Le cou en première ligne
Quand les glands se dissimulent la glotte, l'hiver sera rude
Même les valets de pied se montent du col.
Le cou a la curieuse tendance de humer mieux que n'importe quelle autre partie de notre corps, l'air du temps et les menaces sournoises. Support pas toujours gracieux pour qui a la tête sur les épaules, il tire parfois en longueur et souvent en langueur. Le malheureux se trouve en première ligne quand le vent mauvais vient à souffler, il doit alors se couvrir, se protéger ou prendre ses jambes à lui-même.
Le cou, quand tout va bien s’exhibe, se parant de curieux hochets qui marquent la distinction sociale, tente d'en imposer en dépit d'une tête qui ne nous revient pas toujours. Chez les mâles dominants, la cravate sert de nœud coulant prémonitoire pour qui veut étrangler ses inférieurs, les étouffer et les prendre de haut. Le nœud papillon, plus aérien, n'en est que plus fourbe, il signifie que son porteur veut prendre de la hauteur pour mieux mépriser les misérables gueux.
Chez les femmes de la haute, le cou est une devanture de bijouterie où le collier n'a rien à voir avec celui qui entrave les travailleurs. La gorge dégagée, il convient d'étaler ses richesses et de trouver le substitut le plus commode pour enfin briller en public. La tête de linotte parvenant ainsi à faire des éclats en dépit de son immense vacuité.
Le cou à force d'attirer ainsi les regards devient la cible préférée pour tous ceux qui ne supportent plus les humiliations. Il permet alors de raccourcir la distance sociale, de couper pour rétablir une équité illusoire. Car même après avoir tranché dans le vif, les plus colériques rétablissent l'ascenseur social en plaçant une tête privée de son cou au bout d'une pique.
Notre Monarchie si peu Républicaine, sentant le vent de la révolte sourdre dans le pays, craignant de gorger les sillons de son propre sang, a décidé de cacher le cou de ses élites en leur conseillant le col roulé. La chose est d'importance, c'est la mesure phare de cette révolution énergétique. Le cache col ne suffisait pas à vaincre les difficultés de l'heure et risquait fort de servir de point d'appui à qui voudrait serrer le kiki de ses tristes sires.
Le col roulé sera la nouvelle marque de pouvoir ce à quoi les valets de pied se sont empressés d'emboîter le pas, ne sachant plus s'ils doivent se monter du col ou se monter le cou. On devine que les zélés serviteurs de la propagande, en se montrant en public ainsi grimés, en perdent le sens de la mesure et de la valeur des expressions. Mais qu'importe, singer le chef, c'est une nouvelle manière pour les courtisans qui aiment se prosterner devant leur maître tout en n'ayant de cesse d'humilier les plus humbles.
Adieu donc les cravates et les colliers de perle, le nivellement habituellement par le bas, a pris de l'altitude pour se tenir au niveau de la pomme d'Adam tant la discorde est d'actualité. Un hideux serpent menace du reste la survie de la Planète, les menaces se précisent, il y a même de l'eau dans le gaz au point que la discussion nucléaire passera par cette nouvelle arme de défense civile : le col roulé.
Je reste sans voix devant les prodiges que réalisent nos princes de la communication. Me rendant compte que je ne trouve strictement rien à redire sur cette mesure vestimentaire, je m'interroge soudainement sur ce qui me pousse, non à me taire, ce qui est impossible, mais à me faire entendre. C’est alors qu'apercevant mon reflet dans une glace, je m'aperçois, horrifié, que j'ai couvert ma bouche de ce col qui se déroule de manière excessive.
Rétablissant promptement ma liberté labiale, j'en viens cependant à m'interroger sur le but ultime de cette farce. Pour éviter que nous nous colletions à ses faces de carême, le pouvoir du Freluquet poudré envisage de nous bâillonner avec ce bout de tissu qui gratte ! Ce n'est, avouons-le, pas une excellente idée.
À contre-cou.
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