Bâiller de la semelle
Saute-mouton avec les pieds éponymes.
Il advint qu'un mycologue d'opérette décida par un jour de pluie d'aller battre les sous-bois à la recherche de pieds de moutons. La saison était propice même si les conditions l'obligeaient à se munir d'un harnachement conséquent. Qu'importe, dans la forêt les critères d'élégance et les canons esthétiques sont de bien peu d'importance.
De grosses chaussures de marche à longs lacets montants avec œillets et crochets pour parachever l'installation du pied dans sa gaine protectrice, des guêtres pour ne pas mouiller le bas du pantalon, un vêtement de pluie assez résistant et une casquette, le cueilleur était paré pour une récolte d'exception.
Le panier d'osier et le bâton de marche parachevait la panoplie tandis que dans la poche, une boussole veillait sur lui au cas, tout à fait probable, où il perdrait le nord (direction recommandée pour s'enfoncer dans la forêt d'Orléans). Rien ne pouvait plus lui arriver puisque pour une fois, il avait tenu compte des expériences précédentes… C'est du moins ce qu'il escomptait.
L'entrée en matière fut assez décevante. Les champignons répondaient certes à l'appel mais se plurent à n'exposer que ceux de leur espèce qui n'étaient pas comestibles. Les bons étaient sans doute passés à la casserole d'autant plus sûrement que nous étions un lundi, le jour le moins conseillé pour escompter une réussite.
Rapidement, le cueilleur se surprit à devoir lever la jambe alors qu'il n'était pas en galante compagnie. Certes, il s'était décidé au pied levé en dépit d'une météo des moins favorables mais de là à pratiquer une course d'obstacle, il y avait un pas qu'il franchissait allègrement. Il avait l'impression d'effectuer un exercice physique, montant sans cesse les genoux pour ne pas trébucher.
Il est vrai que le sol était jonché de branchages que les récentes tempêtes avaient semés de manière fort aléatoire. Ajoutons-y les ronces, les souches, les fossés, les creux et les bosses et ce sous-bois relevait de l'exercice militaire d'autant plus du reste qu'à peu de distance de là, résonnaient les détonations incessantes et frénétiques du champ de tir militaire.
Est-ce cet environnement anxiogène qui ne le fit pas regarder où il mettait les pieds et pourquoi il devait ainsi les lever plus que de raison ? C'est fort possible à moins qu'une fois encore, ce curieux personnage avait la tête ailleurs, ce qui justifiait qu'il resta bredouille en matière de champignon. Il s'enfonça suffisamment profondément dans le bois pour commencer à trouver le temps long, faute du plaisir de remplir son panier.
C'est alors qu'il vit que sa chaussure droite baillait d'ennui. Elle ouvrait grande la gueule sous la forme d'une semelle qui ne collait plus à ses basques. Voilà donc la raison de cette marche aérienne quelque peu épuisante. Il prit la seule disposition qui s'imposait puisqu'il bénéficiait de lacets à la longueur disproportionnée. Le couteau n'étant d'aucune utilité mycologique, il allait couper dans le vif afin de permettre de lier la semelle réfractaire.
La ligature effectuée, la marche sembla plus facile durant quelques pas avant que de redevenir pénible. La réparation de fortune s'était dénouée tandis que comble de malchance, l'autre semelle venait de se faire la malle. Le pauvre marcheur se trouvait ainsi en chausson dans un environnement hostile et qui plus est gorgé d'eau.
Les lacets furent de nouveau mis à contribution pour ligaturer des semelles qui sous les trombes d'eau n'avaient plus qu'une envie : se faire la belle. On ne s'attache guère à ses petits détails dans la vie courante mais une paire de semelles qui s'émancipent de la chaussure au cœur de la forêt, ce n'est ni banal ni commode. C'est ainsi que le malheureux revint à son véhicule avec une démarche des plus grotesques, son bâton donnant à penser qu'il se prenait pour une majorette. La sortie s'achevait dans le plus complet ridicule quand les deux semelles churent lamentablement à ses pieds, la réparation de fortune s'étant distendue sous l'effet de l'humidité.
À contre-pied
•••
Un godillot battait d'la semelle
Ayant l'intention d'aller d'un bon pas
Afin de quérir des chanterelles
Dans l'espoir d'un délicieux repas
•
La forêt lui proposa son couvert
Bien qu'il n'fut pas dans son assiette
Tout dans ce sous bois, trop de devers
Refrénait son allure guillerette
•
Se découvrant devant un champignon
La godasse libéra son pied
Tout en culbutant contre un chapeau
Le voilà dans un sacré gué-pied !
•
C'est ainsi que ce pied de mouton
Se fit obstacle infranchissable
Pour qui ne joue pas à saute mouton
Son épopée devint détestable
•
Baillant soudain de ses deux semelles
La chaussure désarçonna son marcheur
Croque en jambe d'une coulemelle
Se faisant passer pour un démarcheur
•
Des trompettes résonnèrent aux oreilles
Du ramasseur qui dut se ramasser
Celui qui venait de frôler la mort
Subit la perte de son panier
•
Soudain devenu traîne savate
Il lui fallut rentrer la queue basse
Tout en nouant avec sa cravate
Une semelle de guerre lasse
•
Pour la seconde, il prit un lacet
Pour fixer cette récalcitrante
Il s'en revint sans le moindre bolet
De sa promenade atterrante
•
Il frisait ainsi le ridicule
Puisqu'il rentra vraiment bredouille
Pas la plus misérable russule
Pour ce malheureux coquefredouille
•
Afin de sauver la face mit en vers
Cette misérable aventure
Avec des pieds, souvent de travers
Son poème tombait en platitude
•••
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