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Accueil du site > Culture & Loisirs > Parodie > Le monstre de l’étang

Le monstre de l’étang

 

Sur les traces de la bête.

 

 

Il était une fois un étang de Sologne ni très grand ni très profond, n'ayant rien de particulier qui puisse susciter l'admiration ou provoquer la jalousie. Pourtant, une étrange rumeur courait à son encontre. Le soir, à la nuit venue, certains promeneurs en mal de larcins cynégétiques, que ce soit au collet ou bien à la lanterne, au piège ou au perché, s'en revenaient l'esprit fort troublé. Ils prétendaient tous, peu ou prou avoir aperçu ou cru apercevoir un animal monstrueux et inquiétant faisant grand raffut à proximité de l'eau avant que de s'enfuir dans un vacarme assourdissant pour se perdre dans les taillis et les ronciers.

 

Au début, les premiers témoins oculaires furent taxés de flagornerie, d'affabulation, d'hallucination tentant stupidement de justifier par le mystère ou la magie qu'ils aient pu souiller leurs braies en pleine forêt. Puis, la fréquence de l'aventure finit par convaincre les plus récalcitrants, les moins crédules qu'il devait bien y avoir une énigme en cet étang.

 

Pour ne pas courir le risque de la moquerie, les autorités locales souhaitèrent organiser une expédition qui ne prêta pas à la plus petite critique. Pour se faire, en plus des trois plus habiles braconniers de la région, il convenait de se faire accompagner de deux personnalités considérées en terre solognote pour asseoir la crédibilité de l'opération. Monsieur le Baron, grand châtelain du bourg était à exclure, ayant les braconniers dans le collimateur tout autant que l'ancien député, d'un tout autre bord que le nobliau. La participation d'un Saint Hubert fut souhaitée afin d'écarter l'éventualité d'un procès-verbal. Ainsi, ils seraient six pour mener à bien cette opération vérité.

 

Le choix des plus dignes représentants de la caste des délinquants nocturnes à la musette vagabonde ne fut pas une mince affaire. Il y avait dans la corporation des inimitiés tenaces, des griefs ancestraux transmis de génération en génération, des coups fourrés et des dénonciations qui ne passaient toujours pas. Les uns ayant fait main basse sur ce qu'avaient piégés les autres et vice versa. Il fallut de longues recherches pour trouver trois gaillards compatibles. Il faut avouer que n'étant pas voisins, ils ne chassaient pas sur les mêmes territoires.

 

Puis quand ils apprirent qu'un assermenté serait de la partie, les braconniers émirent les plus extrêmes réserves craignant que leur violon d'Ingres ne fut ainsi dévoilé au représentant de l'état. Celui-ci, quand il apprit cette réserve de naïf leur fit dire qu'il y avait belle lurette que leurs exactions étaient connues dans la corporation. Ils n'avaient jamais été inquiétés car les hommes de loi ne se préoccupaient guère du menu fretin. La remarque déplut aux trois lascars qui boudèrent quelques jours.

 

Le plus dur restait à faire. Obtenir l'accord de deux personnalités incontestables du village. Il n'y eut pas longtemps à les désigner. Le vicaire et le maître d'école étaient indubitablement les deux autorités morales de l'endroit reconnues de tous. Même monsieur le maire ne pouvait rivaliser avec eux. Mais si ce choix recueillait tous les suffrages, sa réalisation était une autre paire de manches. Comment associer deux ennemis mortels ?

 

Monsieur le curé se refusait à collaborer avec ce suppôt de Satan qui enseignait des horreurs aux enfants de la communale. Monsieur l'instituteur ne pouvait accepter de collaborer avec un homme qui lavait la cervelle des enfants à coups de superstition d'un autre âge. Leurs positions étaient définitivement irréconciliables.

Il fallut un concours de circonstances pour que la paix des braves se fasse entre eux. C'était justement jour de Saint-Hubert, la grande messe des chasseurs avec les sonneurs pour animer la cérémonie. Pratiquants et athées se retrouvaient dans l'église qui exceptionnellement faisait salle comble ce jour-là. Seul le hussard noir boudait ce qui était pour lui, une farce d'un autre temps.

La messe venait de se terminer. Monsieur le curé retrouvait toutes ses ouailles sur le parvis de son église tandis que les cors de chasse donnaient une dernière sérénade. On se félicitait du succès de cette fête si importante en pays de Sologne quand l'instituteur passa à portée de voix de l'homme de foi. Qui débuta les hostilités ? Nul ne peut en témoigner, toujours est-il que les noms d'oiseaux volèrent si bas que les chasseurs armèrent leur fusil pour faire un tableau de chasse. Le Saint-Hubert en chef s'interposa pour éviter la curée. Il attrapa par les oreilles ces deux chenapans, renvoya l'homme de dieu faire acte de contrition dans son église tandis que l'instit se retrouva au coin, les mains sur la tête, dans le café du commerce.

 

Cela scella la réconciliation de ces deux-là. La troupe était au complet pour lever le mystère de la bête monstrueuse. Il fallut attendre des circonstances favorables pour que l'opération puisse avoir lieu. Une nuit de nouvelle lune était propice. Elle devait se situer un mercredi soir, le lendemain, l'école était fermée et l'enseignant pouvait veiller. Il convenait encore, impondérable non maîtrisable que nul défunt en puissance ne vienne donner de l'ouvrage au curé.

 

Ce jour-là arriva enfin et nos six observateurs se lancèrent sur la piste du monstre de Sologne. Ils attendirent la tombée de la nuit pour aller s'embusquer sur un poste d'observation favorable. À proximité de la place où les animaux venaient boire dans le fameux étang tout en étant contre le vent. Les chasseurs avaient remarqué que le curé sentait un peu trop l'encens tandis que le maître avait une odeur tenace d'alcool à bruler. Les inconvénients de leurs métiers respectifs…

Les premiers à venir s'abreuver furent les petits mammifères à grandes oreilles. Lièvres et garennes s'entendaient comme larrons en foire pour venir laper un peu. Nos trois braconniers n'en revenaient pas, ils avaient sous les yeux un tableau de chasse dont ils se seraient amplement satisfaits tandis que le garde les observant du coin de l'œil se dit qu'en d'autres circonstances il les aurait pris la main au collet.

Puis les chevreuils vinrent à leur tour, plus circonspects, ils avaient envoyé un éclaireur qui fit le guet tandis que la horde se déshydrata avant que le gardien boive à son tour. Ils s'enfuirent comme une volée de perdreaux car les princes de l'endroit réclamaient leur onde pure. Les biches et leurs faons tout d'abord, prudentes, sourcilleuses pour les mères, insouciants pour les plus jeunes. Les jeunes mâles vinrent à leur tour puis tout le monde fit place nette pour que le mâle dominant s'approche en majesté. Quel spectacle pour les chasseurs et le garde, un dix-cors gigantesque qui eut été un formidable trophée. Mais tel n'était pas le but de cet affût et c'est tant mieux.

Puis, la nuit s'étira sans que rien ne se passe. Monsieur le curé seul ne semblait pas souffrir de cette longue immobilité lui qui avait souvent passé de longues heures à écouter les pêchés de ses ouailles. Les autres avaient des fourmis dans les guiboles et l'estomac qui réclamait casse-croûte. On ne passe jamais autant de temps sans se sustenter dans le secteur.

Soudain il y eut grand raffut, mouvement désordonné dans les broussailles, grognement sourd d'abord, guttural ensuite avant que ne surgisse celui qu'ils redoutaient tout autant qu'ils espéraient. C'était effectivement un animal qui avait toute l'apparence d'un vieux sanglier solitaire, puissant, large d'épaule, campé sur les postérieurs. Mais il portait sur sa tête une paire de bois formidable. Décidément les gens n'avaient pas rêvé.

Ils étaient tous à se taper du coude pour s'extasier devant la chose, l'apparition exceptionnelle qui allait remettre en cause les connaissances zoologiques. Tous ? Non l'enseignant, homme de la rationalité et du cartésianisme ayant aperçu le prêtre se signer, se refusait à croire en une fantaisie du créateur ou une grimace du malin. Il prit ses jumelles et chercha le détail qui donnerait matière à réfuter le miracle. Il trouva ! Il tendit ses jumelles au garde de chasse en lui demandant d'observer sous le menton de l'animal. Il y avait des sangles pour fixer cette parure factice. Ce n'était pas là l'œuvre du diable mais de quelque fantaisiste dont ils ignoraient le dessein. Chacun se garda bien d'éventer leur découverte, manière de tirer au clair ce mystère tout en entretenant le doute.

Ils firent bien car la rumeur gagna les grandes villes voisines puis la capitale. Les bourgeois d'abord puis les curieux en mal de sortie dominicale se précipitèrent à la recherche du monstre. Les six limiers avaient découvert le pot aux roses quand le dépliant de l'office de tourisme, très adroitement, avait évoqué la possibilité d'une espèce endémique inconnue encore qui aurait été observée sur le territoire de la commune à plusieurs reprises.

 

Les complices ne jugèrent pas mal celui qui avait osé cette illusion. Depuis longtemps la chasse au dahu ne provoquait plus la venue des naïfs et des crédules en Sologne. Le monstre à lui seul fit bien plus, les restaurants au demeurant excellents et les hôtels retrouvèrent une fréquentation digne de la grande époque. C'était bien là l'essentiel. Voilà des cornes qui ne nuisaient pas à la réputation des hommes de ce beau pays de Sologne.

 

Fabuleusement sien.


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7 réactions à cet article    


  • juluch juluch 17 février 2021 10:46

    Pas mal !!

    Marcel Pagnol aurait adoré !

    merci Nabum !!


    • sylviadandrieux 17 février 2021 15:17

      @juluch
      EH non ! Il manquerait le magnifique assent de Mr. Pagnol !
      Le parfum enivrant du thym et des herbes de Provence.
      Le dahut en Sologne doit sentir le vieux bouc mouillé. Alors qu’en Provence !


    • C'est Nabum C’est Nabum 17 février 2021 15:17

      @juluch

      Je suppose qu’il m’aurait pris pour un lyonnais


    • JC_Lavau JC_Lavau 17 février 2021 14:36

      Le monstre de l’étang Tacule ?


      • C'est Nabum C’est Nabum 17 février 2021 15:17

        @JC_Lavau

        La distinction en sus


      • Jjanloup Jjanloup 17 février 2021 16:56

        Encore merci, Nabum.

        Toutefois, sachez qu’en Provence, on ne ment jamais, on n’exagère pas... On enjolive la vérité ! smiley

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