Boucherie de Chevaline. Un bon début
En respectant scrupuleusement les règles de la dramaturgie journalistique dans une brillante introduction scénique, la « boucherie de Chevaline » a provoqué une effervescence médiatique qui nous renvoie aux plus belles heures des affaires Grégory ou Dominici.
En respectant scrupuleusement les règles de la dramaturgie journalistique dans une brillante introduction scénique, la « boucherie de Chevaline » a provoqué une effervescence médiatique qui nous renvoie aux plus belles heures des affaires Grégory ou Dominici.
De Paris à Londres, en passant par les locaux exigus des rédactions de la PQR*, l'espoir de voir feuilletonner la « tuerie des Alpes » est donc immense pour la presse. Les flashs spéciaux se multiplient, l'audience moutonnière monte en flèche, les journaux papier se vendent comme des jeux à gratter ; c'est déjà Noël en septembre.
Mais certaines conditions doivent encore être respectées pour garantir un authentique succès populaire, et permettre aux commerciaux de l'industrie de l'info de négocier à bon prix leurs plages de publicité.
...un rêve de Christophe Hondelatte
Au sein des rédactions une saine confiance règne actuellement autour du « buzz » provoqué par les quatre victimes tuées par balles à Chevaline, charmante localité de Haute-Savoie appelée à connaître une notoriété certaine. La règle des trois unités - temps, lieu, action - si prisée par les scénaristes de Vaudeville et les « journalistes » des chaînes télé est ici respectée à la lettre, comme dans un rêve de Christophe Hondelatte. Du pain béni pour renforcer l’efficacité théâtrale, rendre l’action plus dramatique et, surtout, pour maintenir sous tension l'intérêt du « public ».
Reconnaissons d'abord au(x) tueur(s) un incontestable sens de la mise en scène. L’unité de lieu est parfaite. Le crime se déroule en un endroit unique, isolé, pittoresque, affublé du nom improbable de « Chevaline » ; idéal pour une « boucherie ». L'espace scénique, à flanc de montagne et bordé de pins, dans un environnement naturel et sauvage, renvoie presque mécaniquement au film « Délivrance » de John Boorman, où des péquenots consanguins de Géorgie tuent et sodomisent Burt Reynolds et ses amis touristes venus de la ville (voir la vidéo du "duel au banjo", ci-dessous). D'emblée la porte est ouverte à toutes les spéculations, et à tous les fantasmes. Etonnant, à ce propos, que personne n'ait encore osé faire le rapprochement sur RMC ou BFM TV. La pudeur, certainement.
L’unité d’action du (ou des) assassin(s), relevée avec soin par les fins limiers de la télé, est, elle, captivante. Quatre morts, trois dans le véhicule, un en vélo, tous exécutés d'une balle dans la tête. Deux petites filles sauves mais incapables de parler pour l'instant. La « cohérence esthétique » de l’œuvre est parfaite, l’attention du cerveau disponible se concentre sur un seul événement et le suspense demeure. Pas de dispersion comme dans l'affaire Bettencourt, rien que du basique, un vrai bonheur pour le 20h de TF1.
Restait, pour parachever ce franc succès, à assurer la cohérence de l'unité de temps. Là aussi tout fut parfait. Le public s'est retrouvé témoin, prisonnier, des événements et des liaisons de scènes qui se déroulaient sous ses yeux ébahis. Entre l'annonce du carnage et le coup de théâtre de la découverte de la petite fille rescapée, il s'est écoulé 24 heures. Soit le temps nécessaire aux « cerveaux disponibles » pour ingurgiter une journée de publicité entre deux jités de 20 heures. Un rêve, on vous dit. Encore faut-il que ce « bon début » soit suivi de rebondissements qui permettent de tenir les spectateurs en haleine.
...alimenter le buzz
Car pour feuilletonner, David Pujadas vous le dirait, il existe des règles strictes. Avant toute chose, il est impératif que le coupable ne soit pas immédiatement découvert et livré à la justice. Ce serait trop bête. L'intrigue doit demeurer en constante évolution et se répartir sur plusieurs épisodes. C'est le travail des journalistes « de terrain », comme ceux de l'affaire Grégory qui ont successivement suspecté Bernard Laroche, Jean-Marie Villemin, un corbeau, Christine Villemin, des voix au téléphone et la moitié du département des Vosges.
Autre angle d'attaque « populaire » pour alimenter le buzz, la victime est elle-même « ambivalente ».
Un irakien, chef d'entreprise qui s'y connait en aviation ? Des arabes, dans les Alpes, à cette altitude ? Un cycliste, ouvrier, communiste, proche de Mélenchon ? Les témoins, comme ce retraité de la RAF qui a découvert les corps, sont peut-être innocents du crime, mais sont-ils coupables de quelque chose ?
La réponse dans Sept à Huit, sur TF1, après une courte page de publicité.
*PQR : Presse Quotidienne Régionale.
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