La targette récalcitrante

Interloquée.

Elle avait vaille que vaille rempli sa fonction depuis si fort longtemps qu'elle se pensait immuable tout autant qu'irréprochable. Elle barrait un accès qui exigeait la plus stricte intimité sans démonstration spectaculaire. Elle remplissait sa mission, accordant à ceux qui avaient recours à ses services cette tranquillité qui sied en ce lieu intime.

Elle aurait pu laisser sa place à une clef qui eut certainement, au fil du temps, joué la fille de l'air, en disparaissant dans quelques menottes espiègles afin d'imposer un vilain tour à un utilisateur pris soudain au dépourvu. Elle s'était fixée à sa porte, se contentant d'une translation qui remplissait pleinement son office.

Le loquet aurait quant à lui mis le pied à l'étrier pour obtenir le même résultat. Le choix eut été alors entre la barre pivotante ou la barre glissante pour qu'un mentonnet interdise à quiconque de venir perturber celui qui avait eu recours à ses services. À bien y réfléchir, la targette semblait plus simple d'emploi et plus fiable d'utilisation. Il n'y avait pas à tergiverser…

Le verrou et sa mollette à tourner auraient eu fière allure même s'il préfère de loin barrer les extérieurs. Sa puissance mise au service de ce modeste édicule eut été fort déplacée et pour le moins disproportionnée. La targette tenait la corde devant un système qui aurait intrigué ceux qui auraient eu à le mettre en branle.

Le crochet de verrouillage dans sa simplicité eut pu tout à fait convenir. Un petit anneau pour le recevoir et le tour est joué. Fort simple dans son principe, il a pour handicap principal d'avoir jadis été le système préféré de toutes les tinettes à l'ancienne. Quoique l'usage était de même nature, le confort sanitaire avait exigé un moyen plus en adéquation avec ce lieu d'aisance.

Ce fut donc une modeste targette qui protégeait l'utilisateur d'une intrusion inopportune alors qu'il était en plein effort. On peut sans risque de se tromper, affirmer que dans cette dimension, l'objet en question donna pleinement satisfaction. S'il s'en était tenu là, personne n'aurait pensé émettre la plus petite récrimination.

Mais voilà que notre targette se montra en maintes reprises, récalcitrante lorsqu'il s'agissait de libérer son utilisateur, alors soulagé de son fardeau. Elle se bloquait de manière aussi mystérieuse qu'angoissante, transformant l'usager en un séquestré dans ce réduit fort peu agréable pour y vivre une incarcération.

La panique prenait alors le pas devant ce mauvais coup du sort. L'enfermé se trouvant dans l'obligation de faire savoir son désarroi afin qu'une bonne âme vînt à son secours. Tambouriner sur la porte est toujours possible pour peu que passe à proximité un quidam bienveillant. Mais dans pareil cas, que pouvait bien faire celui qui se trouve devant une porte close sans système de fermeture de ce côté-ci ?

Si le samaritain est de la maison, il peut alors donner les bons conseils, la stratégie adéquate pour libérer la targette bloquée. Une simple pression sur la porte et le tour est joué. Dans un autre cas de figure, il lui faut avouer son impuissance à celui qui se morfond dans sa geôle. C'est alors que monte l'angoisse de l'emmuré.

Mais le plus alarmant se produit quand la victime se rend compte soudainement qu'elle est seule dans la maison. Elle se reproche amèrement d'avoir voulu s'enfermer dans pareil contexte mais c'est bien tard pour y penser. Il lui faut appeler au secours. S'il dispose de son téléphone, il entrevoit la perspective d'une libération prochaine pour peu qu'un correspondant soit à portée d'intervention.

Dans l'autre cas, il lui faudra attendre de longues minutes dans une position qui quoique pas forcément inconfortable, finit par lasser, ankyloser le corps et tourmenter l'esprit. L'inconfort peut être alors doublé de quelques effluves nauséeuses laissées par la victime elle-même.

Tous ces cas de figures, à vous brièvement exposés, se sont produits dans cette maison à la targette récalcitrante. Pour des raisons qui échappent à toute logique, les propriétaires de la demeure n'avaient jusque-là pas considéré utile d'en modifier le système, jouissant même de cet incident, pour alimenter la chronique locale. Mais cette fois, il y avait beaucoup de monde dans la maison et la chose ne pouvait passer inaperçue.

La targette fut promptement dévissée, laissant la porte sans fermeture certes mais sans la possibilité sournoise d'emprisonner quiconque. Le réveillon pouvait se poursuivre avec tous les convives après une curieuse animation dans une pièce qui habituellement n'est pas de celles qui se trouvent au centre des préoccupations collectives.

Désormais, il n'est plus possible de s'enfermer dans cet endroit que je chéris tout particulièrement. J'aurais aimé écrire ce récit en ce lieu, comme j'en ai l'habitude en ma demeure, mais il y a la crainte d'être surpris en plein travail. Il se peut que cet empêchement soit la porte ouverte à quelques maladresses rédactionnelles. La force de l'habitude sans doute...

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