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Accueil du site > Culture & Loisirs > Parodie > Hyper - Episode 3 : Le Stakhanovisme chantant

Hyper - Episode 3 : Le Stakhanovisme chantant


Cela devait arriver, comme disent les Justins Timberlake, « ce qui se passe autour, passe autour » , j’ai fini par accepter un emploi de chef de rayon au Carrouf en Gironde. En réalité, j’ai remplacé un ami qui a eu la délicieuse idée de fusionner son pied avec une tour de palette.

L’accident bête, un ouvrier qui travaillait depuis trois heures du matin en jouant à tétris avec des palettes de couches culottes (je vous rappelle que l’été arrive, et qu’on ne peut plus jouer à « combien de temps bébé tient dans la même couche » du fait de la chaleur). Voyant ses actions placées chez son hôte professionnel s’effondrer, il a voulu faire les trois huit dans la même journée, il s’est heurté à une tour de palette de tampon hygiénique (c’est pourtant basique, tout le monde sait que ces deux produits, en grande compétition, ne peuvent pas se blairer, un peu comme le sodium et l’eau… manque d’éducation probablement). Toujours est-il que mon collègue se trouvait à côté de cette tour de produits féminins sans les chaussures de sécurité (c’est moche et puis on doit se les payer soit même), vous pouvez y voir l’audace du féminisme rampant, et maintenant il ne peut plus raisonnablement prétendre à un spectacle de claquette (les médecins ont dit qu’ils n’avaient pas vu un tel bordel dans les os d’un pied depuis Lucy).

Ce qui est formidable quand on est soit même chef de rayon (c’est à dire moi même), c’est l’emprise qu’on a, et la vision tellement plus large. Par exemple, j’ignorais que les employés du rayon poissonnerie et boucherie pataugeaient, derrière leurs rayons si bien présentés, dans du jus de viscères de leurs animaux respectifs. J’ai beau uniquement m’occuper de la papeterie (non je vous arrête de suite, on dit « Bazar » pour ces rayons, si vous me lisiez plus attentivement, vous le sauriez), je vois beaucoup plus de chose.

On apprend par exemple aussi que les petites étiquettes « plaisir d’offrir » , qui ornent certains produits, ne sont pas du tout là pour vous rappeler que faire des cadeaux c’est avant tout donner la joie et être cool, mais aussi pour cacher des fils métalliques qui sonnent aux caisses (.. ahah comment on l’a bien grillée la racaille qui voulait « pécho » cette carte d’anniversaire avec les trois petits cochons !).

Une autre activité sympa, c’est de placer et déplacer les intervenants des sociétés qui sont là pour faire gouter les produits. Avec Jean-Yves, chef de rayon « vins et spiritueux » , on s’amuse à jouer aux échecs avec eux. Ils sont cools ces gens, ils font un peu les acteurs pour vous faire manger des saucissons, ou encore du grenier médocain (c’est pour les high levels ce produit). Puis ils sont malléables, la dernière fois, on a envoyé un intervenant d’un château s’occuper d’abord de tout le rayon vin (Jean-Yves était fatigué suite à une insolation au tournois de golf inter-supermarché), puis ensuite de celui des bonbons. Quand on est chef de rayon, ces types ne se plaignent pas, un rapport stalinien glisse si vite dans le fax de leurs employeurs.

Je ne suis plus un oppressé du dieu chiffre, je suis devenu un de ses prêtres. Le vigile qui s’occupe des entrées le matin ne fait plus semblant de ne pas me reconnaitre comme il fait avec les CDD qui arrivent une à deux heures avant moi ( Je n’arrive plus à me lever pour 6 heures du matin, je sais pas comment ils font.. ah oui, ils n’ont pas le choix).

Les marchandiseurs, mon ancien poste, sont si drôles du point de vue d’un chef de rayon, mon nouveau poste. Il faut savoir que les entreprises nous payent pour avoir un emplacement dans nos rayons. Plus il payent cher, ou nous graissent la patte sympathiquement, plus leur visibilité est bonne et plus ils ont un potentiel de vente fort (les endroits les plus désirés : entrée du magasin, caisses, allée centrale au niveau des surgelés/fruits..). Donc, on joue avec, on les stresse, dès qu’un produit subit une baisse de vente de 2 à 3% sur quelques jours, on les change de place sans même avertir les entreprises. C’est amusant de voir leurs employés arriver le matin très tôt, ahuris de ne plus voir leurs rayon et le chercher pendant bien une demi-heure Le plus drôle c’est que nous, on paye leurs ventes uniquement à la fin de notre régime fiscal, soit parfois six mois après sur un turn-over assez large.

Mais ne vous trompez pas ! On ne peut pas se passer d’eux, ils fabriquent d’eux même des sortes de rayons en carton coloré pour attirer le client, qu’on appelle concepts. Ces derniers rappellent la joie qu’on éprouve dans les parcs de Walt disney pour le client. On en profite souvent pour coller nos propres produits. Le plus drôle, c’est quand avec jean-yves, on met des produit à nous (comme des rouleaux de papier adhésif sur un concept de carte postale) et qu’on engueule la personne qui est employé à charger le dit concept sous prétexte qu’il a oublié de placer le prix des dit-articles qu’on a ajouté. C’est tout benef, on met des produits (qui en rayon ont peu de visibilité) sur le concept qu’ils paient, sur un emplacement qu’ils paient et rangés par un étudiant qu’ils paient également.

D’ailleurs en parlant d’étudiant, il faut que vous sachiez que la première mission de mon nouvel emploi était d’en embaucher un ou deux pour travailler sur un rayon particulièrement détesté : le rayon bricolage. Il est détesté parce que tous les 4 à 6 mois, on organise des inventaires et c’est l’un des endroits où on se blesse les mains, les sachets d’écrous sont souvent très dur a compter, la poussière est omniprésente. Quoi de mieux qu’un étudiant qui est obligé de manger qu’une seule fois par jour ?

Outre l’aspect très soumis chez un étudiant, il y a un avantage notable à en employer un. D’un côté, les employés de mise en rayon d’un supermarché ne sont souvent pas très diplômés, et d’autre côté, on a des étudiants en cours d’être diplômé. De par leur éducation, les étudiants ont plus de répartie quand on leur demande de faire quelque chose (exemple : il est plus dur de demander à un étudiant d’enchaîner le matin sur la plage 6h – 9h le rayon boucherie et de revenir le soir pour une plage de 22h – 0h pour faire l’inventaire du rayon stylos … puis si il est bien malléable, lui faire faire toute la partie « bazar » ), il ont plus tendance à rationaliser le travail qu’on leur demande. Ça pourrait être un problème, d’autant plus que certains employés peuvent se rendre compte, avec eux, que leur travail les rend abrutis, voire être tentés de faire des études, mais ça ne l’est pas, bien au contraire. Concentrez-vous une seconde, vous allez comprendre.

Le tout est de jouer sur les préjugés qu’on a sur les étudiants. Comme leur travail en école est rarement quantifiable et qualifiable pendant l’année, on les traite de fainéant. Même si ils se lèvent à six heures comme tout le monde, il font moins d’heures (puisqu’ils vont à l’université ou dans leurs écoles après la fin de leurs service à 9h). En insistant sur ça, les employés se trouvent grandis (ils sont plus qualifiés que les étudiants). On met ce principe en scène en faisant des engueulades publiques, comme ça les autres employés se sentent « formés » , « anciens » et « gradés » . Il faut travailler ça en amont, on donne des responsabilités à des employés (genre signer sur un document pour accuser réception ou encore demander au vigile d’être plus gentil sans qu’il le sache... ou plaisir suprême, serrer la main du chef de rayon avec une petite blague – si c’est une blague « sexe » c’est d’autant plus valorisant). Les étudiants permettent de renforcer cette impression.

Du coup, quand ils voient des étudiants, ils ne sont pas envieux, ou simplement normaux, il y a un léger air de supériorité qui se dégage, le rationalisme sur l’emploi qu’ils occupent s’évapore complètement. Heureusement, sinon ça fait longtemps que le siège aurait brulé sous les hurlements socialistes.

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La semaine dernière j’ai surpris l’une de nos employés à hurler dans la réserve du magasin parce que l’étudiant que nous employons avait mis (le fourbe !) ses cartons usagés dans la poubelle de recyclage attribuée à l’employée gueulante. De son propre chef, et au lieu de penser que l’étudiant n’avait pas été briffé, voire penser que ce n’était pas grave puisque tout va dans le même bac au final, elle a usé de son « grade » . J’aurais presque versé une larme de joie.

L’une des plus grande monnaie d’échange pour ce pseudo système de valeur, c’est le tire-pal. Sauf utilité réelle, attribuer à telle ou telle personne un tire-palette est une sorte de médaille. Comme l’argent : quand on en gagne c’est parce que quelqu’un en a perdu. Et bien là, c’est pareil, je prend un tire-pal à quelqu’un qui n’a pas rigolé à ma blague sur les deux prostituées et la banane, ou encore qui n’a toujours pas compris que l’on place un produit sur un rayon de façon à ne pas voir le code barre (car celui-ci rappelle au consommateur qu’un objet est payant et donc ne le fait pas rêver), PAF, je lui prends son tire pal pour le donner à un autre plus méritant.

Le plus drôle est de voir les employés le matin se battre pour en obtenir un. Comme des clients à l’ouverture du samedi matin, il se ruent comme des malades dans les couloirs de la réserve pour en trouver un de libre (sinon ils doivent tout porter à la main et avoir des maux de dos insoutenables). Parfois avec Jean-yves, on s’amuse à les cacher dans tout le magasin, c’est un peu pâques mais en plus drôle. Ah oui, si vous vous posiez la question, les chefs de rayon ont évidement leurs tire-pals, généralement mieux faits (système électrique) avec un accessoire qui orne le manche signifiant son appartenance. Et quand quelqu’un ose le prendre, souvent un étudiant, on a même pas besoin de lui dire, les employés se chargent eux même de les engueuler, c’est le signe qu’on a bien fait notre travail, mon directeur est content et me paye une pizza hut dans la galerie marchande du supermarché.

Grâce à ce système de hiérarchie factice, des gens prennent plaisir à travailler tard, à venir le dimanche (ils se sacrifient pour le groupe, mais en fait c’est juste pour avoir leurs tire-pals). On joue aussi avec la relation client, on fait nous aussi les serpillères devant eux quand ils nous posent une question, et derrière on les traite d’attardés avec les employés. Si donner des médailles aide nos employés à se sentir concernés, avoir un ennemi commun est essentiel pour qu’ils avalent la pilule sans discuter.

Kim Jong Il n’a qu’à bien se tenir.

La prochaine fois je vous apprendrai comment mettre la chainette du caddie dans le trou du même caddie.


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4 réactions à cet article    


  • romaeterna romaeterna 31 juillet 2009 10:51

    Une magnifique parabole sur la VIE !
    Merci


    • jakback jakback 31 juillet 2009 12:00


      Fred,
      Bravo, bien écrit, ironique, cynique juste comme il faut, mais tellement vrai !!
      Encore un effort, placer 3 produits sur 1 seule tête de gondole, et Hop ! chef de secteur.


      • avogt 31 juillet 2009 16:34

        Magnifique. On dirait du Zola décrivant la misère humaine.


        • Avalon_Girl 9 septembre 2009 01:03

          Sublime Xercice de sociologie appliquée !

          & un sens de l’humour virtuose digne d’un one-man show !  smiley

          J’adore l’iconographie de la fessée, Xactement dans le ton du sujet, sinistre derrière le prétexte d’amusement ...

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