Cornichon – Episode 2 : Parapharmacie en haute définition
Avant de devoir m’atteler à la très humaniste tâche de réaliser une publicité pour des cornichons, j’étais vendeur dans un supermarché. D’abord spécialiste en papeterie, je me suis spécialisé dans le rayon Hi-tech (je ne vous cacherai pas que dans le métier, c’est clairement une promotion). J’ai vendu des milliers de téléviseurs dit « HD » en ne précisant pas que c’était un terme générique et pas un standard et que de ce fait il faudra changer d’appareil dans un an (pas la peine, finalement ils le font très bien tout seul au final). J’ai vendu également des milliers de lecteur HD-DVD en promettant une qualité d’image « incroyable », un son « immergeant », une définition « impeccable » sans préciser que ce format était en concurrence avec un autre qui allait prendre le dessus.
J’ai fait dépenser des sommes incroyables à des gens qui n’avaient pas d’argent (surtout pendant les coupes du monde de football) sur des produits qui étaient déjà périmés puisque sans aucune normalisation des standards, et maintenant inexploitables.
Ce genre de performance est réalisé avec des phrases comme « l’image est tellement précise que vous allez pouvoir lire les publicités placées dans les rues dans les courses poursuites du film » suivies d’un petit rire pour marquer la touche amicale avec le client (et surtout un recours juridique en cas de poursuite : « mais non j’ai ri, c’était une blague »). Bingo, je te vends 10 lecteur de laser-disc sans garantir qu’il y aura des films vendu sous ce format. Je suis devenu publicitaire.
Qu’est-ce que je peux aimer ces phrases, attendez en voila une autre, peut-être l’une de mes préférées : « profitez du son digital ». Le mot digital qui, je vous le rappelle, bande d’esclaves consuméristes, veut simplement dire « numérique », fait vibrer le client. Il se sent fort, et puissant. Pourtant, l’arrivé du numérique date depuis le CD, et sans du matériel haut de gamme, il est rarement possible de profiter pleinement de ces avancés … je vous amène rayon home cinéma ?
Les puristes préfèrent les lecteur vinyls pour leur qualité de son qui dépasse de loin le numérique mp3. Le vinyl, c’est entendre la musique au delà du son. Séduit hein ? oui, j’ai des 1200 lecteurs vinyls à écouler pour le noël 2010 (attendez, vous ne croyez tout de même pas que je ne prépare que maintenant le noël 2009, je sais déjà depuis 2005 ce que vous allez demander cette année pour ruiner les membres de votre famille). Vas ! Vas à Surcouf acheter ton lecteur vinyl à 99 euros sans te demander pourquoi il est si abordable, va détruire le seul disque qui te reste de feu tes parents parce que tu trouves soudainement plus drôle de scratcher dessus, parce que attendre devant et écouter c’est fastidieux.
J’avais un ami qui travaillait à disney (non il est pas mort, pourquoi pensez vous ça ?). Ils mettent le paquet la-bas. Chez disney on ne fait pas des films en 3D : on fait des films en DISNEY DIGITAL 3D. Wo-Ah vous exclamez vous ! Le spectateur standard (qu’on appelle le spectateur alacon dans le métier, c’est plus corporate) se dit que ce n’est pas de la 3D normal, c’est de la 3D Disney (de la 3D digitale en plus ! rendez vous compte !), il doit y avoir un traitement spécial, breveté qui remplit mes mirettes de mille merveilles.
En cosmétique, c’est pareil. A chaque sortie de produit, il est de toute façon 20% plus performant que le précédent et en plus 99% des gens qui ont été interrogés trouvent que ça marche. En variant les gammes qui ciblent différent type de peau, de cheveux, de poids et avec des dosages indiqués comme faible/moyen/fort, le client juge de lui même son problème et sa solution. Pour ne pas se planter, il a tendance à en prendre deux pour essayer et voir lequel marche le mieux. Sauf que le temps qu’il fasse son test, on a déjà changé toute la gamme.
L’automédication c’est comme le tuning. Le client essaye de se manipuler en apportant des produits à son corps : une peau plus brune, des jambes moins flasque, des nouvelles jantes alu-chromées. Tu vas dans ton petit supermarché et comme un joueur de World of Warcraft, tu rajoutes des « items » dans ton panier pour customiser ta force. Tu manques de concentration ? prend des gélules de ginseng et magnésium (le magnésium fixe le calcium, et diminue la pression artérielle qui va favorise la circulation dans le cerveau.. c’est complètement faux, mais quand tu le liras sur la boite à côté de l’image d’une femme photoshopée qui ferme les yeux tellement elle est concentrée, tu y croiras),. Tes cheveux sont un peu en manque de vitalité .. c’est vrai ! prend donc ce shampoing, aprés-shampoing, crème et laque de traitement spécial, il ne manque plus que la vidange et tes cheveux seront optimums pour sortir danser en boite sur les 8 titres de Black Eyes Peas, suivis de 5 titres de David Guetta qui passent en boucle depuis 3 mois.
Pourquoi la cosmétique cible les femmes ? Non ce n’est pas une question stupide, je vous remercie de me l’avoir posée. Ce n’est pas une question de domination masculine qui fait que la femme doit être constamment au top, gardez vos discours féministe pour vos profs de fac. C’est tout simplement qu’une femme possède la faculté de multiplier la perception de ses défauts (dans ma boite, on appelait ça « la bonne foi animale »). Quand on parle de problème de peau par exemple, une personne rationnelle (un homme) en prendrait uniquement quand il a un problème, et une personne encore plus rationnelle (un homme qui a une copine) irait chez le médecin pour avoir un produit pharmaceutique.
Et bien non ! la femme qui subit le vice que dieu lui a donné, ne se demande pas si elle a le problème, et mais réfléchit par différenciation : je pourrais avoir ce problème, ou alors mon état n’est qu’une nuance de l’avancé du problème, donc je peux m’optimiser, donc j’achète Gevermine, le baume stimulant au protéine d’orange. Les femmes sont bien plus sensibles à leurs défaut, et nous en tant que bon samaritain, on profite de ce point faible pour vendre nos crèmes qui ne sont la plupart du temps que du lait avec des acides gras et quelques minéraux récupérés dans des bouteilles de Contrex.
Heureusement pour nous, l’avancé incroyable de la société (ça et les tonnes d’œstrogènes qu’on a planqué dans les gel douches masculins) tend vers une féminisation partielle des hommes. Ce qui signifie très vulgairement qu’on est pas prêt de pointer à pôle emploi. J’en profite d’ailleurs pour signaler que dans mon bureau, j’ai une phrase écrite : « Le produit qui a connu un grand boum pendant la guerre en France, c’est le rouge à lèvre ». Vous n’avez plus du thunes, on reste quand même persuadé que vous achèterez nos cosmétiques.
Mais ne vous en faites pas mesdames, ça marche ! Enfin c’est ce qu’on écrit. Un jour, un camarade de promotion est venu me voir parce qu’il faisait feuille blanche sur la publicité d’une crème anti-rides ( sachez qu’on préfère dire anti-âge maintenant, c’est plus large, ça nous permet d’élargir notre gamme d’un facteur 5).
Après deux trois bouteilles de Mouton Cadet 2005… quoi ? ah oui, j’oubliais que vous n’êtes pas publicitaire et vous ignorez que Mouton Cadet n’est franchement pas un vin d’exception, c’est le mouton rothschild du pauvre et c’est 9 euros la bouteille au Monoprix. Seul le nom fait frémir les gens qui ne connaissent rien au vin, et qui veulent faire bonne figure. Pour le même prix, vous avez des vins bien meilleurs dans une cave. Mais chut, on gagne beaucoup d’argent sur ce principe.
Trêve de digression, ça n’arriverait d’ailleurs pas si vous saviez que la plupart des faiseurs de « phrases chocs publicitaires » (dites « punch line », ça fait moins pauvre) sont payés une misère, c’est pour ça qu’ils osent tout, qu’ils n’ont peur de rien, qu’ils n’ont pas de limites. A mon camarade qui pataugeait dans la semoule pour trouver sa punch line (on s’y fait vite hein ?), je lui ai dit de manière spontanée et sous l’allure d’une blague : t’as qu’à dire que ça marche !
Bingo, trois mois plus tard la publicité pour cet amincissant sort sur vos écran : somatoline cosmétique : ça fonctionne ! Même si c’était pas réfléchi au départ (ça l’est rarement, ne vous faites pas d’idées), prendre appuie sur l’apriori de l’inefficacité des crèmes anti-rides était parfait. Vas ! Vas te massager le visage avec nos crèmes de collagène pour raffermir ta peau, on te dit que ça marche !
Le plus drôle dans tout ça, c’est que le raffermissement de la peau par le collagène se fait sous les couches intra-dermiques, or les produits de parapharmacie comme d’anti-ride n’ont pas le droit d’aller en dessous du derme, seuls les produit pharmaceutiques ont ce droit. Au final, c’est comme essayer d’assaisonner une salade avec une huile qui ne peut pas aller dans le saladier, on en met partout à côté en espérant que l’huile arrivera à s’immiscer dans le saladier par elle même.
C’est ça aussi la considération du client, on ne lui vend jamais quelque chose qui pourrait être dangereux, on est pas des médecins, ni même des pharmacien. On est obligé de travailler avec eux pour les restrictions légales de santé, on se sert même de ces contrôles pour remettre une couche de communication sur une prétendue efficacité médicale : jamais nommée, toujours sous-entendu. « Bonjour, je suis Julie Larivière, expert en nutrition », je me rappelle qu’une publicité avait même osé le sous-titrage : « expert américain ».
Comme dirait l’enseigne Casino : « c’est bien parce que c’est vous ! »
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