Les étoiles filantes

Le guide à mi-chemin 

Drame du réchauffement climatique et du dérèglement des consciences, le guide à mi-chemin vient de déclasser un grand chef. Le Landerneau de la toque étoilée s'interroge sur cette mesure, la confrérie des chefs y voit une mesure coercitive qui s'en prend à un personnage emblématique de sa profession. Dans les fourneaux, c'est la grogne tandis que la note énergétique passe curieusement au second plan.

Examinons par le menu les causes de ce drame qui ne peut laisser indifférent les gens du peuple, habitués qu'ils sont aux trois étoiles affichées sur la porte d'un réfrigérateur qui sonne le creux. Le guide de l'abondance a dû se résoudre à en rabattre quelque peu, les temps sont difficiles y compris dans les brigades.

Si les virtuoses du piano continuent leur partition sans trop se soucier de l’actualité internationale, le comptable a depuis longtemps imposé une petite escalade aux prix de moins en moins menus d'une carte qui vise les sommets. Il convient de mettre carte bleue sur table sans jamais se soucier désormais de payer sans contact.

Mais à trop crever le plafond, le risque est grand de décrocher la Lune et chemin faisant de percer la voûte céleste. La chute d'une étoile est peut-être la conséquence de la hausse des tarifs même s'il est peu probable que les gourmets du guide aient souvent à payer la note.

Cherchons ailleurs les raisons d'un déclassement qui touche toute la Savoie. Est-ce pour encourager la pratique du ski que cette dégringolade au palmarès a été orchestré par un chef qui n'est pas toujours à la baguette ? Nous pouvons en douter, une campagne de communication de ce type passerait totalement inaperçue dans les restaurants d’altitude. La qualité n'est pas au rendez-vous pourvu que le soleil inonde la terrasse.

Une fausse piste une fois encore qui risque de déclencher une avalanche de protestations. En voyant passer un skieur, tête baissée, dévalant la pente à la manière de Jean Vuarnet, me vient alors une idée en bouche. Interrogeant un spécialiste sur le nom de cette curieuse position, il me répondit que ce sportif en voie de disparition tant la neige devient rare, fait l'œuf.

Mon sang ne fit qu'un tour et je m'exclamais devant des convives interrogatifs : « Mais bon dieu, c'est bien sûr ! ». Alors que l'endroit vivait sans doute ses cinq dernières années, la catastrophe climatique confirmant ses affreuses promesses, il n'y avait plus une minute à perdre pour enfin dévoiler les raisons de ce mystère.

Chacun de se tourner vers moi, mon exclamation ayant jeté un froid dans une assemblée qui n'avait plus l'habitude de devoir se couvrir les oreilles en altitude. Je dus attendre le retour du calme pour enfin émettre une hypothèse qui hélas, ne risquera pas de fondre comme la neige au soleil autour de nous.

Je devais mettre des gants en dépit d'une température plus que clémente, pour m'exprimer sans choquer les amateurs des sports de glisse et ceux qui aiment faire tapisserie en terrasse : « Il n'est là qu'une simple question d'inversion de lettres » dis-je à des gens que je voulais mettre sur la piste. Ils ne saisirent pas mon allusion pourtant éclairante. Personne ne brûlait de savoir, je dois bien le reconnaître.

Je ne pouvais faire durer le suspense et dut annoncer la véritable raison de la dégradation de ce grand chef. « Comment voulez-vous récompenser un cuisinier qui met encore des œufs en neige à sa carte des desserts dans le contexte climatique actuel ? ». J'avoue que cette réplique sema la consternation autour de moi au point que certains, perdant toute dignité, se mirent en boule. Je fus exfiltré de l'endroit par les employés chargés de la maintenance de l'air conditionné. J'avais eu très chaud !

À contre-pente