Le gratin

Curieuse métaphore.

Qui aime à cuisiner ne songerait jamais à affubler d'une expression péjorative ce merveilleux plat qui se joue de nombre d'ingrédients possibles pour aller gratiner avec la fine fleur des pâtes cuites dans un four, accompagné de beurre, de crème fraîche ou d'une sauce préparée avec amour. Le gratin enchante nos palais, réjouit nos papilles tout autant qu'il se plaît dans sa robe chatoyante.

N'est-il rien de plus beau que la surface de ce plat sorti du four, paré de boursouflures délicates, coloré de quelques taches brunes, craquelé de ci de là et couvert d'une mince couche croustillante alors que la vapeur s'échappe de ce mélange en ébullition pour nous charmer de ses multiples effluves.

C'est un régal sans pareil qui accommode légumes et pâtes, viandes et poissons tout en aimant se faire un malin plaisir à magnifier les restes, unissant dans sa préparation tout ce qui peut se marier délicatement. C'est aussi, et nous devons l'accepter, une invitation au partage d'un bonheur simple qui ne se soucie guère de diététique ni de ces restrictions alimentaires qui viennent tourmenter le marmiton.

Le gratin est un sommet de la cuisine familiale, celle qui n'a d'autre prétention que de réjouir les convives, de les régaler tout en se refusant à suivre le moindre régime. C'est un bonheur qui s'affiche parfois sur la balance sans qu'on lui en veuille puisque, s'il est riche de calories, il sait se faire économique tout autant que gastronomique.

Alors pourquoi diable user de ce si joli mot qui gratine sous la langue, réveille les plaisirs d'enfance, qui croustille dans vos oreilles à sa simple évocation pour qualifier le haut du panier d'une société dont les sommets de la pyramide ne disposent en aucun cas de tous ces merveilleux qualificatifs qu'on accole aisément à ce délice culinaire.

On les qualifie aussi de grosses légumes dans une formulation vernaculaire passée de mode, ce sont encore des huiles sans doute parce que leur densité est bien inférieure au commun des autres mortels. Ils font partie du gratin quoique depuis, ils aiment à se parer de termes anglo-saxons pour se sentir en bonne compagnie avec plus fripouilles encore !

Avec eux, la seule certitude réside dans leur manière de se goinfrer, de s'engraisser sur le dos de leurs semblables. Ils se contentent de nous laisser les miettes n'ayant quant à eux nullement l'intention de nous offrir leurs restes. Ils se prétendent encore la crème de la société et font en sorte que pour tous les autres, se soit râpé. Par contre, ils n'aiment pas que le peuple ulcéré de se serrer la ceinture leur en fasse tout un fromage, eux qui veulent le beurre et l'argent du beurre.

Après avoir fait le tour de la question, il est aisé de comprendre l'origine de l'expression même si à énumérer ainsi les ingrédients qui justifient la métaphore, il est facile de deviner qu'ils ne restitueront jamais le merveilleux plat évoqué dans mon propos liminaire. Les membres de ce gratin-là collent au plat, s'accrochent honteusement, nous pèsent lourdement sur l'estomac et sont totalement indigestes.

Ils ne méritent en rien de salir ce plat sublime, celui de nos terroirs qu'ils vident de sa substance, qu'ils méprisent et affament parfois. Nous devrions les mettre à la diète, les condamner à l'eau et au pain sec puisqu'ils nous ont mis dans la panade. Leur couper les vivres serait un juste châtiment pour leur incapacité à trouver la bonne recette pour diriger le pays.

Hélas, en dépit de tous les fours qui parsèment leurs parcours, de toutes les casseroles qu'ils traînent, de tous les plats qui accrochent ou sentent le cramé, ils ne nous laissent que les miettes et s'invitent fréquemment aux fastueux banquets de cette République qui aime à gaver les plus odieux d'entre-nous.