Le telefoničko sonne (Radio Prague Inter, 28 avril 1986)
Nuage de Tchernobyl, Pacte de Varsovie, canons à Cuba, ce qu’il faut retenir des annonces gouvernementales
« Bonsoir à tous et toutes, vous écoutez Radio Prague Inter(national) en français et ce soir, au Telefoničko sonne, nous allons débattre de l’actualité très riche de cette semaine. N’est-ce pas, Fabianka Sintesová ?
- Toutafé, Klaroučka Servajanová ; présentez-nous nos invités de ce soir…
- Tout d’abord, honneur aux dames, Emilia Demonchalinová, ministre de l’environnement socialiste et des bonnes relations entre démocraties populaires, Trudy Karlstadt, rapporteur de de l’Observatoire indépendant pour le repérage et l'empêchement des actes contre-révolutionnaires en Tchécoslovaquie et ailleurs, František Behrů, un habitué de notre émission depuis plus de quinze ans*, secrétaire général du Parti Démocrate Socialiste (PDS) et député du district de Kambroucz à l'Assemblée fédérale tchécoslovaque, Janoš Petř Filiuk, nouveau directeur à l’Institut de recherches atomiques de Sbrouďž dans les Carpathes et actuel président de la Slovensko-Česko-Sovietská Fundacia, Djamy Gourmő, animateur de l’émission de vulgarisation pour les adolescents “c’est pas clair, coco” et enfin Bernhardt Heinrich Levski, ambassadeur à Moscou, à qui l'on doit cette admirable anthologie de poésie, en l'honneur de notre président Gustáv Husák et ce magnifique film sur la guérilla équatorienne dans sa lutte contre l'impérialisme et le colonialisme, choppe d'argent au festival de Karlovy Vary…
- Tout de suite un appel au standard, Fabianka ?
- Un auditeur de Košice, à la frontière ukrainienne. Bonsoir Monsieur, nous vous écoutons…
- Bonsoir mesdames et messieurs, merci de prendre mon appel et merci pour vos fantastiques émissions. Voilà, nous sommes nombreux à nous inquiéter des suites de la catastrophe de Tchernobyl. Nous avons peur pour nos enfants. Doivent-ils rester à la maison ?
- Catastrophe, catastrophe... il s’agit avant tout d’un incident regrettable.
- Selon vous camarade Demonchalinová, nos concitoyens n’ont pas de soucis à se faire ? Hier, le gouvernement déclarait qu’il n’y avait pas de nuage toxique.
- C’ est une incompréhension regrettable due à une mauvaise interprétation des propos de la porte-parole du gouvernement. Il y a bien un nuage, certes, dont la toxicité toutefois reste à démontrer. De toutes facons, il ne passera pas au dessus de la Tchécoslovaquie, grâce à l’anticyclone des Carpathes.
- L’anticyclone des Carpathes ?
- Oui, c’est un phénomène assez rare. Il se trouve qu’il est présent en ce moment au dessus de l’Europe centrale et donc le nuage, comme vous dites, passera au nord, vraisemblablement pour se désintégrer au dessus de la Baltique et au sud au dessus de la Yougoslavie, où l’essentiel des pluies devraient se produire ; ce qui ne nous posera pas de souci, l’hydrométrie y étant du ressort des autorités traîtro-titistes.
- Vous dites la Yougoslavie ? Mais avant ça, il passera par la Hongrie, la Roumanie… ?
- Ecoutez, de toutes façons ce nuage est tout bonnement inoffensif et puisque vous insistez et pour rassurer nos camarades du sud du CAEM (Conseil d'Assistance Économique Mutuelle), voici l’étude tombée sur mon bureau ce matin :
Des analyses prélevées à 1 km, à 10 km et à 100 km de Tchernobyl montrent que l’herbe est toujours verte, que les vaches n’ont pas déserté les champs et que la frontière entre l’Ukraine et la Pologne ne s’est pas déplacée une troisième fois de 200 km. Tout est parfaitement normal. Ces documents sont signés de la main même du Directeur-adjoint du Bureau de statistiques scientifiques au Département agricole, du Ministère du plan soviétique. C’est un gage de sérieux.
- Mais, pardonnez-moi, je vois ici la date, remontant au 1er avril…
- C’est une erreur de frappe, bien entendu. Le ou la fonctionnaire responsable, certainement une demoiselle distraite par une conversation téléphonique, sera probablement sanctionnée par un mois de travail dans un sovkhoze. Il est impossible que le Bureau de statistique scientifique se trompe. Je le sais bien, car nous avons le même à Prague : 750 employés y travaillent, jour et nuit, avec 120 ordinateurs tchécoslovaques Pučitox, dernier cri, tournant sous Kazinov 2.1, logiciel bicolore bulgare bien connu. Il ne manque que les souris hongroises, bloquées à la frontière et les claviers polonais égarés dans un entrepôt en banlieue ; ce qui n’affecte en rien leur travail remarquable. Grâce à leurs efforts, 70 % de la récolte de patates n’arrivent plus qu’avec cinq jours de retard sur les marchés pragois. Les 30% restant, avec deux semaines ; ce qui est largement acceptable et un grand progrès depuis la période de rationnement pendant l’occupation.
- L’occupation… vous voulez dire l’occupation allemande ?
- Bien entendu, camarade Sintesová… bien entendu. De quelle autre occupation pourrait-il s’agir ?
- Hum, donc, vous nous affirmez que ce nuage est parfaitement anodin et que nos concitoyens peuvent se rendormir tranquillement ? On entend de plus en plus de gens dirent que le gouvernement cacherait quelque chose. Moi-même, à la caféteria de Radio Prague Inter, j’ai entendu des collègues humoristes proférer des thèses ahurissantes, que je ne répéterai pas ici. Monsieur Trudy Karlstadt, un commentaire ?
- Ce sont toujours les complotistes de tout poil qui racontent des sornettes à la brasserie du coin. Ce sont les mêmes qui propagent des ignominies, telles que la Tchécoslovaquie n’est pas une démocratie, que le socialisme va disparaître au profit du capitalisme. Bref, vous savez les gens qui croient encore que la Légion tchèque a combattu aux côtés des Russes blancs ou que Jan Masaryk aurait été assassiné ; voire plus incroyable encore : que Pejsek a Kočička (Petit chat et Petit chien) ne seraient plus vivants.
- Comment ?! Ils sont morts ?
- Certes non, camarade Servanová. Et même s’ils l’étaient, simple hypothèse d’école, les Tchécoslovaques ne supporteraient pas une telle affreuse nouvelle ! Vous rendez-vous compte les dégâts sur les enfants ? Trouver un album de Pejsek a Kočička au pied du sapin et apprendre qu’ils n’existent que dans l’imagination des frères Čapek !!!
- Ježís Maria, ne m’en parlez pas. Je crois que je pourrais même supporter la fin du socialisme, mais là...
- Fabianka, Ne dis pas de telles choses à l’antenne, même si, au fond...
- Permettez que je boive un verre d’eau, toutes ces émotions qui ressurgissent !
- Faites, camarade Servajanová !
- Gloup ! Pfiouuu. Donc, revenons à notre nuage… Nous sommes rassurés par vos propos. Une autre question au standard, Fabianka ?
- Oui, une auditrice de Liberec. Parlez sans crainte…
- Bonsoir à tous, Voila ma question : Est-ce qu’on peut sortir sans risques de chez soi ? Pourra-t-on consommer légumes et fruits sans problèmes ?
- Camarade Filiuk, votre avis ?
- Il faut sans cesse l’asséner : la toxicité de ce nuage est selon toute probabilité nulle, il n’y a aucun danger. Mme Sibetová, porte-parole du gouvernement l’a encore répété devant les caméras, en croquant goulûment, telle Blanche Neige, une pomme slovaque.
- Avant de s’évanouir ; l’extrême chaleur de ce mois de mai, certainement. Et s’il s’avérait que dans quelques années se développent des cancers, des malformations ? Je me fais l’avocate du diable, ce qui me ravit à chaque fois...
- Camarade Sintesová, je vous arrête : aucune étude sérieuse n’étaie ces hypothèses, qui sont pour le moins farfelues. Je rappelle d’abord que la technologie nucléaire soviétique est la meilleure du monde. L’entreprise publique MAPZ (Moderná Atomická Piferzová Zelneca) est digne de confiance, contrairement à leurs équivalents états-Unien et britannique. Rappelons-nous la catastrophe de Three Mile Island, qui témoigne de la faillite de la science nucléaire capitaliste. C’est la raison pour laquelle la Tchécoslovaquie accorde toute sa confiance aux centrales soviétiques et refuse de valider toute technologie anglo-saxonne, tant que la compatibilité avec les valeurs et l’économie socialiste ne soient entièrement démontrée.
- Et concernant la technologie venue de France ? Ce qui intéressera sans nulle doute les auditeurs qui écoutent présentement les programmes de Radio Prague Inter en français.
- Le CAEM n’a pas encore tranché sur l’inocuité de cette technologie, qui rappelons-le, n’en n’est pas moins aussi suspecte que celle dont nous venons de parler. Des analyses supplémentaires sont en cours pour déterminer si la compagnie française EDF répond à toutes les normes très strictes en vigueur chez nous.
- Mais le dossier a été soumis par Monsieur Joliot-Curie, en personne, il y a bientôt près de 47 ans ! Rappelons qu’il s’agissait alors d’une coopération étroite entre les deux pays face à la menace hitlérienne, pour son volet militaire, mais aussi pour possiblement développer l’énergie nucléaire civile sur le Danube.
- Ecoutez, le dossier interrompu par la guerre, comme vous ne l’ignorez pas, est toujours en phase d’examen par le CAEM ; tout au moins pour sa partie civile. Je ne vous cache pas que le « dossier français » a peu de chance d’aboutir, vu que MAPZ a déjà construit la centrale de Bohunice sur le Danube il y a une quinzaine d’année, et qu’une deuxième centrale est prévue à Mochovce. Etant donné la fiabilité de la technologie soviétique, le dossier de cette dernière a été bouclé en trois mois, ce qui est largement satisfaisant.
- Trois mois, c’est du jamais vu. Avant même la fin de l’étude obligatoire de 5 ans minimum concernant l’impact écologique sur la faune et la flore des bords du fleuve ? Je rappelle à nos auditeurs que de nombreux oiseaux migrateurs nichent dans ces contrées, faisant d’ailleurs fi de la frontière slovaco-hongroise. Et puis, songeons aux poissons... Camarade Demonchalinová ?
- Toutes les garanties ont été apporté par nos collègues soviétiques, y compris de grosses enveloppes remplies de preuves que ces installations nucléaires n’auraient aucun impact négatif sur la nature.
- Pourrait-on avoir accès à ces documents pour que les opinions tchécoslovaques et hongroises, particulièrement inquiètes, soit enfin rassurées ?
- Je crois, si ma mémoire est bonne, que nous ne pouvons communiquer qu’un résumé de 13 pages recto-verso ; plusieurs milliers de pages restent confidentiels pour une durée de 70 ans après la mise en service, donc non accessible avant 2042 pour Bohunice et pas avant 2060-2065 pour Mochovce ; vous comprendrez : il y a des secrets technologiques que nos collègues soviétiques ne voudraient pas voir tomber en des mains étrangères… françaises, par exemple...
- D’accord, ces précautions sont tout à fait souhaitables. Saluons d’ailleurs, la célérité et l’efficacité de notre gouvernement à se soucier du bien-être de nos concitoyens. Revenons à notre petit nuage…
Un auditeur en ligne, Fabianka ?
Oui, Václav d’Olomouc. Bonsoir Monsieur, quelle est votre question ?
- Bonsoir, ma question n’est pas liée au sujet principal de ce soir. Quoique. Qu’en est-il du retrait de l’armée soviétique ? Je rappelle que selon le traité de 1945, suivi de l’évacuation concertée des forces américaines et soviétiques…
- Oui-oui-oui...On a bien compris votre question qui revient régulièrement sur cette antenne*. Monsieur Levski ?
- Nous sommes toujours en négociations. Après une phase active de 1975 à 1982, nous voici revenus dans une phase plus hardue, à cause de la crise des missiles US Pershing, qui menacent la Tchécoslovaquie, comme chacun sait. La partie soviétique nous a promis de réfléchir au sujet. Je rappelle les mots du ministre des affaires étrangères de l’URSS, lors de sa visite à Prague, la semaine dernière : Nous sommes de fidèles alliés et sur une base équitable nous continuerons de lutter contre les influences néfastes des forces capitalistes qui cherchent à diviser le camp socialiste et à saper le moral de nos peuples respectifs. Un éventuel désengagement militaire ne pourra se faire que lorsque les conditions d’une paix universelle et sincère seront fermement établies. Voyez, nos amis russes n’ont pas totalement fermé la porte à un retrait progressif. Dans tous les cas, une sortie du Pacte de Varsovie est totalement exclue. Tant qu’il y aura menace d’invasion de la part des chars et avions de l’OTAN, nous resterons soudés.
- Monsieur Karlstadt, vous souhaitiez intervenir ?
- Selon un récent sondage de l’Institut pour la sauvegarde des liens étroits entre l’URSS et les pays socialistes, nos concitoyens sont très largement opposés à la neutralité, c’est à dire, ne nous voilons pas la face, à tomber dans le giron capitaliste à brève échéance ; ce qui nous serait arrivé par deux fois, après guerre et il y a près de 20 ans, si des forces patriotes socialistes n’avaient pas pris la carpe par les ouïes pour empêcher cette dérive absolument mortifère.
Toujours d’après cette enquête filmée, il se trouve quand même 3% de nos concitoyens à n’être pas du tout satisfaits de notre alliance militaire continentale et encore 9% de plutôt pas satisfaits.
- Ah oui, c’est beaucoup...
- Beaucoup trop, camarade Klaroučka. Le plus surprenant étant les 61% n’ayant pas d’opinion sur la question !
- De la timidité face à la caméra, sans doute.
C’est certain, camarade Fabianka. Cependant, ils ne sont bien évidemment pas comptés dans les résultats finaux, car comme le disait babička (mémé) : qui ne moufte, consent.
[éclat de rires général]
- Excellent ! C’est l’évidence même. Continuez, je vous prie...
Merci Klaroučka. Bien entendu, même si cette majorité de 88% de personnes totalement satisfaites, plutôt satisfaites et certainement satisfaites est … tout à fait satisfaisante, notons qu’elle est en baisse notable, depuis l’an dernier. Les 12 % de réfractaires – contre 7% en 1985 - seront majoritairement retrouvés et leur parcours examiné à la loupe ; on n’est jamais trop prudent, car des éléments antisocialistes, soutenus par des cellules étrangères, pourraient s’être introduits pour falsifier les résultats de cette enquête. Et même si leur dossier est vide ou si ce sont des camarades sincères, l’esprit égaré après trois choppes de bière, une petite amende de 150 Couronnes pour propagation de fausses nouvelles leur rappelera salutairement où finit la liberté d’expression et où commencent les ragots délétères, nuisibles à la construction du socialisme. Transparence, oui ; voyeurisme, non !
- Je crois que tout le monde est d’accord autour de la table. Il faut donner la parole à nos concitoyens pour qu’ils puissent s’exprimer sur les dysfonctionnements et certainement aussi sur la corruption de fonctionnaires ou les détournements de marchandises, mais il y a des limites à l’acceptable. Aucune compromission avec les quelques voix, soit-disant dissidentes, qui n’ont pour but que de démolir tout ce que nous avons patiemment construit avec nos voisins socialistes. Cette parole de haine, de rancune, de lâcheté et de soumission aux intérêts étrangers n’ont pas leur place sur le service public !
- Bravo, Klaroučka !
Bien parlé, camarade Servajanová !
[applaudissements]
- Oui, tu...vous vouliez ajouter quelque chose, Trudičko-chéri ?
- Merci Krtečkina (ma petite taupinette). L’arsenal judiciaire tchécoslovaque, on le constate quotidiennement, n’est pas suffisant pour empêcher les actes antisocialistes et les menées du grand capital apatride contre les travailleurs tchèques et slovaques. La réaction bourgeoise, ante 1948, soutenue par les forces ploutocrates internationales est bien présente dans notre pays et de plus en plus visible dans divers attroupements non autorisés de salopettes bleues*, réunions secrètes de soit-disants dissidents, graffitis nocturnes de hooligans et même brochures ignobles imprimées par des sociopathes, en lien avec Washington. Bref, suivant les recommandations de notre observatoire, le gouvernement proposera très rapidement un projet de loi au Politburo, qui le soumettra au Comité Central du PCT, lequel l’approuvera, sans nul doute avant de le faire passer devant l'Assemblée fédérale tchécoslovaque, qui ne pourra que voter favorablement et massivement devant une mesure si salutaire. D’ailleurs qui oserait prendre la défense des perturbateurs, des agitateurs, des saboteurs ? Aucun député, même du Parti Démocrate Socialiste ou du Parti Socialiste National n’oserait voter non, ni même abstention, n’est-ce pas Camarade Behrů ?
- Ahem, bien sûr, cher camarade Karlstadt, évidemment, nous tenons bien nos députés, jusqu’à nouvel ordre. Il est hors de question, ahem, que nous mettions des embûches dans la construction du socialisme. D’ailleurs, la constitution a bien été changée pour faire face aux nouvelles réalités. Nous défendrons la ČSSR (République socialiste tchécoslovaque) jusqu’au bout ; ahem, je vous en donne ici ma parole d’honneur de démocrate du centre ; ce qui n’est pas une parole en l’air. 100 ans de centrisme tchèque sont là pour témoigner que notre silence est d’or et notre parole en acier, ahem, aussi dur que la coque d’une Trabant est-allemande.
- Nous voilà rassurés. Une autre question de nos auditeurs, Fabianka ?
- Nous avons Alenka de Bratislava. Bonsoir Alenka ! Je crois que vous voudriez nous parler de Cuba, c’est ça ?
- Exactement. Bonsoir Mesdames et messieurs. Je voudrais savoir ce qu’il en est de l’affaire des canons avec La Havane ? Ne s’agit-il pas d’une trahison de la part de nos meilleurs alliés ?
- Alors, il faudrait rappeller à nos auditeurs francophones, pas toujours au fait des dernières actualités économiques, ce qui s’est passe avant-hier. Djamy Gourmő, on vous écoute :
[bruit d'un vieil écran cathodique qui s'éteint] Merci Fred… heu… Fabianka. En deux mots, le gouvernement de Cuba nous avait passé commande de 50 unités mobiles anti-aériennes, en vue, bien entendu, d’empêcher un éventuel débarquement états-unien ; tout le monde se souvient du précédent ratage US de la Baie des cochons en 1963. Je vous fais pas un dessin. C’était pas jojo. Revenons à nos moutons, il s’agit du véhicule blindé STROP II, le nec plus ultra de la technologie tchécoslovaque, et même mondiale, avec guidage laser et caméras embarquées. T’entends Fred ?
- Mais à qui parlez-vous ?
- Heu, excusez-moi, j’ai le syndrome de La Mouette. Revenons à nos moutons... Donc le contrat devait être signé à l’automne et les premiers véhicules livrés deux ans plus tard et présentés durant la parade militaire célébrant… je vous le donne en mille... les 40 ans de de la Révolution cubaine, le premier janvier 1989. Une petite confidence : le Président Husák était déjà invité à La Havane pour les célébrations. Tu le savais Fred… heu Fabianka ?
- Non, vous nous l’apprenez. Quelle prescience !
- Bof, non, juste un abonnement à Pif Gadžet, édition slovaque bimensuelle*.
- Hum, et donc, ensuite ?
Ensuite ? Vous allez rire… heu non… donc, donc...il y a deux jours : paf, ne voilà-t-il pas que le gouvernement cubain fait volte-face : Il renonce à l’accord sur le STROP II et, dans la foulée, décide de commander 70 unités de ZSU 23 à l’Union soviétique ! C’est pas beau ça ? Hein, Fr… Fabianka, qu’est-ce que tu dis de ça ?
- Une décision scandaleuse et inqualifiable !
Je ne te le fais pas dire, en effet, le ZSU 23 est désuet, la dernière version datant d’il y a près de 10 ans ! Une éternité dans le monde de l’armement. C’est à peine si nos compétiteurs soviétiques ont-ils rajouté quelques gadgets électroniques, un mini-frigo à ponchs, des ceintures de sécurité élastiques et des autocollants en espagnol ; mais en aucun cas il ne soutient la comparaison avec notre STROP II ! Pas vrai… F...hum… Fabianka ?
- Alors, comment expliquer ce revirement ?
- C’est in-com-pré-hen-si-ble ! Et pour marquer le coup, vous savez quoi les amis ? Nous venons de rappeler notre ambassadeur à La Havane, pour consultations. Ce ne sont pas des choses que l’on se fait entre alliés ! Ah ben non, alors ! Bon, faut que je me sauve car mon gros camion Tatra m’attend en bas et on doit filer enregistrer une émission de “C’est pas clair, coco” au champs de courses de Pardubice. À cheval, Pascal, en voiture, Marcel !
- Ça ne s’arrange pas.
- Non, c’est de pire en pire.
- Revenons à nos… notre sujet. Il est en effet louable de montrer notre indignation. Et vis-à-vis de Moscou, camarade Levski, quelle a été la réaction de notre gouvernement ?
- Très ferme, je vous rassure : le ministre des affaires étrangères, Monsieur Karpetvil, a signifié une ferme désapprobation à son homologue soviétique, lors de la rencontre que nous avons déjà évoquée. Après son invitation à une semaine de vacances à Yalta, il doit se rendre à Moscou pour faire part des préoccupations tchécoslovaques sur l’avenir de nos relations amicales avec l’Union Soviétique.
- Et, le président Husák, comment a-t-il réagi, camarade Demonchalinová ?
- Eh bien, il aurait annulé sa participation au Festival de danses folkloriques de Minsk et envoyé une carte postale indignée au Politburo soviétique depuis sa datcha dans les Tatras, où il se repose actuellement, pour surmenage. Par ailleurs, selon des sources bien informées, il n’excluerait pas de boycotter sa boîte de cigares préférée, un temps du moins.
- Bravo !
- Excellent !
-Vive la Tchécoslovaquie !
[applaudissements]
- Vive la Tchécoslovaquie libre !
[applaudissements redoublés]
- Je dirais même plus : vive la Tchécoslovaquie libre et socialiste !
[tonnerre d’applaudissements]
- Calmons-nous, calmons-nous… Il est si facile de retomber dans ses péchés de jeunesse d’avant la normalisation. Nous étions à deux doigts d'acclamer le soit-disant socialisme à visage humain… hum…hum...
- Dans tous les cas, C’est un geste fort de la part de notre Président ! On ne peut pas ainsi se moquer de la Tchécoslovaquie ! Nos alliés doivent comprendre que ce ne sont pas des pratiques cordiales que d’annuler ainsi une commande vitale pour notre industrie d’armement et surtout de ne pas tenir sa parole.
- En même temps, camarade Demonchalinová, il faudrait éviter toute mesure de rétorsion, ou alors il faudra mettre de la vodka dans nos cocktails Cuba libre et boire notre café, déjà imbuvable, sans sucre.
- Certes, certes non…
- Un autre appel, Fabianka ?
- Encore une auditrice slovaque, de Žilina. Bonsoir Jana.
- Bonsoir, Madame Sintesová. Bonsoir à vos invités. Je voudrais savoir s’il est obligatoire d’être membre du PCT pour accéder à certaines fonctions. Je ne vois nulle part dans notre constitution cette mention. Or mon fils, sorti premier de sa promotion HEČS, Haute école des cadres tchécoslovaques, ne trouve toujours pas d’emploi dans un entreprise. On lui aurait fait comprendre qu’il devait prendre sa carte…
- Mon Trudičko-chou, tu… vous voulez réagir ?
- Ouiii !!! Je suis outré qu’on laisse intervenir des complotistes à l’antenne ! Bien entendu qu’il n’y a aucune obligation d’être membre du PCT pour accéder à une fonction ; théoriquement même le Président de la République peut être non-encarté. D’ailleurs, plusieurs ministres ne sont pas membre du PCT.
- Qui donc, mon Trudičko-minet ?
- Heu, laisse-moi réfléchir… ah oui, le Ministre de la santé ! Non, heu… et puis ça ne va pas, on l’a fait récemment interner en cure*. Enfin, il doit bien en avoir un…Ah oui ! J’en tiens un ! Le Ministre de l’équipement, oui, c’est ça. C’est un ouvrier. Enfin… heu, ça n’a aucun rapport...
- Excusez-moi, ahem, ,mais moi non plus, je ne suis pas au PCT.
-Bien entendu, vous aussi, Monsieur Behrů, vous n’êtes pas encarté au PCT ; vous êtes au PDS, tout le monde sait cela. Quand on parle du PDS, on ne pense qu’à vous, on ne voit que vous. Et, en effet, vous avez eu une belle carrière dans différents ministères…
- Vous me faites rougir, ahem.
- Donc, rassurons notre auditeur : non, votre fils, avec patience et persévérance, pourra accéder aux plus hautes fonctions, s’il se montre respectueux de nos institutions, en ne remettant pas en cause le rôle directeur du PCT et l’horizon indépassable de la construction socialiste européenne.
- Je crois que notre auditrice veut rajouter quelques chose… Allez-y, Jana...
- Merci. Voilà, un de ses anciens professeur lui a dit qu’il serait, pardon l’expression, tout le temps emmerdé, s’il ne prenait toujours pas sa carte du parti.
- Oh ! Šapřišti ! Comment peut-on proférer de telles élucubrations ! Jamais, au grand jamais, dans la Tchécoslovaquie socialiste, nous ne renoncerons aux libertés fondamentales. C’est nous qui les avons rétablies ! Notamment lors des événements contre-révolutionnaires de 1968. Si la carte du Parti communiste n’est pas obligatoire, alors chacun est libre de ne pas la prendre. C’est l’évidence même !
- Oui, mais alors pourquoi…
- Cela suffit, Madame, madame… comment ? Jana ?! On ne va pas continuer à discuter avec cette auditrice qui nie aussi effrontement que la Tchécoslovaquie soit une démocratie. N’avons-nous pas signé les Acccords d’Helsinki en 1975 ?
- Justement, certains, à l’instar des signataire la Charte 77, disent que…
Qui ?
La Charte 77...
Qui ???
Ben.. heu, vous m’avez entendu, je parle slovaque, tout comme notre Président ; vous me comprenez très bien, Monsieur Karlstadt … la Charte...
Qui ? QUI !!!??? Bien sûr que je comprends le slovaque, comme tout Tchèque doté d'oreilles, et vos propos ignobles n’en sont que plus… heu… ignominiques !
- Ignominique n’est pas slovaque !
- Ni tchèque !
- Camarade Behrů, on ne vous a pas sonné !
- Arrêtons là, ou sinon je quitte le plateau ! Vous osez évoquer ce ramassis de conspirationnistes dégénérés, d’intellectuels dévoyés, de dramaturges du dimanche, de fascistes indécrottables, tous à la solde de la bourgeoisie revancharde d’avant 48 ! Ce ne sont que des agents de la CIA, des stipendiés de Radio Free Europe, des anarchistes manipulés pour certains… Si ces abominables personnages-là ne sont pas invités sur vos plateaux, c’est bien qu’il y a une bonne raison : ils n’ont qu’un souhait : abattre le socialisme et miner la confiance entre les états frères et pays soeurs. Certains d’entre-eux sont de dangereux trotskystes, dont les accointances avec le régime titiste de Belgrade sont bien connues. Par leurs revues photocopiées, ils répandent des fausses nouvelles, comme quoi la santé des enfants serait en danger en Tchécoslovaquie, à cause de la pollution atmosphérique. Allons-donc ! Ou encore que les dysfonctionnements dans l’approvisionnement des magasins est consusbstantiel à l’économie socialiste. Délirant. Regardez les clochards à Paris, les prostituées à Amsterdam et la délinquance à New York et revenez me parler du niveau de vie socialiste ! S’ils n’aiment pas notre démocratie socialiste, qu’ils aillent y vivre, dans les taudis de Séoul !!!
Calmez-vous, camarade Karlstadt, vous suez à grosses gouttes ; buvez un verre d’eau. Nous sommes tous d’accord avec vous ici autour de la table. Même Monsieur Behrů opine du chef.
- Je crois qu’on a un dernier auditeur, Fabianka…
- Bonsoir, nous n’avons pas très bien compris votre nom, hors antenne...
- Ouais, b’soir M’Sieurs-Dames, c’est Josef de Smichov. Moi, j’ comprends pas pourquoi qui faudrait pas que j’sois communiste. Moi, j’veux être communiste, non d’un chien !
- Nous ne vous comprenons pas bien ; vous insinuez qu’on vous refuse la carte du PCT, c’est bien cela ?
- Ouais, z’avez tout pigé ! Moi, je veux m’payer une belle Škoda sport pour aller visiter mon chenil d’élevage à Savatoplouk Nad Chelou, près d’la frontière des Boches de pas chez nous. Et pas une Skoda d’occase, hein ! une toute neuve, qui file à 140 au moins. Mais c’est qu’y voulaient pas m’la vendre, la belle rouge en vitrine à côté d’la gare de Smichov. Le sac de biftons sous le nez, rien à faire. Y paraît qui faut s’inscrire sur une liste d’attente, trop mourant, mais moi j’suis pressé ! Et pis, mon bolide, en vérité, j’le voudrais vert avec des étoiles roses. Faudra l’repeindre, ouaip. Alors comment que j’fais moi ? « Y aurait p’tête un moyen d’accéler le proxessusse, prenez la carte du parti » qu’y m’dit l’autre vendeur, sapé comme un pingouin, sorti du théâtre national . Ben ouais, c’est pas con comme idée. « Toi t’as mérité ta jolie cravate avec la flèche de Škoda dessus », qu’j’lui dis. Après un détour pour faire le plein à la taverne, j’ai été direct au secrétariat du PCT du coin. Eh ben ; vous l’croierez pas : on m’a foutu dehors, à cause d'mon haleine de polonais, qu’y paraît. Tout juste s’y-z-ont pas appelé la VéBé (Sécurité publique). Non mais, c’est pas des manières de communistes, ça…Faut lui dire à Gustáv machin, là-haut, dans son château...
- Soyez patient, camarade, avec un peu de chance vous aurez votre véhicule dans 4 ou 5 ans…
- Vous rigolez ? J’ai b’soin d’ma caisse cet été, moi. J’ai des affaires urgentes avec des clients qui paient bien, et en Marks de pas chez nous, je vous prie. J’crois qu’j’vais être obligé d’en piquer une.
- On n'entend vraiment rien. Comment ?
Bof, après tout chouraver un clébard ou une tire, quelle différence ? J’vous l’demande ?
- Que dites-vous ? Articulez !
- Y vont pas m’emmerder longtemps avec c’t’ histoire vacharde...
- On ne vous entend pas bien ! Bon, tant pis. L’accent de ce monsieur est terrible. Parle-t-on toujours aussi mal dans les faubourgs ouest de Prague, Klaroučka ?
Je crains que oui, Fabianka. Et encore, chez les jeunes c’est bien pire.
- Notre émission s’achève. Merci à tous nos invités, y compris mon camaradounet Rudičko qui est sorti furibard du plateau, il y a quelques minutes. Il faut le comprendre, il travaille trop avec tous ces complotistes. Il ne sait plus ou donner de la tête. Le soir, c’est lui qui a la migraine et moi qui me morfonds. Ça me fait penser que je dois faire des provisions d’aspirine et de rhum, on ne sait jamais… Un dernier mot, Klaroučka ?
Oui, Fabianka. Nos auditeurs francophones peuvent être rassurés, la Tchécoslovaquie est entre de bonnes mains et le socialisme ne s’est jamais aussi bien porté. Et cela, c’est bien grâce à nous, le service public, qui ne ménageons pas notre peine pour vous offrir des programmes de qualité, élever le débat, en invitant des interlocuteurs de toutes sensibilités et en vous donnant la parole, comme ce soir encore... A la semaine prochaine sur Radio Prague Inter !
* lire épisodes précédents :
Prague Inter (27/10/1983) Le telefoničko sonne : « L'épidémie américaine : ce que l'on sait. »
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/prague-inter-27-10-1983-le-234862
Prague Inter (21/08/1969) Le telefoničko sonne : « un an après, quelle normalisation ? »
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