Les bonhommes de neige tournent leur veste

Noël au balcon.

Il advint que lors du dernier congrès des Bonhommes de neige un vent de fronde se fit sentir dans l'assemblée. Depuis quelques hivers, les enfants étaient en froid avec des personnages qui depuis de longues années peuplaient l'imaginaire tout autant que les jardins et les cours d'école. Il ne neigeait plus lors de la période de la fête de la nativité. Que faire ?

Des voix s'élevèrent pour changer de cap, d'apparence ou de saison. Les esprits s'échauffaient à l'instar d'un climat qui désormais marchait sur la tête. Il fallait de toute urgence trouver une solution afin que demeure cette belle tradition qui enchante les petits et réjouit leurs parents.

Les adeptes de la haute technologie et du marketing suggérèrent de lancer sur le marché des canons à bonhomme de neige, une variante de ceux que l'on trouve sur des pistes jadis enneigées de manière naturelle. Des additifs devaient être adjoints à l'eau afin de produire une matière collante pour satisfaire au modelage de ces personnages éphémères.

On s'indigna dans le rang des écologistes qui prétendirent qu'il y aurait là un gaspillage conséquent de cette eau si précieuse et désormais rare. L'idée n'était pas mauvaise mais supposait de changer de matière première. Ce fut ainsi qu'une série de propositions émergèrent de cette réunion en pleine ébullition.

Les uns suggérèrent la pâte à bois afin de donner une certaine pérennité aux créations enfantines. L'idée avait de quoi satisfaire les adorateurs des festivités de Noël mais d'autres leur mirent des bâtons dans les roues en leur montrant de quel bois ils se chauffaient. Le Bois lui aussi était en situation délicate et il y avait bien assez de sapins sacrifiés au pied de la crèche pour en rajouter encore.

D'autres pensèrent que la pâte à modeler trouverait là une exploitation à grande échelle qui doperait les ventes de cette substance qui plait tant aux enfants. Sa composition exacte demeure encore un secret industriel mais on sait qu'elle contient de la farine de blé, de l'eau et du kérosène inodore auxquels on adjoint du sel, des colorants, et agent chimique pour éviter les moisissures, un autre pour durcir l'ensemble et du parfum pour cacher la misère.

Devant pareille composition, on s'indigna une nouvelle fois d'autant que le kérosène n'avait rien d'un matériau durable et écologique. La pâte à modeler fut repoussée comme une matière d'un autre temps qui ne pouvait en rien assurer le bonheur des générations futures. Les congressistes qui furent jadis des bonhommes de neige entendaient s'inscrire dans une démarche naturelle compatible avec leur philosophie environnementale.

Beaucoup à ce moment-là pensèrent que pour eux les carottes étaient cuites ce qui les fit pincer du nez. Ils voyaient leur dernière heure venue, faute d'une reconversion qui tienne compte de la problématique de l'heure. Seul un miracle pourrait les tirer d'affaire où ils seraient les nouveaux dindons de la farce. C'est alors qu'un certain Olaf qui rentrait d'un voyage en Espagne eut une idée géniale.

Mes amis, déclara-t-il, le verbe haut et sentencieux, les enfants l'été, construisent des châteaux de sable, ils n'ont qu'à nous façonner en cette belle matière naturelle, l'hiver venu. Un peu d'eau fera l'affaire pour nous modeler à leur fantaisie. Sa proposition reçut un tonnerre d'applaudissement, chacun de s'enthousiasmer à l'idée de retrouver ainsi une nouvelle vigueur.

Tous ? Non, un petit bonhomme leva la main pour expliquer à tous ses collègues que le sable aussi venait à manquer, que c'était désormais une matière rare et protégée. Il faudrait renoncer à pareille reconversion. Ce fut un coup fatal pour cette réunion qui se conclut sur cet aveu d'échec. Ce jour-là, les bonhommes de neige cessèrent de croire au Père Noël et se fondirent dans la foule des consommateurs qui se pressaient dans les rayons surpeuplés des supermarchés pour entasser des paquets inutiles au pied d'un sapin moribond.