Du Zinc au marbre
L'urne funéraire
Les risques du métier.
Georges Lajoie est cafetier et digne représentant d'une lignée de bistrotiers de père en fils qui ont toujours porté haut la tradition vinicole française. Le vin tricolore est une forme de ligne de conduite chez lui bien que rouge-blanc-rosé supplante le bleu-blanc-rouge si cher à sa clientèle et à ses propres convictions politiques. Le plus insupportable pour lui est de devoir faire bonne figure à ces individus hirsutes qui passent des heures devant un café en terrasse. Il préfère de très loin les buveurs de bière qui se font un honneur de renvoyer dos à dos les anciennes chapelles politiques au profit d'une indifférence honteuse.
Georges Lajoie aime pérorer derrière son comptoir, cassant indifféremment les rouges, les arabes, les chômeurs et tous les parasites qui viennent manger le pain des Français de souche. Pour lui, la souche n'a d'ailleurs pas de racines bien déterminées. Ces clients portugais, polonais ou bien ritals sont des gens très respectables dans la mesure où trinquer avec lui ne leur font pas peur.
Derrière le zinc, on opine, on approuve, on se plaît même à renchérir sur les commentaires qui émanent d'un téléviseur qui tourne en boucle avec une chaîne qui ne dénote pas dans l'horreur ambiante. Tout y passe dans l'abject, le racisme, la haine et le mépris. Chacun y allant de son couplet tout en levant son verre aux valeurs de la République, la main sur le cœur au moment de la Marseillaise.
Le Ricard vient à point remplacer le petit ballon de rouge quand un match de foot est projeté dans le caboulot. C'est le moment de beugler pour s'enthousiasmer sur les exploits de joueurs qui pourtant n'ont pas les origines idoines. Il convient de temps à autre de faire quelques concessions dans une idéologie du rejet de l'autre. Le coq sur la poitrine a des vertus de blanchissement des tricolores qui sont indéniables.
Georges Lajoie boit du petit lait quand ces joueurs font vaincre les couleurs nationales. C'est alors l'occasion de belles recettes, de tournées qui n'en finissent pas. Par contre, la défaite entraînera un torrent de diatribes contre ces sportifs venus d'ailleurs. Alors Georges et ses clients noient leur déception dans des torrents de vin rouge.
C'est ainsi qu'avec la multiplication des rencontres internationales de football à la télévision le foie de notre tavernier en vit de toutes les couleurs au point qu'il en subit une hypertrophie douloureuse et néfaste à sa santé. Lui si fier de ses origines gauloises comme il aimait à le dire, avoir le tient jaune le faisait entrer de plain-pied dans la grande cohorte des tenanciers asiatiques.
Ce coup du sort non seulement en fit un hépatique bilieux mais plus encore un atrabilaire chafouin. Tout cela joua considérablement sur une humeur qui à franchement parlé, n'avait jamais été des plus agréable et conviviale. Il vira franchement dans une exécration de l'humanité pour peu qu'elle différât de lui par ses origines ou son système de valeur.
Georges Lajoie filait un mauvais coton et son commerce prit des allures de cellules idéologiques où seuls les adeptes d'une nation pure sous une botte martiale trouvaient grâce à ses yeux de plus en plus injectés de sang. La chose prenait des allures de tragédie non seulement pour la réputation de l'estaminet mais plus encore pour la santé physique et physiologique de notre patron de bar.
Il sombra sans que les habitués en fussent surpris, passant aussi vite de vie à trépas que du zinc au marbre. Ses camarades lui firent des derniers adieux avec une petite larme à l'œil. C'est ainsi que des observateurs neutres et forcément à distance, découvrirent qu'il y avait malgré tout, une parcelle d'humanité en eux.
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