Novembre recèle son rite. C’est le troisième jeudi du mois : le Beaujolais nouveau. Chaque année, je murmure à l’oreille de mes chevaux : « c’est la dernière fois. Cette fois-ci, j’arrête ». Oui, j’arrête le Beaujolais nouveau, ce breuvage pour japonais en goguette, cette torpille du larynx, ce missile de l’œsophage, cette bombe à retardement du gros colon. Une grenade quadrillée dans la béance du cardia. Un missile sol-air dans le plexus solaire.
L’approche de l’été charrie son cortège de bonnes résolutions qui fleurissent dans les magazines féminins : perdre trois kilos à la taille pour que la bouée puisse faire son office en cas de noyade, chasser vergetures et cellulite au harpon, pour que la flèche de Cupidon puisse s’y ficher, comme la moule au rocher et l’oursin au casier.
De même, le jour de l’An, journée officielle récurrente des velléitaires, recense chaque année cinq millions et demi de promesses de sevrages tabagique, de retours dans les salles de sport, d’abandons des voitures puantes au profit de vélocipèdes salvateurs.
Promesses d’ivrognes.
Dès février, les gens sont de nouveau dans les bouchons, le bras à la portière terminé par une Gitane, l’air bag à la taille et le portable à l’oreille.
Novembre recèle aussi son rite. C’est le troisième jeudi du mois : le Beaujolais nouveau. Chaque année, je murmure à l’oreille de mes chevaux : « c’est la dernière fois. Cette fois-ci, j’arrête ». Oui, j’arrête le Beaujolais nouveau, ce breuvage pour japonais en goguette, cette torpille du larynx, ce missile de l’œsophage, cette bombe à retardement du gros colon. Une grenade quadrillée dans la béance du cardia.
Parce qu’au-delà de toute réflexion œnologique sur la rémanence de framboise, l’arrière goût de banane, la longueur en bouche, l’indigence de la cuisse, le pourpre de la robe, les lendemains de Beaujolais nouveau sont essentiellement caractérisés par des aigreurs pyloriques, des renvois en recommandé avec accusé de réception duodénal.
En ce sens, le Beaujolais nouveau est un breuvage philosophique. Il donne un aperçu compressé et raccourci de la vie : l’attente, la tentation, le plaisir bref, puis les remords et l’extrême dénuement de l’être humain devant son lavabo, aux heures pales de la nuit.
Le tableau est d’autant plus poignant qu’il est généralement accompagné d’une extrême solitude, éclairée par le seul flash chirurgical d’un néon de salle de bain.
La nausée au bord des lèvres, l’abdomen plié en deux, le sujet, renvoyé à l’ipséité de son être-là, abandonne toute idée de Sur-moi. Il prend conscience de l’absurdité de son passage ici-bas, de la fragilité et de la brièveté de la viande, du dérèglement imminent de ses tuyauteries. Un désenchantement viscéral.
C’est aussi une boisson sacrée. Sans préjudice du vin sacré et consacré par les Ecritures, la verdeur du breuvage et de ses effets secondaires sur le mortel renvoie à la compassion, au remord. C’est un avant-goût de la miséricorde, du purgatoire, le rappel que, le plaisir passé comme un météore, il faudra payer pour cela. Et que la rédemption n’est pas acquise.
Certains prient. Les plus vifs lancent quelques imprécations, des blasphèmes. D’autres trouvent la délivrance d’une main secourable dans la chasse d’eau de Jacob et Delafon. Tous jurent que s’ils se sortent de là, on ne les y reprendra plus.
J’ai juré, moi aussi.
Et pourtant, chaque année à l’orée de la Saint Nicolas, la queue basse et le regard triste, je rode comme un basset autour des magasins lie de vin dudit Nicolas. Tel le junkie cherchant une dernière seringue, un ultime garrot pour la route, je rode en novembre autour des cavistes comme le veuf esseulé au rayon porno des vidéoclubs.
Je jette des coups d’œil furtifs et circulaires afin de vérifier que je ne suis pas suivi, que personne de ma connaissance ne viendrait à perdre ses pas alentours, par un fâcheux hasard.
Et puis je rentre d’un coup, j’en commande un carton de six, très vite. Je paie en liquide pour ne pas laisser de trace, j’ai un bonnet noir enfoncé jusqu’aux yeux pour leurrer la vidéosurveillance. Je m’épargne le ridicule de la cérémonie du « goûtage » : habitué des Vosne- Romanée et des Nuits-Saint-Georges, j’évite l’affront de gloser bouquet de banane et fraises des bois avec un travelo habillé d’un tablier pour l’occasion et l’illusion.
Je rentre chez moi, je coupe le téléphone et ne répond plus à l’interphone. J’officie seul, comme il sied aux grandes déroutes et aux plaisirs solitaires. J’accompagne d’un pain au levain et au sésame, de quelques tranches d’andouille de gémenée saupoudrées de fleur de sel. Je finis d’une tranche de tomme de Savoie.
Pendant toute la cérémonie, je bois. Consciencieusement. Je bois longuement, pour oublier que je fume. Je bois au verre, dont les parois se tachent de larmes pourpres. Je regarde le niveau descendre, l’apaisement coule dans mes veines comme une perfusion, mais la plaie reste sans fond.
Oui, à mon Panthéon personnel et irrationnel, le Beaujolais nouveau figure ne bonne place, avec les chansons de Bashung, quelques prix décernés à des yeux gris, des draps poissés d’aube, le rire des enfants et les larmes d’un ami. Aussi le rictus figé de ceux qu’on visite le 2 novembre, sur la pierre froide et moussue du caveau, les jours où il n’y a même pas de vent pour agiter les fleurs.
C’est irrationnel, le Beaujolais nouveau.
Ca vient de loin, ça vient du blues.
Ca ne remonte pas que de l’estomac : ça remonte tellement loin que je me demande pourquoi j’en parle.
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J’aime aussi le Neier Siasser. Ce vin nouveau que l’on déguste en Alsace. On le boit idéalement en groupe autour d’une grande table garnie de noix, de lard, de pommes et de pain de campagne. Il n’est pas transportable. C’est à découvrir sur place.
Assurez-vous de l’emplacement des toilettes, il a d’étranges propriétés…
La nostalgie n’est plus ce qu’elle était, le beaujolais nouveau non plus...chaque année je crois au miracle , chaque année la même déception, même ce qu’on considérait comme une référence, le Georges Duboeuf, n’est plus qu’un méchant petit vin. Je me souviens de ma première expérience beaujolais nouveau, chez les frères Troisgros ,par eux sélectionné et servi en pichet d’étain, un délice et depuis on à fait pisser la vigne, fait craché au terroir ses dernières forces pour arriver à ce machin improbable... reste l’andouille de guéméné... moi je la marie avec un pure malt tourbé style Laphroaig, au moins ça, ça ne ment pas....
Touche pas à mon globo
Danger Malabar
T’es Beaujolais novo néo nasillard
Clichés sous le manteau
Ma nuit chez Homard
Touche pas à mon globo
Moulé le bâtard
Je reste en phares
L’ami d’Alain Bashung, le parolier de Bacchus est de retour.
Je ne m’attendais pas à ce que ce soit Jack qui relève l’allusion subliminale à « Beaujolais Növo », un titre ancien d’Alain (pas son meilleur, je l’admet, mais les madeleines...ça va se nicher où ça peut). La Suisse a donc ses esthètes, ses « Helvète Underground », comme chantait l’ami.
@Tall : je suis comme Elvire, ma chatte Chartreux : je suis indépendant, je vais où ça me plait. S’il y a trop de bruit dans la salon ou des têtes qui ne me reviennent pas, je change de canapé ou vais dans une chambre. C’est ce que j’ai fait. Le monde du Web est grand, les maisons d’édition aussi.
Je ne suis pacsé avec personne. Tout passe, tout casse, tout lasse, sauf le Beaujolais nouveau.
L’ est moulé comme une huître le Sandro , crache des perles en jactant .
Le beaujolais pour l’ apprécier à sa juste vertu c’ est après la troisième bouteille qu’ il dégage ses plus fines nuances , assis sur un banc près de la gare des voyageurs , tu regardes à travers le cul de la bouteille en même temps qu’ au goulot tu finis les dernières gouttes en lisant le panneau « Julie est une garce » lecture qui te fait oublier ton ivrognerie et que t’ es assis sur un banc devant la gare de Juliénas ...
Belle description de la dépendance ; on croirait lire la confession d’un junk... (lettré, of course)..
Si je puis me permettre, j’ai relevé ceci :
« En ce sens, le Beaujolais nouveau est un breuvage philosophique. Il donne un aperçu compressé et raccourci de la vie : l’attente, la tentation, le plaisir bref, puis les remords et l’extrême dénuement de l’être humain devant son lavabo, aux heures pales de la nuit. »
la vie, la vie .... comme vous y allez... disons une tranche de vie ; pas la plus goûteuse...
Se beurrer la cafetière au beaujolais nouveau ne peut être qu’une lamentable chose : soit il est, plus forte probabilité, de la pisse de vigne baptisée vin et c’est du masochisme, soit, rara avis, il est sincère et c’est du gâchis.
Et puis, ça fait arsouille, poète maudit et intello branché de faire l’apologie de la cuite, du joint ou de la ligne. Mais ça n’a jamais donné de talent à ceux qui n’en ont pas ni d’esprit à ceux qui voudraient en avoir.
Je m’étais pourtant bien promis de ne jamais revenir chez ces caves, mais tous les ans en novembre c’est la même sérénade avec ce beaujolpif que tu as honteux comme tout le monde ....
Le captain a prévenu Tony qui est venu avec moi pour te ramener à la maison où Madame Olga t’a déniché une petite ukrainienne avec tout ce qu’il faut pour te consoler ....
Quand tu t’arsouillais en douce chez le russkof on s’en foutait, parce qu’on sait que Léonid c’est un discret ...
Enfin quand même, en arriver à se péter au Duboeuf avec le Sisyphe, te rends-tu compte où tu es tombé ? Un coup à avoir besoin de Parcimony et Abonessian, avec des honoraires à trois mois de trottoir de Germaine rien que pour ouvrir le dossier.
Allez, on rentre, Tony est dehors au volant de la Merco
j’ veux bien qu’ on m’ enterre sous un fil de dix commentaires ,
Sandro , Snoopy Tall et Jack , patron encore une tournée des fois que sisyphe aurait par un instant de grâce , pour une fois la question que personne ne lui a posée la réponse .....
Pas la peine, Snoop, je suis déjà rentré. Et de moi-méme, comme toujours... Le Beaujolais nouveau est faiblement alcoolisé, il reste compatible avec un minimum de lucidité. On the road again, again...