La cérémonie des vœux

La fève pour le fardeau…

Les dotations viennent à manquer, le budget de la commune est exsangue et pourtant, il convient de ne pas lésiner sur la belle cérémonie des vœux de monsieur le maire qui attend mettre les petits plats dans les grands afin de s'auto-célébrer comme chaque début d'année. Le rituel est bien en place et tout contribue à la réussite pleine et entière d'une entreprise locale de communication pour leurrer les gogos.

Les gogos sont tous ceux qui viennent en grand nombre pour profiter de la galette et des bulles et de cette magnifique salle communale qui leur ouvre en grand ses portes. Rien n'est trop beau pour l'échevin et ses fidèles courtisans, ceux qui font barrage pour lui épargner de s'apercevoir qu'un peu plus chaque année, sa ville se meurt, perd de son aura, tourne au ralenti.

Il convient de fermer les yeux car l'essentiel est ailleurs. Monsieur le premier édile a de l'ambition en dehors de sa ville. Il aspire à un poste national pour satisfaire pleinement un ego qui s'est trouvé gonflé au fil des années et d'une domination sans partage sur sa cité. En muselant l'opposition, en faisant des conseils municipaux une simple chambre d'enregistrement, en se refusant à écouter les critiques, il s'est persuadé d'une stature que les faits, hélas, démentent un peu plus chaque jour.

La cérémonie est une formidable occasion de se conforter dans cette illusion. Il est le meilleur, ce qu'aiment à lui faire croire ses seconds qui se sont faits les virtuoses de l’obséquiosité. Quel que soit le niveau de gouvernance dans ce pays, la Monarchie semble avoir fait des émules. Le phénomène est si puissant qu'il arrive toujours malheur à qui ose donner un avis contraire face au potentat d'opérette.

La démocratie locale ne supporte aucune discussion tandis que le débat d'idées est proscrit. Seule l'invective est de mise par désespoir de cause tandis que le souverain balaie d'un revers de main toute contestation. Le pouvoir se mesure lors de cette cérémonie qui ne tire pas les rois par hasard. C'est bien ce qu'il est question en ce jour merveilleux, comme chaque année le premier magistrat est oint non d'huile sacrée mais de la margarine de ces galettes bon marché...

Les pains surprises sont de sortie pour devancer un discours sans surprises où les plus dubitatifs apprennent qu'ils vivent dans une ville dynamique où tout va bien grâce à la merveilleuse gestion d'un formidable maire, toujours à l'écoute de concitoyens qui pourtant n’ont pas droit à la parole le reste de l'année. Seul le pain crée la surprise tandis que le discours est si convenu qu'il eut été possible de l'anticiper.

Quant à la qualité du dit discours, il fleure bon son improvisation. La force de l'habitude alliée à la certitude de maîtriser parfaitement le sujet et la forme évite au tribun des rassemblements convenus d'improviser dans un français approximatif. Monsieur le prévôt de la cité ne pérore pas pour l'histoire de la littérature, il ratiocine tout en ratissant large pour ce fameux consensus mou qui lui permet d'envisager sereinement une réélection sur un bilan purement virtuel.

L'assistance lève déjà son verre à la réussite future du grand homme. Un pétillant fade et trop sucré sera de la fête au frais de la princesse pour démontrer à tous que dans la coupe, il n'y a pas que les bulles qui explosent en vol. Un dixième de la population assiste au spectacle tandis que dans les rangs du conseil municipal, on compte les absents.

La cérémonie, ce rite prétendument républicain a tout de l'ancien régime, celui qui permettait encore de boire de l'alcool au mois de janvier pourvu que ce soit aux frais du contribuable. Je n'ai d'ailleurs pas eu besoin de me rendre dans une cérémonie quelconque pour narrer ce grand moment. Il suffit d'un peu d'imagination pour décrire cette farce qui perdure en maints endroits en dépit des restrictions budgétaires qui ne s'appliquent jamais aux frais de bouche, semble-t-il.