Corona’s Blues
« L’offre d’agonies excède terriblement la demande. C’est chose bien pénible ». (Céline « d’un château l’autre »).
Peut-on rire de tout, et avec tout le monde ? Je ne reprendrais pas ce vieux débat animé le plus souvent par des incultes qui ne connaissent du grand Pierre Desproges que cette phrase bien lacunaire, alors qu’il vaut bien mieux. Alors bien sûr, les centaines de morts par jour. Nous dedans, bientôt, may be. Bien sûr, voir un ami pleurer. Bien sûr, ne même plus pouvoir enterrer dignement ses proches en région parisienne. Bien sûr, la honte qui devrait empourprer le visage de ces taf…. de tchèques ayant tenté de voler les 10 millions de masques destinés aux italiens. Bien sûr, les escrocs à la petite semaine du 9.3, qui vendent des masques comme de la beuh..
Bien sûr il y a peu à dire face au désastre : celui d’aujourd’hui, et la chronique annoncée de celui de demain. Peut-être qu’il y a encore matière à chanter, quand « tout est perdu, fors l’humour ». J’ai convoqué quelques mecs et filles de talent pour nous raconter ça. Ils sont venus.
Au début, cet article devait s’appeler « confiné avec une Tonkinoise » ou encore « confiné avec une fille de Cochinchine ». Mais bon, ça ne parle plus à grand monde. Va pour « Corona Blues », alors.

« Je me présente, je m’appelle Henri, je voudrais que les filles soient nues, qu’elles se jettent sur moi, m’arrachent ma vertu, etc, etc… ». Ce Corona, comme tout le monde, je ne l’ai pas vraiment vu venir. Auto, boulot, dodo. La vie, les soucis. Aline, ma femme, partie il y a six mois avec les gamines comme un pet sur une toile cirée. « Partie avec mes revenus : que d’allées et venues… Que vais-je faire de cet abandon, à qui en faire don ? » .
Bien sûr, j’ai voulu dessiner son doux visage sur le sable mouillé. Crier « Aline », pour qu’elle revienne…Tu parles… Tu crois qu’elle serait revenue ? Non. J’suis trop loin de la mer, trop près de l’amer, de la Seine et Marne (surtout de la Marne).
Un ami qui fréquente les milieux autorisés m’a dit de me méfier, qu’ils allaient nous faire le coup du confinement un lundi midi par surprise, sans attendre que les gens soient couchés et se réveillent en cage avec leur régulière.
Damned… Confiné sans personne dans ma grande maison vide au milieu des betteraves…
J’ai pris ma belle berline et j’ai foncé. Mon dernier rendez-vous à la maison, c’était le plombier. Confiné avec un con fini ? Un mois ? Nan, pas de ça, Lucette…Dégage, plombier…
C’est là que je me suis rendu compte que j’avais été imprévoyant. Pas seulement en masques, gants, gel hydro-alcoolique. Non, en filles. Pas la moindre maitresse dans le carnet. Pas la moindre étudiante de province prête à tout pour payer son loyer en cité –U.
Repassé, j’étais.
J’étais pas loin de Roissy. J’ai foncé à la zone hôtelière, habituellement remplie d’hôtesses de l’air des compagnies lointaines en attente d’une « bretelle », comme on dit dans le métier. J’ai arpenté les « lobby » des hôtels à hôtesses perdues, sans avions de retour, le ciel s’étant refermé sur elles. Des proies faciles. Ouais, j’ai retenu la leçon tactique des grands félins des savanes. S’attaquer aux bêtes malades, éloignées du reste du troupeau.
C’étaient surtout des asiatiques portant masque, je dois le dire. Certaines me regardaient avec des yeux brillants, mais je ne savais pas dire si c’était de fièvre ou d’amour (malgré mon âge, je suis encore un peu con…).
Cruel dilemme.
Ca m’a rappelé quand j’étais plus jeune, quand « j’offrais en yen des offrandes carabinées à des païennes indifférentes à mes palabres », des japonaises paniquées qui voulaient pas niquer à l’hôtel Nikko.
J’en ai chargé une qui attendait le bus, alors qu’il n’y a plus de bus. Une tonkinoise. De Cochinchine. Je lui ai dit que j’avais une grande maison vide, deux salles de bains et trois WC. Que je ne sautais pas comme ça sur les filles sans défense (du moins pas tout de suite), que Maam Schiappa et les Femen étaient passés par là et avaient contribué à mon émasculation psychique.
Elle est montée.
Arrivé à la maison, j’ai retiré tout de suite la grande paire de ciseaux du tiroir de la cuisine. On ne sait jamais.
Je l’ai installé dans la chambre vide de ma grande fille, à son aise.
On a vécu confiné comme ça plusieurs jours. Beaux, chastes. Purs comme l’éther et l’alcool à 90.
On parlait l’anglais globish du grand village mondial dont les français sont les idiots. On comptait les morts grâce à BFM.
Je sortais muni de mon attestation tamponnée lui acheter des rouleaux de printemps (et de PQ aussi : vous savez que c’est que la vie, c’est pas toujours comme « la rose qui ce matin est éclose »).
Au bout de cinq jours (oui, ma limite, c’est 5 jours), constatant la gelée blanche sur la pelouse au petit matin, j’ai sorti le grand jeu.
J’ai coupé le chauffage et j’ai prétexté une panne (oui, ces mêmes radiateurs que j’avais mis à fond pendant la canicule, avec un certain succès, lors du séjour en aout de mon ex. belle-mère…).
Le soir, elle « skypait » avec son petit ami de Singapour (eh, si tu Skype pas, mec, t’as raté ta vie, vu ?).
Il lui faisait des Griveauseries en gros plan, le mec. Elle minaudait des petits cris de chauve-souris pour qu’il se finisse plus vite et qu’on puisse aller diner.
Bon, je ne suis pas jaloux : je sais que ce soir, c’est moi qui ferait grincer le sommier et elle qui grincera des dents. Non, mais…
Vers 23.00, la température étant tombée à 15 ° dans la chambre, elle est arrivée enroulée dans sa couette en me demandant si on pouvait se chauffer dans le grand lit (« but not more » hein, qu’elle a dit.)
J’ai fait le gentleman. Bisou et au dodo.
Mais avec ces conneries de BFM, j’ai fait un cauchemar, avec tous ces gros plans de patients en réanimation allongés sur le ventre. J’ai cru que Bui (c’est son prénom) était morte. Je l’ai retournée sur le ventre. Ils ont bien dit à la TV : ventiler, intuber.
J’ai fait avec ce que j’avais sous la main.
Et ça a marché : elle s’est réveillée. Un peu en colère (« fucking french, ashole, etc… »).
Mais bon, elle a démarré comme ça, notre histoire.
J’ai remonté le chauffage, mais elle est restée quand même. On roucoulait. Le confinement était prolongé de mois en mois. De temps à autres, on bravait les interdictions pour aller voir sa famille dans les tours du 13 eme. J’ai même accepté qu’elle fasse un élevage de pangolins sur la pelouse, au fond du jardin.
On avait raté deux nouvel an chinois, on était à deux doigts de faire un petit, puisqu’on avait plus de moyens contraceptifs, à part les méthodes éprouvées venues du fond des âges.
Bref, « il suffisait de presque rien » (peut être une quatorzaine de moins ?), pour que je lui dise… une connerie.
Je n’ai pas eu à la lui dire.
Les asiatiques, c’est intuitif.
Un soir, profitant d’un déplacement dérogatoire (case 7 « participation à des missions d’intérêt général » - et c’est vrai qu’entre nous, s’occuper de moi à plein temps, c’est une mission d’intérêt général..- ), elle est partie sans un mot, sans crier ni train, ni gare, ni rien. En moins de temps qu’il n’en faut à l’éjaculateur précoce pour prendre congés d’Emma Watson.
J’étais de nouveau seul, seul comme Black quand Decker est aux putes. Avec le vent contraire, comme le chantait ce vieux Bob.
J’ai repris ma belle Alfa avec son Roméo, avec mon blues qui passait devant, looking for a copine de confinement.
J’ai mis une rose dans le canon de mon gun (Gun & Roses, capito ?) et je suis parti la fleur au fusil.
Du côté du paradis, et vite encore. Parce qu’on va être beaucoup à frapper à sa porte, ces prochains jours. Et qu’il n’y en aura pas pour tout le monde.
C’est une certaine Tamara qui me l’a dit. Je l’ai trouvée par hasard en train de faire un concert de rue improvisé à Marseille. J’ai baissé la vitre et lui ai proposé de se confiner chez moi, mais elle a ricané. Elle m’a dit qu’elle était avec son pote MB 14, qui savait tout faire avec ses mains et sa bouche, y compris l’homme-orchestre.
Les filles, c’est cruel.
Du coup, j’ai mis la première et j’ai voulu en finir : m’immoler au White Spirit (mon côté « petit blanc »), voire même aux Cotes –Rôties (mon côté « gros rouge »), prendre le périph à contre-sens, m’encarter à la REM, des trucs comme ça…
J’en étais rendu à ces extrémités quand le bluetooth a sonné au tableau de bord (NB : si t’as pas le bluetooth à 40 ans, t’as raté ta vie, mec). C’était Ned, un vieux pote. Il m’a conseillé d’arrêter de courir les petites jeunes, et de penser aux vieilles routières, confortables, qui ont du coffre.
« Tu te souviens de Meena » ?
« Meena Cryle, l’autrichienne ? » que j’ai dit.
Yep, tu devrais l’appeler. Elle est confinée dans son studio (d’enregistrement). Elle serait mieux chez toi.
Elle a dit OK, à condition d’amener dans ma maison son band, dont son batteur au sourire niais, mais surtout ce p… de guitariste venu d’un autre monde, ce Chris Fillmore qui joue au doigt et qui, manche en mains, tutoie les anges (ça tombe bien, on est en route).
J’ai dit oui. Plus en état de discuter. Même si trois mecs pour une femme, ça sentait l’orage.
Ca n’a pas manqué. Un soir, pour un barré qui ne lui plaisait pas, elle a tout pété dans la cuisine, en feulant « it makes me scream », tout en jetant les verres en cristal de mon mariage à travers le salon.
Je m’étais prudemment réfugié aux toilettes.
Quand ça m’a paru calmé, je suis sorti doucement en mettant le dos de la main à plat, comme on sort d’un abri après l’orage, pour jauger s’il pleut encore.
Il y avait des dégâts, mais bon, ça pouvait aller.
Je me suis dit doucement pour moi-même :
« Ca va aller, mec, l’été arrive, ça va le faire. »
Oui, les gars, on va se refaire. Ou pas.
Maybe.
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ __ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ __
- Crédit photo : NeonLightSign.com
- avec, dans l’ordre d’apparition dans le texte ou à l’image : Daniel Balavoine « le chanteur », Alain Bashung « Bombez » et « à Ostende », Christophe Bevilacqua « Aline », Serge Reggiani « il suffisait de presque rien », Bob Seger « against the wind », Pierre Desproges, Tamara Weber-Simon (et Bob Dylan) pour « knock at the Heaven’s door », Meena Cryle and the Chris Fillmore Band avec « It makes me scream », Janis Joplin « Sumertimes » et « May be »
Documents joints à cet article

88 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON