Heureux qui comme un immigré a fait un beau voyage ....
Je suis un honnête travailleur immigré séjournant (présentement dirait un Africain) dans l'île de Corsica.
Lors de mon débarquement sur les rivages bénis de cette île, dans les premiers temps de mon séjour, j'ai habité une résidence faite de tôles et de planches, meublée de bric et de brac, et ouverte à tous les vents mauvais de la contrée.
Depuis peu, une association locale de défense des immigrés - Dieu la bénisse - m'a relogé dans une demeure supposée vacante. Il s'agit d'une bâtisse ancienne, une sorte de maison de campagne jamais ou mal restaurée. J'ai fait en sorte qu'elle ne soit plus truffée d'alarmes susceptibles de pousser des hurlements stridents à chacun de mes mouvements, et d'annoncer urbi et orbi le moindre de mes déplacements.
Je préciserai, à l'intention des Corsophobes malveillants, que je n'ai guère eu besoin, comme à Paris, d'occuper avec quelques déshérités l'église la plus proche ou de m'installer pour une grève de la faim symbolique dans la grande nef de la cathédrale d'Ajaccio. Le peuple de Corsica, quoiqu'en disent les mauvaises langues, est un peuple généreux, hospitalier, et peu dénonciateur par nature.
Pour l'heure, donc, j'ai tout loisir d'effectuer des promenades peuplées de rêves d'avenir dans le jardin de ce qui est pour moi une sorte d'Alhambra de Grenade.
D'aucuns s'étonneront sans doute de ma relative maîtrise de la langue française, qu'en toute modestie je trouve supérieure à celle dont se prévalent nombre d'identitaires dits franchouillards.
J'ai appris cette belle langue en Algérie même, où, en dépit de l'indépendance, le français est enseigné de manière mieux structurée (et assurément plus généralisée) que l'arabe en France. Les cours du soir d'une association humanitaire insulaire, genre "partageux de la fraternité" (ou "fraternité des partageux"), ajoutés à mon désir d'intégration, ont fait le reste.
Du coup, je m'exprime en Français presque aussi bien que Tarik Ramadan, et je manie mieux le verbe gaulois que le jacassin oriental. L'autre jour, j'ai même aidé mon chef d'équipe à déchiffrer une note de service qu'il pensait écrite en javanais, tant est limitée sa connaissance de la langue française. Il est excusable, certes, car il est comme moi d'origine étrangère. Mais il est moins immigré que moi, puisqu'il est chrétien avéré et Portugais déclaré.
De mon côté, bien qu'étant un peu plus instruit que lui, mais ne pouvant cacher ma qualité d'Algérien, doublée de celle de supposé mahométan, je ne puis être, aux yeux de certains, que rien ou pas grand chose.
Je vous préciserai que j'occupe les fonctions d'ouvrier non qualifié, comme ils disent. En certains moments de grande camaraderie, mon contremaître, originaire pour sa part, du village de Morano, en Calabre, me tutoie d'abondance et s'imagine que cela me donne fierté. Pour ne pas être en reste, je le tutoie aussi, ce qu'il a l'air de prendre pour une plaisanterie d'assez mauvais goût ou pour une familiarité tout juste supportable. Il n'a jamais daigné partager avec moi son opulent panier (par respect sans doute pour la religion qu'il m'attribue, car le vin et le porc honni emplissent le dit panier), mais il accepte régulièrement les quelques dattes séchées que je lui offre, et ceci m'est grand honneur. En ces instants conviviaux, il consent même à échanger avec moi quelques propos sur la condition ouvrière et l'exploitation du prolétariat, car il se targue de pratiquer la solidarité de classe.
Il faut dire que ce pâle clone de Peppone est demeuré stalinien malgré la perestroïka et tous les avatars qui ont suivi. Les méchantes langues prétendent même qu'il s'agit d'un stalinien demeuré. Pour lui faire plaisir, j'ai consenti à prendre carte syndicale. Vous n'aurez je pense aucune peine à découvrir laquelle. Le bénéfice de mon adhésion ne m'est pas encore apparu clairement, mais j'espère que ce viatique m'évitera de cotiser au comité des chômeurs, sorte de soviet qui se réactive chaque année à l'approche des fêtes de Noël et réclame de justes et substantiels secours au bénéfice de tous les traîne-savates désœuvrés, parmi lesquels je m'honore de ne pas compter.
Entre nous, je vous confierai qu'il manifeste aussi pour les différences de race un intérêt certain, car il ne cesse de répéter que Marine Le Pen est la seule qui puisse sauver la France des invasions barbares. Il vrai que l'on trouve toujours plus immigré que soi dès lors que l'on est tant soit peu "établi" dans une nouvelle nationalité. Je n'en veux pour preuve que l'illustre Sarkozy, les Roumains Luca et Copé, les Italiens Estrosi et Ciotti, mais aussi le camarade Moscovici, le camarade Bartolone, et Manu le catalan, soi-disant fils de républicain espagnol.
Je m'efforce d'être pour ma part un immigré modèle. J'obéis aveuglément aux lois de ma nouvelle patrie la France, et j'en respecte les us et les coutumes, alors que nombreux sont les indigènes de Corsica qui les récusent fortement, allant même jusqu'à soutenir que leur situation est comparable à celle des colonisés que nous fûmes.
Vous savez bien sûr, que l'île vit naître un illustre empereur. Vous savez moins qu'à l'âge de 20 ans, il écrivait au héros de l'indépendance Corse, Pascal Paoli en exil à Londres : "Général, je naquis quand la patrie périssait. Trente mille Français, vomis sur nos côtes, noyant le trône de la liberté dans des flots de sang, tel fut le spectacle odieux qui vint le premier frapper mes regards".
La suite de son parcours et de sa carrière fit de lui ce que vous savez : le plus grand personnage historique dont puissent s'enorgueillir les Français après ce pauvre Vercingétorix.
Il en va souvent ainsi des peuples colonisés : certains de leurs enfants deviennent des serviteurs éminents de leur nouvelle patrie. Nous connûmes nous mêmes cela, sous la domination romaine, avec le Berbère Saint Augustin.
En fait de berbérité, et non de barbarisme, je rappellerai en passant que l'ami Zemmour, autre Français notoire (et même fanatique), se vante d'appartenir à la descendance de la Kahena, célèbre reine d'une tribu berbère judaïsée ayant combattu les envahisseurs arabes, plutôt qu'à celle des Cohen. Mais ceci n'est point mon affaire.
Vous me permettrez de vous apprendre que les Maures du temps jadis firent grand apport à l'île de Corsica en venant, par des razzias multiples et soutenues, par des viols bénéfiques et répétés, répandre leur gènes jusque dans les villages les plus reculés. Ils y ont laissé de nobles traces, et il me plaît d'imaginer parfois certains natifs de l'île de Corsica, en visite chez nous, revêtus d'un burnous défraîchi et d'une chéchia, ou bien d'un burnous brodé et d'un turban immaculé, selon qu'ils soient gens du peuple ou notables infatués. Ils n'auraient certes aucune peine à passer pour d'authentiques fils du Maghreb. Il me vient même parfois l'idée saugrenue d'embrasser certains enfants de la terre de Corse, tant leur physionomie ressemble à celle de nos frères. Il m'arrive aussi de penser que s'ils s'étaient promenés sur les ponts de Paris du temps du préfet Papon, ils eussent pu terminer dans la Seine leur carrière de résidents français.
Je vous dirai, pour augmenter votre capital culturel et vous permettre de briller dans les cafés maures, que le drapeau local s'orne d'une tête résultant d'une décollation "à la manière antique", tête sans doute oubliée dans la précipitation de notre réembarquement sur la dernière felouque servant à notre retraite.
Me voici, humble descendant des fiers barbaresques qui abordaient en pillards ravageurs l'ile de Corsica, condamné à y laisser la sueur de mon front. C'est sans doute la volonté de Dieu, et je l'accepte, bien que cela ne soit pas tout à fait la mienne.
L'actualité de cet été finissant me contraint à vous dire par ailleurs que l'île de Corsica est épisodiquement peuplée de migrants que l'on appelle ici des touristes. Il y a ceux du plein été dominateurs et conquérants, mais aussi les vieilles personnes baptisées troisième ou quatrième âge. C'est ce que les marchands du bazar et les tenanciers de gargotes appellent l'apport d'avant ou d'après saison. Ces sages troupeaux vacanciers sont renvoyés dans l'hexagone après avoir été dépouillés des maigres deniers patiemment amassés pour leur séjour de rêve dans "la plus proche des îles lointaines".
Les belles (et moins belles) volailles estivales s'abattent, quant à elles, sur les plages de sable fin qui abondent dans l'île de Corsica. Dans leur grand désir de bronzer rapidement, elles rougissent intensément leurs croupions. Cette grande exposition de fesses ne laisse pas d'être, je le confesse, du plus bel effet.
Dieu me pardonne, cela ne manque pas de bouleverser parfois mes sens, car la gent féminine estivale est loin d'être couverte de hijab, de tchador, de niqab et de burqa. J'avoue, sans le crier sur tous les toits, et sans aller le clamer sur les parvis de la mosquée locale, que ceci ne me contrarie point outre mesure.
En ce domaine, ma lecture des écritures saintes n'est pas la même que celle des frères wahhabites : je n'y trouve point que tout cela soit rendu obligatoire par un quelconque verset, et je plains même les pauvres femmes ou jeunes filles qui sont enfermées par leur famille dans ces noires camisoles ou qui s'y calfeutrent par conviction.
Toutes ces vêtures qui visent à combattre l'impudeur se répandent, paraît-il, à travers l'Europe. J'en aperçois ici de plus en plus. Cela semble contrarier certains indigènes de Corsica, mais je fais mine de ne point entendre leurs récriminations, et pour certains, leurs invectives. Parfois même je donne à croire, par souci de ma propre sécurité, que je les approuve.
Mais revenons à notre volaille.
- Je ne saurais vous décrire avec talent la beauté des blondes oies nordiques. Selon les statistiques de l'I.N.S.E.E, elles seraient toutes aussi peu virginales à leur arrivée qu'au départ.
- Je ne vous chanterai pas l'ardeur des sémillantes pintades parisiennes, encore que leur frénésie de vénériens plaisirs relève, dit-on, de la pure médisance des jeunes coqs de Corsica.
- Je ne pourrai vous dire l'insatiable gourmandise des rubicondes dindes teutonnes, puisque je n'ai jamais pu, vu ma triste condition d'immigré, apprécier leurs bénéfiques ardeurs.
Actuellement, la saison des crudités et des nudités est presque passée. D'ailleurs j'évite d'utiliser ces termes trop voisins depuis que dans un restaurant local, après quelques libations interdites, demandant des nudités au lieu de crudités, j'ai failli subir la loi de Lynch. Le Corse en effet, je vous le confie mezzo voce, est un être ombrageux et susceptible, assez prompt à s'énerver lorsqu'il se croit offensé.
Du moins, ma terre d'exil est-elle moins agitée que notre pauvre Algérie. Ici, point de Groupes Intégristes armés, comme il en exista jadis chez nous, et point non plus d'émules de Daesh, comme il en apparait dans nos campagnes et nos sillons.
Simplement, de temps à autre, quelques explosions nocturnes ou diurnes, quelques résidences secondaires qui s'écroulent ou se fissurent. Des exécutions ponctuelles parfois, mais point de massacres organisés.
La vie locale, qui s'était agrémentée de violence clandestine durant quelques décennies, sans pour autant revêtir la complexité de l'imbroglio irakien, ou la dure condition de la terre palestinienne, est devenue plus sereine depuis quelques mois.
Par contre, une brise marine ayant poussé jusqu'à nous les mœurs siciliennes ou calabraises, voilà que sévissent de petites bandes qui guerroient entre elles et importunent les honnêtes citoyens.
Voici quelques années, la puissance coloniale (je traduis ici la pensée des autochtones les plus virulents) avait envoyé dans l'île un vizir à la poigne d'acier qui s'était mis en tête de rétablir un ordre devenu défaillant. C'est dire l'émoi suscité chez les indigènes, qui fort peu respectueux des interdits, ont pris depuis des lustres quelques libertés avec les lois écrites de la nation française, préférant les leurs, encore à demi coutumières.
Les outrances de ce proconsul, jointes à une étourderie de l'un de ses pétroleurs, l'ont contraint au départ. Depuis, la gouvernance française bénéficie localement d'une moindre considération, sauf parmi ses serviteurs traditionnels et ses irréversibles affidés.
Côté représentation populaire, les listes d'électeurs, non encore expurgées de leurs parasites à votes pluriels, ni des innombrables défunts qui s'obstinent à remplir leur devoir électoral, accouchent d'assemblées territoriales ubuesques selon les uns, mais magnifiques selon les autres.
Ma mère actuelle la France est ici jugée par les uns comme génératrice de persistantes turpitudes et par les autres comme une généreuse dispensatrice de séculaires bienfaits. Aussi ne sais-je plus trop à quelle opinion me ranger. Par saine prudence me rangerai-je sans doute à la dominante. Le juste milieu, en de telles situations, n'est jamais la position la plus confortable, car chaque faction vous houspille, vous tourmente et vous contraint à sa manière.
Pour ma part, très reconnaissant envers mes compatriotes corses – si j'ose me compter parmi eux – du bonheur relatif qu'ils m'accordent, je m'évertue à faire en sorte qu'ils n'aient pas à me considérer comme un islamiste réel ou potentiel, ce que tout musulman est condamné à être ou devenir, si l'on en croit les médias, les experts, les spécialistes en tout genre, et même les romanciers à la mode qui développent cette pernicieuse théorie.
Pour éviter un amalgame aussi grossier, il m'est arrivé de me promener en portant ostensiblement sous le bras quelque exemplaire du Figaro, ou de Valeurs Actuelles, voire même de "Minute". J'ai pu observer, du coin de l'œil, cela va de soi, que cela suscitait chez certains passants un regard où l'étonnement le disputait à l'admiration. Sans doute ai-je alors été pris pour un Kurde, ou bien un Syrien chrétien.
Trêve de digressions. J'espère que la France, - bénie soit-elle - continuera d'accueillir en son sein généreux ses enfants perdus des terres maghrébines et africaines, sans souhaiter pour autant qu'elle accueille en Corsica tous les sans papiers qui peuplent l'univers, car il n'y aurait plus de place pour les bons immigrés de ma catégorie.
Les apatrides sans loi et les métèques sans foi, je préfère qu'ils s'installent à Paris, dans l'Ile Saint Louis, le Marais, le XVI°, et à Neuilly, quartiers où abondent leurs protecteurs, lesquels, à ce qui se dit dit, consomment à grandes louchées le meilleur caviar qui soit, tout en fustigeant avec véhémence les égoïstes qui refusent d'accueillir les migrants du tiers et du quart monde. Ces temps derniers ils versent, paraît-il, d'abondantes larmes de crocodile, en apprenant, grâce aux médias bien pensants, que les migrants sombrent par milliers dans les eaux de l'Euro-Méditerranée.
Dans ce contexte, il m'est, je vous l'assure, fort pénible d'apprendre que nos petits frères beurs ou blacks des banlieues s'adonnent au commerce des stupéfiants, alimentent la chronique des faits divers, ou cassent à la moindre occasion les vitrines des bazars. Ce sont là des incivilités qui m'insupportent, car elles jettent un discrédit immérité sur les centaines de milliers de bons et loyaux immigrés. De plus, elles fournissent quantité de "grain à moudre" à ceux qui se prévalent d'être Français de souche, (même lorsqu'ils ne le sont que de fraîche date), ou apportent en abondance une eau trouble au moulin d'une ligue sectaire que l'on appelle Front National.
Il s'agit là d'un rassemblement gouverné en parfait accord jusqu'à ces temps derniers par un père et sa fille sous les auspices du Saint Esprit. Mais ils se sont disputés vivement pour un détail, et depuis, inondent les gazettes de leurs chicanes.
Je résumerai d'une manière lapidaire le fondement de leur controverse : le vieux avait pour ennemis déclarés ou boucs émissaires privilégiés, le Juif et l'Arabe. La fille, ayant décidé d'absoudre le Juif de tous ses péchés traditionnels, n'a plus que l'Arabe, ou l'arabo-musulman à se mettre sous la dent ou à transformer en épouvantail.
C'est je crois toute leur différence. Ajoutons-y, peut-être, une vague histoire de mignons du sérail dont je ne saurais vous dire les tenants non plus que les aboutissants, car je ne suis pas introduit dans ces mystères.
Je vous quitte car je crois entendre un muezzin, du haut du minaret restauré de la défunte usine Alban, me rappeler à mes saintes dévotions. Vous me pardonnerez la courte explication suivante : l'usine Alban est une ancienne manufacture de tabac qui, au temps soi-disant béni des colonies, importait du tabac algérien pour fabriquer des cigarettes gauloises. Son fondateur avait cru bon de l'orner d'une sorte de minaret. Cette usine ayant laissé place à un immeuble dit "de standing", le promoteur a été sommé de préserver et même de restaurer le minaret au titre de la conservation des monuments historiques. Le résultat le plus évident de cette contrainte est que tous les touristes hexagonaux qui passent fulminent et enragent à la vision de ce qu'ils croient être une insolente mosquée.
J'irai de ce pas, car il se fait tard, déguster un plantureux couscous dans une sorte d'auberge orientale où se pressent ordinairement non point les immigrés de ma condition, mais ceux que l'on pourrait appeler les résidents locaux. Un Pied Noir repenti (si, si, il en existe quelques exemplaires) m'y invite parfois en souvenir de notre passé commun. Du moins c'est ce qu'il me donne à croire. En réalité il s'imagine, je pense, que le fait de partager publiquement un couscous avec un Algérien de bonne mine, lui confèrera la réputation d'un citoyen tolérant, respectueux des différences, et idéologiquement acquis à la nouvelle diversité française.
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