Le rot et la bière

La pizza en prime.

Pour des raisons qui m’échappent, la vente de bière va s'accroître considérablement dans le mois qui vient. On va se presser auprès des tireuses, on va pouvoir taper du pied dans les canettes qui vont joncher le sol, tenter une reprise de volée pour éviter qu'elles ne tombent dans nos rivières. La police goguenarde ne sortira pas de carton rouge pour ces buveurs gueulards et « embièrés ».

Il est évident que l’image de la nation sera grandie par ces concerts de rots émanant de ces gorges polyglottes. On se fait mousser, on vante le bel accueil tricolore, la délicatesse de nos brasseries, la douceur de notre climat social. Pour mieux apprécier la quiétude du pays, les trains et les transports en commun s’arrêtent afin que nos glorieux visiteurs en uniforme bariolé puissent se rendre à pied dans ces tavernes bavaroises avec une pelouse au milieu, stade ultime de la décrépitude morale.

Dans les débits de poison, des écrans géants vont relayer des images de buveurs brandissant d’un geste équivoque une main tendue au-dessus de la tête tandis que dans l’autre, une chope leur servira de signe de reconnaissance. On trinquera à la grande fraternité européenne, à la beauté de l’entente cordiale et de la belle concorde nationale.

Des millionnaires en culottes courtes, grands brasseurs d'argent sale, se proposeront de venir servir cette foule assoiffée. Ils s’y prendront comme des pieds : le manque d’habitude sans doute. La bière ne sera pas servie sur un plateau mais sur une pelouse : un gazon coupé ras. Un homme en noir dirigera le service, des assesseurs, munis de drapeaux, signaleront les éventuels débordements. Il est interdit de vomir sur place.

La pizza servira de complément alimentaire indispensable pour tenir le choc, ingurgiter sans dommage toutes les soirées consacrées à l’adoration du houblon et de l’orge torréfiée. Par un curieux et malheureux concours de circonstances, les représentants de Malte seront exclus de la fête ; on se demande encore pourquoi. Cette absence laissera un goût d’amertume dans la bouche à tous les participants.

Michel Platini avait bien tenté de mettre la pression : il fut exclu des libations et nul ne retint l’idée d’inviter les Maltais. C’eût été la cerise dans la bière belge. Le pauvre garçon fut même interdit de bacchanale. Les gens sont mesquins et l’accusèrent d’avoir touché des-pots-de-vin ; dans le royaume de la bière, c’est vilain.

Ce grand rassemblement se passe de symbole. C’est une foire sans âme, un banquet à ciel ouvert, une orgie de mousse et de pâtes, de rots et de slogans incertains. Les drapeaux viendront de Berne pour célébrer la présence de nos amis suisses qui se refusent à la neutralité en la matière. Eux aussi boiront comme des trous de gruyère. Il n’y a pas de frontières en la matière …

Rien ni personne ne coupera le sifflet à nos princes du gosier en pente. Il faut boire jusqu’à plus soif pour célébrer le petit ballon dans lequel, par mesure de rétorsion économique, on servira le jeu du houblon. Hollande, notre bon président, avait songé confier l’exclusivité de la compétition à un grand brasseur d’Amsterdam. Les syndicats de la brasserie française se sont opposés à cette décision scandaleuse et des mouvements sociaux sporadiques viennent perturber la grande fête. Une loi de libération de la brasserie reste en travers de la gorge des syndicats tricolores.

C’est un épi (d'orge) phénomène : le premier ministre, toujours engoncé dans son faux-col, veut faire appel à l’armée ou à la réquisition pour remettre tout ce joli monde dans le droit chemin. Une poigne de fer dans une brasserie de bière : tel est le slogan du petit chefaillon énervé. Il se murmure dans certaines officines que ce triste personnage à la bière mauvaise a le (ale) foie dérangé. Oublions donc ses sautes d’humeur et levons nos verres à la grande beuverie européenne. Le rot précède toujours la bière au pays des gogos et la pizza arrive en scooter. Vive le sport !

Mousseusement leur.