De bric et de broc le bric à brac
Le bonimenteur se brade !
Qui veut désormais organiser une belle manifestation associative ne peut échapper au bric à brac, nouvelle dénomination plus conforme à mon sens, du vide grenier. Le manque d'imagination des organisateurs comme des curieux, pousse chacun à se presser sur cette seule animation. En dehors, point de salut ! Adieu les lotos ou les kermesses d'antan, les bals populaires ou bien les banquets à la bonne franquette. C'est l'acte marchand et la vente du n'importe quoi qui trône sur nos week-end et nos jours fériés.
Alors, va pour cette exposition impudique des surplus de nos histoires personnelles. Ici, c'est la foire à la vieillerie, le temple du rossignol, l'étalage de l'obsolescence de tout ce qui nous entoure. C'est bien plus une société du superflu, de l'éphémère, de l'inutile qui se montre ainsi, qu'une expression matérielle du temps qui passe.
Quand on circule dans ce joyeux capharnaüm qui semble ravir les badauds, on se commémore avec amusement tous ces gadgets improbables qui eurent, l'espace d'une saison, la vedette. Ici, ils dévoilent leur parfaite vacuité et plus personne ne veut ce qui semblait si indispensable, si incontournable, il y a quelques années.
C'est à pleurer encore de découvrir combien ce que nous avions payé fort cher, qui nous avait à l'époque demandé tant de sacrifices, ne vaut plus rien, parait dérisoire et sans valeur. Regardez tous ces appareils photographiques argentiques, ces consoles de jeu vidéo, ces premiers ordinateurs personnels. Ils sont désormais épaves technologiques, rebuts obsolètes d'une course folle d'un progrès sans limite.
C'est à hurler de rire de découvrir les vêtements qu'on portait alors. Le regard accepte l'injonction furieuse d'une mode qui façonne l'esthétique. Puis, les années rendent grotesque ce qui était alors du dernier cri. Leurs couleurs, les matières, les formes, rien n'a été conservé de ce qui fut un moment le dernier chic. Les enfants se moquent de la ringardise de leurs parents. Qu'ils se souviennent un peu quand leur tour viendra.
Puis, l'observateur amusé cesse de se promener le sourire aux lèvres. Il découvre une organisation quasiment professionnelle, des familles qui ont fait des bric à brac leur manière de subsister en période de crise. On devine que rien ne vient du grenier (ce qui n'est pas surprenant tant cette pièce a disparu de nos demeures) ni même du parcours personnel.
On découvre des réseaux de la revente, des spécialistes d'un domaine particulier, des vendeurs roublards, des exposants interlopes, des marchands douteux. On se doute bien vite qu'il y a encore les fruits de larcins, des objets aux provenances incertaines. Pourtant, ils sont là, parmi les autres, sans que cela ne choque personne. Tant qu'il y a des affaires à faire, le quidam et l'organisateur ferment les yeux.
On supporte enfin les odeurs nauséabondes des incontournables frites, des inévitables sucreries industrielles, des si typiques merguez. L'huile a beaucoup vécu, s'est baladée de quartier en quartier et intrépides ou inconscients sont les furieux qui s'aventurent vers ces estaminets sauvages. Le bric à brac est un traquenard, on y risque sa santé plus sûrement que son porte-monnaie.
Puis, le curieux se pose enfin les bonnes questions. Pourquoi cet étalage de nos surplus dérisoires ? Pourquoi ce plaisir de la vente alors que les gains sont si misérables ? Le bric à brac est une ode au fric roi. Ce qui hier était donné, sera aujourd'hui vendu, fut-ce une bouchée de pain. Ce qui autrefois était usé jusqu'à la corde, est maintenant victime de l'évanescence moderne. Ce qui jadis se transmettait de génération en génération, se refile de quartier en quartier.
Je continue donc de ne point supporter cette expression de notre modernité finissante. La crise est au cœur de vos bric à brac. C'est à la fois un recours ultime pour gagner quelques sous pour des gens en grande difficulté, c'est encore une manière de s'équiper quand on n'a plus le sous, c'est toujours cette course folle à l'argent pour quelques poignées de petites pièces.
On se retourne et on apprend les sommes hallucinantes qui sont mises à l'abri dans des paradis fiscaux. Il y a un décalage entre ce qu'on entend ici ou là et ce qu'on voit ici. La population se paupérise. Ça se voit, ça se sent. Il y a quelque chose de pourri dans ce système délirant, indécent, immoral et injuste.
Videmisèrement vôtre.
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