Le peuple souverain

Oublié depuis longtemps.
Une fois encore, les représentants de notre bonne République se sont attribués le privilège de participer à des manifestations à huis-clos. Le confinement ne les entrave nullement dans ce désir de parader devant des barrières désertées. Doit-on leur rappeler que, pour qu’un huis-clos soit conforme à son étymologie, la sus-dite célébration ne peut se passer en plein air. Mais laissons-les à leurs errements linguistiques, là n’est pas le principal souci.
Que penser de la célébration du onze novembre, le grand carnage en plein air de nos malheureux poilus qui parfois durent porter un masque sur le visage pour se parer de l’odieux gaz moutarde ? Qu’il y a une certaine indignité à ne pas venir le visage découvert pour honorer leur mémoire, c’est certain et que plus grande encore constitue l’outrecuidance de ne pas y convier le peuple souverain.
Ainsi donc, les citoyens sont devenus quantité négligeable dans bien des moments de la vie publique depuis que l’ordre martial des lois d’exception sanitaire sont à l’ordre nouveau du jour. Les drapeaux peuvent être en berne, c’est la République qui se meurt et en oublie singulièrement ses bases. Quand la tête est malade, tout le corps social se trouve fort mal en point.
Allez donc tentez d’expliquer à un élu que cet affichage pour symbolique qu’il soit, un jour de novembre plombé par la grisaille et le brouillard n’est pas tolérable ? Fort des certitudes qui prévalent dans la corporation, il ou elle vous rira au nez, se drapant dans une légitimité qui fait peu de cas de son origine. La négation du peuple, son abolition à ce moment-là, est strictement contraire aux principes qui ont prévalu à l’émergence de la démocratie.
Si exception il y a, l’absence de toute cérémonie serait plus pertinente que cette pitoyable parodie devant quelques photographes pour ne pas oublier quand même la petite promotion personnelle. C’est à vomir surtout à l’occasion de cet évènement si particulier dans notre histoire. Cette fois, il n’y a pas que le soldat qui soit inconnu, le peuple tout entier est rayé de la carte d’une décision inique et scandaleuse.
Si notre représentation avait un temps soit peu de dignité, elle comprendrait qu’elle n’est pas le peuple mais seulement l’expression d’une délégation provisoire de le représenter. Un peuple exclu n’a plus à être représenté, il est devenu quantité négligeable, placée sous le contrôle et le gardiennage d’une force de coercition.
Le huis-clos suppose donc des exceptions. On le constate d’ailleurs dans les stades dans lesquels, au-delà des participants légitimement fondés à être présents, il se trouve toujours dans les loges des personnalités disposant d’un privilège refusé aux supporters. Il est vrai que les premiers sont invités tandis que les autres avaient payé un abonnement qui n’est plus honoré.
Le huis-clos n’a de sens que s’il se fonde sur un principe d’égalité, second terme d’une devise qui semble devoir être remisée au rang de témoin d’un passé révolu. Le peuple n’est plus souverain, son libre arbitre a été aboli, sa liberté totalement annihilée. Il passe désormais sous le contrôle permanent et impitoyable de ceux qui se prétendent encore être mandaté par lui pour agir en son nom.
Ce onze novembre, je crains que ce ne soit pas les seules victimes de la première guerre mondiale qui étaient honorés. Les gerbes déposées portaient aussi le deuil d’un peuple aux arrêts de rigueur, condamné à se taire à ne plus donner son avis. Drôle de jour pour nous signifier notre congé de la sphère politique. Heureusement qu’aucun poilu n’était présent pour assister à cette mascarade. Ils ont sacrifié leur vie pour un tel résultat, ils ont de quoi se retourner dans leur tombe.
Commémorativement leur.
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