Je te promets le sel…
Hep ! Oui, vous. Vous ne savez pas pour qui voter, hein ? Peut-être même n’allez-vous pas voter du tout. Ça vous prend comme une envie, quand la ville est endormie… Je peux comprendre. Allez, montez dans ma vieille Ford Capri, je vous raconte. On sera tout seuls, peut-être, mais peinards.

Je sillonnais la campagne en pleine période électorale, un bras à la portière, un peu dégoutté de tout.
Dans un bourg, (la Hollandie, c’est limité à 50, faites attention), j’ai dû stopper car un candidat battait la pavé. François Netherland, un ancien gros qui voulait nous mettre au régime. Il y avait du monde derrière. Il serrait des mains, répondait aux questions, mais se retournait toujours au préalable vers un type qui le suivait de près avec une espèce de mallette. Une machine à promesses, j’imagine. A une question d’un jeune dame énervée sur la sécurité routière, il répondait sans ambages qu’à présent que la mortalité avait été diminuée par 4 en 35 ans, il fallait prendre des mesures drastiques : limitation à 50 km/h sur autoroute, 40 par temps de pluie. Seuls les non-imposables pourraient pousser une pointe à 60, mais par temps clair seulement.
En agglomération, c’était encore plus simple : il préconisait que chaque automobiliste descende inspecter la rue et les carrefours à pied pour détecter tout danger, et ne revienne à sa voiture qu’après. A un jeune homme qui lui faisait observer que dans le laps de temps, un danger pouvait survenir de nouveau, il répondit sèchement : « écoutez, je ne suis pas là pour polémiquer, la loi sera la même pour tous, et je la ferai respecter ».
Bref, j’avais perdu une heure dans les bouchons et personne n’avait répondu à la question existentielle qui me taraudait depuis longtemps : quelqu’un va-t-il enfin prendre à bras le corps la question prégnante de l’interdiction de stationner devant chez moi ?
Je suis remonté dans ma vieille Ford Capri, et j’ai cru que c’était fini (Ndlr : elle vous plait celle-là, hein ?)
Mais non, j’ai tourné le bouton de la radio, et il y avait un mec, un vrai, qui chantait « je te promets le sel au baiser de ta bouche, le miel à ma main qui te touches… ».
Ca m’a plu.
D’autant qu’après, il ajoutait :
« Et même si c’est pas vrai, même si on te l’as trop fait
Si les mots sont usés, comme écrits à la craie
Légers comme du vent,
Peut être avec le temps,
A la force d’y croire
On peut juste essayer pour voir ».
C’était décidé, j’allais voter pour ce Johnny Ali Day.
Les diesels et les monospaces seront taxés à 69%. Le retour du super plombé détaxé sera acté, comme les Buick Thunderbird déductibles des impôts, la suppression des couloirs de bus, remplacés par des couloirs pour Harley. Une politique sociale qui aura de l’allure : distribution gratuite de Gitanes sans filtres dans des entrepôts appelés « les poumons du cœur ». Détaxe complète sur le gin tonic et le Brouilly.
La chirurgie esthétique remboursée par la S.S. Le Viagra en vente libre dans des distributeurs de rue. Parce que les capotes, c’est bien, mais faut avoir quelque chose à mettre dedans. A quoi ça sert le cochonnet si t’as pas les boules, hein, comme disait un copain parti avec Kadhafi dans le désert de Gaby ?
Ouais, pas un programme commun, un programme sérieux.
Parce que les classes moyennes, les classes ouvrières, les classes laborieuses, basta, on s’en fout, on a donné.
Ce qu’il me faut, c’est un programme pour les classes malmenées. Malmenées par les années. Qui dira l’horreur des outrages subis depuis 15 ans ? Angeot, Nothomb, Pulitzer, MPokora, les cellules psychologiques en cas d’accident d’avion et photovoltaïques en cas de canicule, les radars automatiques, l’interdiction de fumer dans les restaurants en mangeant une andouillette 5A de chez Moodis. Le Livret A bloqué à 1,50%, les salaires des fonctionnaires gelés en plein février, par moins 14°c en forêt de Rambouillet.
On a morflé.
La reprise de relations diplomatiques normales avec la Suisse, ce grand voisin trop longtemps ignoré. Pour consacrer ce redoux sur le Cervin, il créera l’ « Helvète Underground », un band à tout pêter, ça aura de la gueule, avec des riff à réchauffer Lausanne et ses coucous de frangipane. Lou Reed se fera tout petit devant. Il prendra un billet pour écouter dans le noir, anonyme.
Raphaël envoyé en Corée du Nord planter du cannabis dans les rizières en chantant l’Alléluia de Jeff Buckley, jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Camps de rééducation pour les rappeurs, les handicapés du sampler, les chanteuses énervantes.
Et Hop, dehors le Hip.
A queue oui, des mesures immédiates seront prises pour frapper l’opinion dans les premiers 100 jours de son mandat. Il me l’a dit.
-Réouverture immédiate du Golfe Drouot et du Bus Palladium (financement par la RATP).
-Sylvie Vartan secrétaire d’Etat aux pays de l’Est.
-Partage des richesses et lutte contre la misère sexuelle : les mannequins de chez Elite devront passer deux nuits par semaine sur le matelas des précaires, des intermittents du spectacle de la bandaison, des laissés pour compte de la tirette. Pour tourner, ça tournera. Tournante assurée. Ca va couiner dans les chambres de bonnes. Du travail de pro, sans un seul amour, sans un seul ami, mais il flottera dans Paris comme une envie. Plus d’érections honteuses et solitaires, à l’heure où d’autres s’aiment à la folie.
-Introduction des tickets restaurant à la Coupole et à la Closerie des Lilas (pour intermittents du spectacle seulement)
-Limitation de vitesse à 120 miles sur les Nationales (200 km/h environ).
-Si d’aventure un conflit armé nous opposait à l’Ossétie du Nord ou aux Maldives, nos valeureux soldats ne reviendraient plus sous des bâches kaki alignées dans un Transall pour entendre la Marseillaise et la marche funèbre aux Invalides, devant un parterre d’emperruqués en costard pressés d’aller liquider leurs positions chez Bolloré avant de bouffer chez Taillevent. Non, Johnny sera là, en personne, pour rendre l’hommage de la Nation. Et ça aura de la gueule lorsqu’il chantera « Ô Marie, si tu savais, tout le mal que l’on m’a fait ». Et le silence se fera naturellement sur les Invalides, avec les poils des avant-bras qui se dressent et tout et tout…
-Enfin et surtout, une vraie politique de la mort. Cette salope d’édentée s’est trop servie
impunément des meilleurs morceaux ces dernières années, sous la droite comme sous la gôche. A ce sujet, le programme de Johnny est clair : ressusciter Bashung, Ferré, Nougaro et Jacno (éventuellement Brel, mais on ne peut pas non plus porter toute la misère du monde sur nos épaules, et puis les belges sont-ils des gens comme nous, hein ?)
On les échangera contre Mahé, Fiori, Biollay, Bruel et Raphaël.
L’échange aura lieu à la tombée de la nuit sur le pont de Tancarville, sous contrôle d’un huissier de la SACEM. La camarde arrivera comme à son habitude, nonchalante et sûre de son coup dans sa vieille Camaro noire tous feux éteints. Derrière, elle traînera sa remorque avec tous nos potes, et ça fera du monde. Nous, on sera là, embusqués dans nos Ford Mustang à flammes oranges peintes sur le capot, et quand l’échange sera fait, on niquera la faucheuse au LRAC et au lance-flammes, ouais, on la pulvérisera façon puzzle, elle et ses dents pourries, sa langue violette, son tibia en guise de levier de vitesses et son air arrogant, oui, tout, je vous dis, on niquera tout et les humiliations disparaîtront.
Epicétou.
Voilà, j’étais content. Moi le blasé, le douteur systémique, je crois bien que pour une fois j’allais voter. Voter Johnny Ali Day. Ce mec m’avait redonné l’envie d’avoir envie. Je sifflotais un air du genre :
Qui mettez tant de grâce à vous retirer du jeu
Il faut qu'une main posée sur votre épaule
Vous pousse vers la vie, cette main tendre et légère"(1)
Ça a fait un bruit d’enfer de percussions, de batterie, de drums et de cuivres. J’ai eu même pas mal.
J’suis mort heureux, en chantant.
C’est pas encore cette année que je vais voter.
(1) Tennessee Williams

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