De fils électriques en aiguilles de pin

Il n'y a pas que le sapin qui a les boules.

Il advint qu'un sylviculteur Wallon songea qu'il y aurait fort à gagner en croisant des épicéas, ces charmants petits arbres que l'on sacrifie en grand nombre à l'occasion de la Noël avec des houx afin qu'ils se couvrent naturellement de charmantes petites boules de couleur, évitant ainsi l'usage de la guirlande électrique en cette période d'économie d'énergie.

Si l'idée peut surprendre, elle ne s'inscrit pas moins dans l'air d'un temps où les manipulations génétiques sont de mise quand dans le même temps, le souci de la planète peut sembler paradoxal à qui se targue de vouloir lutter contre le gaspillage énergétique. Notre entreprenant professionnel de la culture des arbres ne se posait guère de questions de nature philosophique, le souci de la rentabilité menant toujours sa barque.

Le houx peut, comme chacun le sait, se parer de magnifiques boules, le plus souvent rouges mais qui peuvent aussi être jaunes ou bien noires. L'idéal serait de parvenir à regrouper les trois couleurs afin de produire un arbre de Noël tricolore, estampillé « Production belge ! » ; car, comme chacun peut le vérifier, ces trois couleurs sont celles de la Belgique.

Passer de l'idée à sa réalisation n'est pas une mince affaire d'autant plus qu'il convient de ne pas ébruiter l'affaire au risque de se faire coiffer à l'heure fatidique sur le poteau par un concurrent en mal d'imagination mais plus performant dans les manipulations génétiques et les greffes. Il se mit donc à la tâche dans le plus grand secret, faisant appel à des spécialistes des Organismes Génétiquement Modifiés auxquels il fit signer un contrat de confidentialité.

La nature prend son temps même quand des apprentis sorciers s'évertuent à la plier à leur fantaisie, même quand c'est pour le compte d'un commanditaire cupide. Plus le temps passait, plus le sylviculteur avait les boules de voir la colonne des débits s'allonger démesurément tandis que rien ne changeait dans celle des crédits.

Son exploitation se trouva bien vite sur le fil et devant un compte d'exploitation de plus en plus préoccupant, notre homme se mit à avoir des réactions cutanées. Le corps prend souvent le pas sur l'esprit lors de somatisations spectaculaires. C'est ainsi que, comble d'ironie, le bonhomme perdit ses cheveux et eut le corps couvert de pustules multicolores.

Comme Noël approchait, il dut se rendre à l'évidence : il avait partiellement réussi son entreprise à son corps défendant. Si ses épicéas demeuraient de beaux petits sapins de Noël qui ne demandaient qu'à se couvrir de boules et de guirlandes, c'est lui qui était parvenu à se grimer de la sorte.

La sagesse s'imposa à lui, il renvoya les généticiens, renonça à sa folle entreprise et vendit ses petits sapins en offrant une guirlande électrique en guise d'offre promotionnelle. Cela renfloua ses caisses et lui redonna son apparence initiale pour sa plus grande satisfaction.

Le sylviculteur avait cru un temps au père Noël en se lançant dans une folle opération. Son retour à la sagesse avait eu un effet bénéfique tout en lui mettant la puce à l'oreille. Il s'interrogea alors sur la nécessité de sacrifier un petit épicéa pour le couvrir d'une décoration ridicule qui lui faisait perdre ses épines. Sa récente chute de cheveux l'ayant rendu solidaire avec eux.

Il se reconvertit dans la réalisation de décors de Noël respectueux de la Nature et des contraintes énergétiques. En agissant ainsi, il devint un bienfaiteur de l'humanité et des sapins de Noël qui ne demandent qu'à grandir paisiblement dans les forêts pour continuer à agir contre les émissions de carbone. Il fut décoré par le Roi de Belgique qui lui remit la grande croix de l'ordre de la couronne et comprit alors ce que ressentaient jadis ses sapins quand on les grimait de la sorte.