Harcèlement textuel
Il bat sa coulpe.
Il est grand temps de l'admettre : un affreux délinquant, un odieux agresseur, un monstrueux harceleur textuel sévit à votre insu. Il ne peut se résoudre à laisser les gentilles lectrices tranquilles, (les lecteurs se faisant bien plus rares, ils ne risquent guère de tomber sous ma coupe). Chaque jour que Dieu ou bien le temps qui passe fait, il y va de son petit billet qu'il tente de vous glisser à l'oreille, vous passant de la pommade dans le dos en cassant du sucre sur de plus vilains que lui.
Il vient vous déloger au saut du lit pour s’immiscer sournoisement dans votre intimité. Les unes ayant à subir ses assauts verbaux en nuisette, les autres en toute petite tenue tandis que beaucoup, doivent se cacher de leurs compagnons pour éviter d'être surprises en si mauvaise compagnie. Les malheureuses savent bien pourtant que chaque matin, il vient leur tenir des propos sans queue ni tête, histoire de les distraire d'un quotidien morose.
Certes, elles pourraient tout aussi bien renoncer à ce petit clic qui est tout aussi dévastateur qu'une grande claque sur les fesses, tant mes propos sont tendancieux, parfois grivois et souvent déplacés. Mais comment se sortir de ce sortilège sans avouer y avoir succombé ? Le piège se referme sur une assuétude honteuse, dont malheureusement je suis le seul bénéficiaire, jouissant sans honte d'un bonheur sans partage.
L'obsédé textuel les mène par le bout du nez, il ose leur glisser à l'oreille des histoires à dormir debout, il se permet des propos à faire rougir une suffragette. Rien n'y fait pourtant, la police de la toile laisse ses agissements scabreux impunis. Sans l'y encourager du reste, la terrible censure qui règne sur ce média, ferme les yeux sur ce satyre du clavier, ce pervers du verbe, ce démoniaque de la saillie verbale.
Les victimes, honteusement leurrées, se laissent ainsi faire, perdant toute capacité à se défendre, à repousser ses assauts, à refuser ce contact intime. Leur consentement n'est hélas que le fruit d'une insidieuse manipulation, d'un envoûtement sur une toile chiffonnée. Il devrait répondre de ce crime odieux, il se contente de répondre aimablement à leurs commentaires afin de distiller plus encore son fiel.
Il se glisse dans leur intimité, épouse leurs émotions, s'insinue dans leurs pensées, pénètre leur âme et leur imaginaire, force la porte de leur demeure sans que quiconque ne vienne le condamner au silence. Il bénéficie ainsi de la complicité de toute une technologie numérique, particulièrement gourmande en énergie. S'il a honte certes, il ne sera jamais en mesure d'amender son comportement.
Cette confession n'y changera rien. Tant qu'on ne lui aura pas mis les fers ou un bâillon, il poursuivra dans cette voie toute honte bue. Le billet quotidien entrera en effraction chez vous mesdames. Il continuera de vous troubler l'esprit, de provoquer parfois de douteuses défaillances. Vous savez que ce n'est pas bien de céder à cet intrus, de le laisser ainsi entrer sans y être véritablement convié. Mais que faire face à ce surgissement matutinal, à cette effraction par le truchement d'un téléphone ou d'un ordinateur. Sans fil mais pas sans risque, le visiteur vous prive de votre libre arbitre.
Le texte, le texte, il n'y a plus que ça dans la vie de ce monstre qui en ce jour, fait amende honorable à travers cet aveu concédé sous une torture morale qui insidieusement, s'impose à lui. De vous à moi, de lui à vous, la question se pose de savoir comment sortir de ce cercle vicieux tout autant qu'infernal. Les mots se font maux, le texte gonfle, enfle, s'étire et finit par cracher son venin. La conception maculée, la page violée, la conscience agressée, la lectrice se refuse pourtant à couper la chique et le reste à son tourmenteur. Il y a nécessairement une responsabilité partagée dans ce harcèlement textuel.
À contre-mot.
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