fait le charme de l'absence de contraintes. D'autant plus nécessaire que votre serviteur est un lève-tôt qui après le déjeuner, éprouve l'impérieux besoin de couper quelques instants son rapport au monde des vivants et ses voyages cérébraux dans le monde textuel. C'est ainsi que volets clos, je me glisse dans les draps pour recharger la machine à rêveries.
La sieste se décline de bien des manières différentes selon les individus qui s'y adonnent. Les uns la subissent, surpris qu'ils sont en pleine digestion, assis sur un canapé, un livre à la main ou bien devant un écran soporifique. Ils se laissent emmener, tels que le sommeil les emporte pour un petit moment. Les autres se lovent sur une chaise longue, profite d'un coin ombragé en sachant qu'il ne leur faudra pas longtemps pour rompre avec leur conscience. Ils s'offrent une fugue champêtre avec la nature pour témoin.
Il y a les adeptes de la sieste estivale, sous un parasol au milieu de la foule. Alanguis sur le sable, les doigts de pied en éventail pour assurer une ventilation minimale, ils ferment les écoutilles, indifférents au bruit des vagues et des voisins de serviette. Un petit bain remettra la machine en route. Le hamac a aussi ses adeptes loin de la plage, ça va de soi ! Il suppose d'en posséder l'usage et d'en apprécier la pratique. Il demande le sens de l'équilibre tout autant que la capacité de s'extraire du quotidien. En cela, il s'adresse aux hédonistes purs et véritables.
Je ne rentre pas dans ces catégories heureuses et insouciantes. Ma sieste est souvent purement formelle. J'éprouve le besoin d'une coupure matérialisée par l'abandon de mes guenilles juste avant que de faire l'obscurité et de me glisser dans le lit. Le plus souvent c'est pour quelques pages de lecture près de la lampe de chevet avant que de tenter, souvent désespérément de trouver le sommeil. C'est une forme de répétition générale avant le coucher, un préalable à la seconde moitié de journée, un coup d'épée dans l'au-delà. J'en sors souvent déçu de n'avoir pas coupé totalement les ponts mais heureux de cette parenthèse comme une échappée belle avec le réel. Il suffit d'aller se rhabiller pour reprendre la danse, tant que la vie répond encore présent.
Le tumulte des amours orageuses est d'un passé révolu. La sieste se fait trop sage pour mériter de se nommer mésienne. Elle se contente d'être méridienne, une traversée en solitaire de la première phase digestive. C'est d'une banalité si désolante que ces mots couchés sur le papier au sortir de l'une d'elles ne sont pas de nature à lui redonner son lustre d'antan. Bonne sieste à vous.
Méridiennement vôtre.
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