Les piliers de bar
Ça s'arrose.
Depuis quelque temps il y avait anguille sous roche dans la région de Nevers. Sans que l'on sache pourquoi, il fallait déplorer la disparition de fûts, des barriques de 225 litres de contenance. Ce qui interloquait plus encore les personnes du cru, c'est que les malfrats jetaient leur dévolu sur des barriques vides et ayant pas mal de bouteille au point qu'elles n'étaient plus d'aucune utilité pour l'élevage du vin.
Qui donc pouvait s’intéresser de la sorte à de vieilles badernes ne pouvant plus remplir le moindre office sauf à servir de comptoir pour quelques buveurs invétérés ? Le nombre aussi interloquait les observateurs ; quinze fûts, la piste du bar clandestin ou discret tombait à l'eau ipso facto.
Il y avait sans nul doute une intention précise dans ce forfait, une sorte d'acte symbolique pour de mauvais diables ou des disciples de Bacchus. Les enquêteurs étaient sur les dents, les victimes quant à elles se trouvaient assez satisfaites de se voir ainsi débarrassées d'objets encombrants qui n'avaient plus le vent en poupe dans les brocantes.
Les plaintes furent retirées, la police cessa de mettre ses meilleurs limiers sur le dossier et on oublia bien vite ce fait divers sans aucune importance. L'eau pouvait bien couler sous le pont de Loire, ce magnifique ouvrage en conçu en 1767 par un certain Louis de Règemortes, un homme au nom prédestiné puisque l'ouvrage connut dès le départ bien des vicissitudes. Il ne fut en définitive totalement achevé qu'en 1832 même si ceci n'a strictement aucun rapport avec notre histoire.
Le vol des fûts fut bien vite oublié. La vie courante reprit ses droits, chacun vaquant à ses occupations et aimant à se retrouver en fin de semaine au Pré Fleuri quand l'équipe de Rugby affrontait ses adversaires en Pro D2. La fièvre ovale avait gagné la cité de la porcelaine ce qui somme toute est assez logique dans un sport où le coup de fourchette est à l'honneur.
C'est pourtant dans l'entourage des hommes de l'ovalie que se tramait en secret l'affaire qui nous préoccupe. Des esprits plus clairvoyants eurent pu se douter que le ce nombre de quinze fûts n'était pas innocent. Mais comme chacun sait, il n'y qu'un capitaine dans l'équipe et personne ne savait que la garçon vouait une passion dévorante pour la navigation fluviale.
Il faut reconnaître qu'il avait un mentor, un ancien joueur de l'endroit au temps ancien où l'équipe évoluait dans le championnat amateur de fédérale 2. L'homme lui avait enseigné les secrets de la rivière, lui avait évoqué ses souvenirs de jeunesse quand avec des furieux de son espèce, il avait organisé une course de radeaux jusqu'à Angers.
Dans l'esprit du sportif était né une idée aussi folle que inattendue. Il s'était promis en cas de succès dans l'ambition de tout un club, de toute une ville, de toute une région de voir l'Union Sportive Olympique Nivernaise née en 1956 et issue d'une longue passion ovale débutée en 1903, de monter dans le prestigieux TOP XIV, de descendre la Loire de Nevers jusqu'à Nantes avec ses coéquipiers pour célébrer l'ascension.
Une idée aussi curieuse que fantasque ; célébrer une ascension par une descente, il était difficile de faire plus tordu. Mais le Rugby n'est-il pas l'art des faux rebonds ? Les joueurs, forts d'une volonté inflexible pour cette nouvelle saison avaient tout mis en œuvre pour remplir leur objectif et dans le même temps construire leur radeau sous les conseils avisés d'un des plus grands experts de la chose ligérienne.
Le radeau fut une merveille de symétrie et d'équilibre avec une double construction triangulaire en miroir pour ainsi présenter un flotteur comprenant successivement un, deux puis trois fûts tandis qu'au centre du dispositif une autre rangée de trois barriques venait consolider un rafiot susceptible d'affronter toutes les tempêtes du championnat.
L'entraînement à la navigation vint habilement compléter les heures consacrées à la musculation, au travail technique et collectif de ce sport exigeant. Le plus délicat fut de ne rien dévoiler de ce projet dans l'entourage du club, des sponsors et de la ville. Les superstitieux sont si nombreux en ce domaine. Autre curiosité qui n'échappa pas aux maîtres nageurs de la piscine municipale de Nevers ; jamais il n'avait donné autant de cours à des montagnes de muscles à la flottaison incertaine.
Chacun d'émettre des hypothèses sur ce soudain intérêt des joueurs de rugby de Nevers pour l'eau mais je puis vous certifier que nul ne songea qu'il s'agissait là d'une pratique diététique. Il ne faut tout de même pas pousser le bouchon trop loin. Toujours est-il que le succès obtenu sur le rectangle vert, il fallut tenir la promesse et affronter les flots.
Ce fut là bien plus délicat qu'une longue saison semée d'embûches et de phases finales aussi aléatoires que difficiles. La composition de l'équipage posa bien vite un problème presque insoluble. Si le radeau disposait symboliquement de quinze fûts, il était hors de question d'y mettre toute une équipe qui comme chacun ne le sait pas dispose de vingt trois noms sur la feuille de match. Si on ajoute tous les acteurs de ce succès historique, il ne fallait compter pas moins de quarante cinq candidats à la grande descente.
Pour la descente justement, nous avions là des experts en tout point remarquables mais hélas dans une discipline toute différente. Entre la bière et l'eau de Loire, il y avait un monde qui semblait irréconciliable. Il fallut donc tirer à la courte paille pour désigner chaque jour, la nouvelle composition de l'équipage.
Dans cette manière de faire, il y eut cependant un intérêt non négligeable. La gueule de bois, corollaire incontournable de la sélection fut une garantie non négligeable de sécurité. Les gilets de sauvetage s'avérant d'une part trop petits pour nombre de ces colosses mais de plus parfaitement superfétatoire dans leur cas.
Il fallut cependant apporter un peu de modération aux ardeurs de la troupe. Nombre de ces charmants garçons au terme d'une année riche en victoires avaient pris l'habitude d'avoir du vent dans les voiles. Tout naturellement si j'ose dire, ils émirent l'idée de poser un mât sur le fût central, le numéro 8, puis éviter de souquer après une saison quelque peu galère.
Leur mentor, un ancien pilier gauche, responsable de la barre dans l'expédition, dut les convaincre que la rame et le courant suffiraient amplement à leur projet. Ils se rangèrent à son avis non sans quelques récriminations. Ce petit problème réglé, la logistique constitua alors la pierre d'achoppement de l'aventure. Le ravitaillement de tels lascars n'est pas sans demander des dispositions d'exception.
Un semi-remorque réfrigéré fut gracieusement prêté par un sponsor tandis qu'une grande enseigne de la distribution s'engagea à en faire le plein régulièrement, comptant sur ses collègues tout au long du parcours. Il restait à régler le souci majeur de l'hydratation de ces champions. Après bien des réflexions, un camion citerne fut spécialement conçu pour accueillir de la bière sous pression ; une innovation qui fera rapidement le tour des stades de rugby ainsi que de toutes les grandes manifestations populaires et néanmoins culturelles.
Ainsi l'épopée put se mettre en branle en ce mois de juillet suivant l'ascension. Hélas, la Loire connu un étiage historique, l'eau vint à manquer cruellement au point que le radeau ne pouvait flotter. Mais qu'à cela ne tienne, rien n'arrête les joueurs de rugby de Nevers et c'est en portant leur radeau sur le dos, qu'ils firent cette grande et magnifique avalaison.
Des esprits mesquins à moins que ce ne soient des footballeurs, prétendirent que toute la bière qu'ils burent durant leur épopée aurait permis de maintenir la Loire à flot. Même si cette remarque est parfaitement fondée, elle ne tient pas compte du peu de goût des poissons pour le houblon.
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