À mon corps défendant
Mémoire d'avant tombe …
En hommage à la sortie du dernier livre de Daniel Pennac : Journal d'un corps.
Daniel Pennac a ouvert la voie, il faut que le corps s'exprime, dise enfin à haute et intelligible voix les mille et un tracas du quotidien d'une enveloppe corporelle qui se paie le luxe d'écrire un journal intime. Mon corps ne peut suivre au pied de la lettre la prouesse du maître, il va se contenter de lui suivre le train, de lui coller aux basques.
Un corps qui regrette sa peau lisse et ce temps bienheureux où il ne se distinguait pas en gras. Faute de caractère adéquat, il finit par trébucher sur ce clavier qui reçoit sa confession, le fond supplantera une forme, défaillante depuis si longtemps. Avant que d'offrir son corps à l'absence, il se retourne sur lui pour se raconter sans pudeur, se mettre à nu, ce qui va de soi !
Un corps qui pousse et repousse chaque jour les limites de l'impossible. Un corps qui s'envole, qui ne cesse de croître. Il grimpe comme une mauvaise herbe, il se découvre, s'étonne et détonne. Il agace et se tracasse. Il expérimente, il arpente, il s'oriente, se perd souvent et avance tant bien que mal pour finir par se libérer des corps qui lui avait donné la vie.
Un corps qui se vautre dans la luxure, les abus, les excès de toutes sortes. Un corps de déraisons, un corps fou de lui et des autres. Il exulte, il dévore, il court, il s'enflamme, il se disperse, il se moque de lui pour attirer les autres. Il s'offre sans compter et ne compte jamais ni ses efforts ni ses offrandes.
Puis un corps qui s'essouffle et qui se reproduit. Un corps qui se pose mais ne se reposera jamais, un corps qui s'unit à un autre qui recueillera le meilleur de ce qui lui reste et le pire de ce qui reste à faire. La fin d'un temps échevelé, le début des chutes capillaires, des bobos et des tracas. Il n'en a cure, le temps est encore à venir, il va de l'avant.
Un corps qui s'aperçoit que ses bourgeons ont quitté le nid. Il se retrouve seul avec lui même à voir poindre le début de la fin. Il refuse cet épilogue, il se fait surprendre par le démon de midi, belle illusion quand le temps commence à lui être compté. Le corps se moque des avertissements, il n'a pas la possibilité de s'écouter un peu. Il ne se ménage pas, déménage et se saccage.
Un corps à la recherche d'un alter égo pour un corps à corps final, bataille ultime des derniers soubresauts d'une vieille mécanique qui lui donna tant de plaisir au prix de bien plus de désagréments. Le corps aurait pu avoir encore sa raison, mais sa raison l'ignore, lui tourne le dos et lui fait la tête. La bête à deux dos devient alors un vague souvenir, une perte de soi-même et de sa virilité passée.
Le corps opine à l'évocation de ce merveilleux souvenir. Il s'alanguit sur ses souvenirs quand le diable avait pris possession de lui. Il trouve bien triste ce crépuscule austère et dégradant, cet abandon des victoires enfantines quand il avait su maîtriser ses fonctions intimes. Aujourd'hui il se répand, se laisse couler comme une épave en devenir lui qu'il l'est déjà.
Le corps en lambeaux, le corps médicalisé, le corps maintenu artificiellement en état de corps vacillant, il se décharne, se desquame, se vide, s'esquarre, se dévitalise, se décrépit dans un drame sourd. Il n'est plus que l'ombre de ce qu'il fut, ombre étrange privée à jamais de lumière et condamnée aux ténèbres.
Ce corps s'en ira à la tombe quand il ne sera plus du nombre. Il laissera derrière cette trace illusoire, ce reflet de mots dans le miroir de ses vanités d'alors. Il deviendra cendres, poussières de mots qui s'effacent dans les mémoires des autres. Il s'en ira bien après poser son point final à ce billet sans consistance, lui qui n'est désormais qu'un spectre !
Corporellement sien.
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