La Fête à Gnakron !
Les évènements se télescopent parfois comme des autos carambolées.
Un an déjà que Gnakron, le guignol rebadgé dieu vivant sévissait.
Tandis qu'aucunement politisé, Victor Siffonné méditait sur une offre aperçue sur le Net. C'est le titre de l'annonce qui l'avait intrigué : ''vend lot de piques et de fourches, prix intéressant'', le nom du vendeur ; ''Danton de Saint Just'' était original aussi.

Lassé du télé-achat, dont les rêves mystificateurs le ravissaient au-delà du réel, surtout depuis que son idole Bellemare avait déserté le plateau, Victor Siffonné avait émigré sur le Web. Le Bon Koin, ce nom fait chaud au coeur, un koin qui est bon, un endroit sympathique où vous trouvez tout ce que vous voulez, normalement, et il y a plusieurs sites du même genre.
Ça va de la maison de vos rêves à la voiture de sport ou de collection, moto (de sport ou de collection), femme (de vos rêves, de sport ou de collection), chat, briquet, chaise, casserole, chien, oiseau, carburateur, iguane, timbres, crucifix, cuisine équipée ; aux restes douteux du regretté Jauni récemment disparu. Un malandrin vicieux intéressé aurait même mis en vente sur ce fameux Bon Koin une culotte médicalisée de l'idole des jeunes en fin de vie, avant d'être rattrapé par les fans outragés, dénoncé et puni à la hauteur du sacrilège inouï.
Dernièrement un maire indélicat aurait même revendu sur le bon koin le matériel agricole d'entretien d'une petite commune à hauteur de 30 000 euros, quand même. C'est son pseudo foireux qui l'a trahi, peut être son surnom à la ville que la secrétaire de mairie a reconnu ; Boubou1 ou Doudou2, suite à l'exaction l'édile a été chassé du poste. Il y a eu aussi un type qui s'est fait braquer sa voiture avec un revolver sur la tempe par un cyber-voleur appâté par son Odi haut de gamme, ces incidents restant heureusement exceptionnels sur les sites de vente de particulier à particulier.
Siffonné à la recherche de bonnes affaires avait été surpris par cette offre alléchante. La description du lot était assez amusante :
''Lot de 3000 piques en parfait état, manche en bois véritable serti d'une pique en fer forgé effilé, très jolies, avec un crochet arrondi en hameçon. Jamais servies, tout à fait adaptées à la préhension de têtes fraîchement guillotinées, qui pourront être ainsi élevées à une hauteur suffisante pour que les proches (survivants) et les ennemis des victimes les reconnaissent, même de loin. Ces piques vous donneront entière satisfaction.
Nous proposons également 5000 filets de gladiateur en corde infroissable et 12000 fourches spécial-zélite à trois branches en poirier taillé dans la masse, très pointues, elle peuvent pénétrer facilement le gras ventral des zélites repues dont l'embonpoint proverbial dû à la suralimentation est une caractéristique récurrente.
Avec ces fourches en parfait état, peu utilisées et très solides, vous pourrez enfourcher tous ceux que vous estimerez coupables de vous avoir lésé. Une fois capturée au filet et perforée au sol, l'élite ne peut que se débattre inutilement dans des souffrances atroces avant de trépasser.
Vu la largeur des trous sophistiqués causés par ces fourches spécialement conçues pour favoriser les hémorragies internes ; les convulsions terminales de durent jamais plus de 2 ou 3 minutes, ce qui, en terme de rendement équivaut à plus ou moins 25 élites achevées à l'heure pour chaque piqueur. Parfois, l'élite vous propose d'échanger sa vie contre des petits (ou gros) cadeaux ; Rolex, maison sur la mer, Porsche, limousine, yacht...
Libre à vous alors d'accepter le deal et de laisser le ou la zélite en vie, à condition évidemment que vous ne l'ayez pas encore percée. Mais, si votre intransigeance vous pousse à la justice immanente et que les cris d'agonie vous lassent, nous avons aussi en stock des tonfas et tasers qui vous permettront d'assommer ou de neutraliser vos cibles afin qu'elles meurent en silence. Pas de détail, vous devez acheter le lot complet ; soit 20 000 outils très efficaces. Nous vous offrons aussi gratuitement pour l'achat du tout 12 grenades à manches datant de la seconde guerre mondiale, une dizaine de masques à gaz anti-crs, 8 arcs néo-zélandais avec des flèches empoisonnées et 3 dagues waffen-ss originales à manche en ivoire très recherchées pour combat au corps à corps, pas sérieux s'abstenir.''
Le prix ridicule de 120 euros seulement pour tout le lot décida Siffonné à téléphoner au vendeur, c'était l'affaire de sa vie. Un rapide calcul fit entrevoir la somme rondelette qu'il pourrait amasser facilement, s'il revendait même deux euros pièce les 3000 piques, 5000 filets et les 12000 fourches de qualité il pourrait gagner 40 000 euros en un clin d'oeil et se payer un voyage à Tahiti tout l'hiver, et ainsi échapper au froid des Alpes.
L'affaire conclue, Siffonné monta dans son camion à plateau des années cinquante qui ressemblait à celui de 100 000 dollars au soleil.
Le vendeur possédait une ferme immense située dans la banlieue parisienne, il l'attendait, ses employés sous payés, des migrants, chargèrent les fourches et les piques en pile comme des assiettes au fond du camion. Siffonné paya et partit.
Il faisait beau pour fin avril, mai allait bientôt démarrer. Ses emplettes pointues cliquetaient au gré des bosses de la route que les lames à ressort de la suspension canonique du Berliet baroque secouaient vivement.
Un gendarme couché mal négocié fit sauter par dessus bord une centaines de piques qui se plantèrent à la verticale dans le goudron, Siffonné assourdi par le bruit infernal du moteur se concentrait au guidon. Une des piques qui avait décollé plus haut que les autres harponna contre un pommier un paysan qui passait par là.
La route était longue à cette vitesse, et Siffonné ne voyait pas que derrière lui, les fourches et les piques s'échappaient du camion comme les cailloux du petit poucet.
La trappe qui fermait le plateau s'était entrouverte et les instruments agricoles tombaient au fur et à mesure des vibrations du diesel et des nids de poule, la route était à présent parsemée derrière lui de centaines et bientôt de milliers d'objets pointus.
Le feu rouge à l'entrée de Paris s'était déréglé et durait plus de 10 minutes.
Soudain, un vacarme monstrueux résonna derrière lui, comme un coup de tonnerre allongé, un brouhaha paranormal ; mélange de grognements inhumains, de bruit de scie et de hurlements si fort qu'il fit se retourner Victor Siffonné par la fenêtre.
Au loin, un nuage de poussière et une masse informe grossissait à vue d'oeil...
Lentement, insensiblement, les contours de cette vision printanière se précisèrent et il put distinguer enfin qu'une cohorte de gens en vrac s'avançait vers lui. C'est alors que Siffonné réalisa que son bien avait disparu, plus de fourches ni de piques ; adieu veau vache cochon, fini Tahiti.
Le bruit augmentait et provenait bien de cette foule imago-irruptive.
À mesure qu'elle approchait, Siffonné réalisa que tous ces gens étaient armés de fourches et de piques ! Il comprit alors que toutes ces armes étaient les siennes. Bien décidé à récupérer ses affaires, quand le cortège arriva à sa hauteur, Victor interpella celui qui semblait en être le chef, un certain Grefus, flanqué du lieutenant Nigru ;
---- Que faites vous avec mes fourches ? Rendez-moi ça ; c'est-à-moi !
Dit Siffonné,
---- Non, aujourd'hui c'est la Fête à Gnakron ! Nous devons accomplir notre mission libératrice, déloger les imposteurs qui infestent le parlement, l'élyzée, et pillent nos économies…
Siffonné, scotché sur Tf1, Rance-Info et Bfm par ce qu'il était tombé amoureux de la sinueuse Route Elle Crie F avait voté Gnakron, comme ça sans réfléchir, alors il croyait qu'on avait vraiment élu un Dieu, un fabuleux guerrier économiste dont on avait de quoi être fier, il dit ;
---- M'enfin ? pourquoi en voulez-vous comme ça gratuitement à notre Bon, notre Grand et Vertueux Président Gnakron ??? De quoi parlez vous, quelle mission ? Et d'abord rendez moi mes piques !
---- Non, qu'est-ce qui nous prouve que ces outils vous appartiennent ? Nous avons trouvé ces trucs sur la route et avons réalisé que la Providence nous indiquait subtilement la marche à suivre pour nous débarrasser d'en marche', d'ailleurs voyez, toutes les classes sociales sont rassemblées ici derrière moi ; cheminots, notaires, postiers, numismates, ramoneurs, bourgeois, manutentionnaires, trolls, mathématiciens, menuisiers, épiciers, migrants, agoravoxiens, communistes, droitards, apprentis, frontistes, verts, cosmistes, insoumis, taxis, routiers, infirmiers-mières, dentistes, plombiers, fonctionnaires, bouddhistes, juifs, chrétiens, musulmans, sikhs, nous avons même un asselinoïste avec nous c'est pour vous dire !
–— Non ? incroyable !
–— Oui frère Siffonné, le fameux 1% est avec nous, enfin c'est pas exactement celui contre lequel on lutte mais tant pis ; au gré de ces rencontres spontanées nous formâmes un tout de Riens bien décidés à chasser la zélite comme la bécasse, hein les gars ; tous à la Bastille, ah ça ira ça ira ça ira !
---- OUAIS, ON VA TOUS LES CREVER !!!!
Répondit la foule enflammée ; cristallisée derrière colonel Grefus.
Le lieutenant Nigru lui, remontait la colonne des insoumis à l'envers et vérifiait que tous étaient bien équipés, au moins d'une fourche ou d'une pique. Les filets de rétiaire étaient distribués aux enfants joueurs ; bambins attendrissants qui ne demandaient après tout qu'à aider les parents lésés en capturant la zélite, soutenant par amour filial leurs géniteurs aigris dépossédés par imposteurs interposés, qui pillaient leurs économies, saccageaient le modèle social et revendaient par bout le pays.
---- Bon ça va j'ai compris dit Siffonné, j'aurais dû me méfier aussi, tant pis pour moi…
–— Que voulez-vous dit Grefus, ainsi va la vie ; nous sommes parfois obligés de dire ou faire le contraire de ce que nous pensons, ou disons, ou le contraire, enfin c'est pas évident-dent-dent.
–— Oui mais merde, quand même ! Quand je pense qu'à cause de moi le Président Gnakron risque de finir enfourché, piqué... pendu peut-être ? Tout ça parce que j'ai acheté un lot d'outils de jardin sur le Bon Coin… Torturé, brûlé même... que sais-je ? Et sa jolie tête si bien maquillée sera promenée au bout d'une de mes piques ? à l'insu de mon plein gré, avec celle de sa si adorable compagne... non, c'est trop cruel… Et le petit panda si mignon, comment finira-t-il le pauvre ?
---- Pour ça t'inquiète, camarade Siffonné dit Grefus, mon ami Nigru a promis de s'en occuper personnellement.
---- Oui chef ! Moi, lieutenant Nigru je vais chopper cet ourson ruineux, l'achever à la batte de base-ball pour ne pas abîmer sa fourrure et en faire un coussin ou un abat-jour… Ou alors, je vais peut-être le nourrir encore quelque temps pour qu'il grandisse, et il finira en pelisse que je porterai fièrement les jours de bal.
---- Ah ah ah, c'est une bonne idée continua Siffonné voulant rentrer dans ses frais : Oh ! je vois qu'il reste une douzaine de fourches au fond du camion, quelques grenades new old stock avec des arcs et des flèches empoisonnées, je vous les vends 120 euros, d'accord ?
---- D'accord, tenez, finalement c'est pas cher, et on en a besoin ; face aux anti-coagulants nous devons être vigilants…
Siffonné prit son argent, rentra chez lui et se jura de ne plus fréquenter le bon koin.
Moralité ; quand tu veux faire des affaires, vérifie l'état du camion.
Mai 2018
Piere Chalory
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