Lettre d’un dos d’âne
À un automobiliste, bêtement chafouin.
Nous vivons dans un monde étrange, il faut bien l’admettre mon cher automobiliste. Je vous devine chafouin, laissez-moi m’expliquer avant que de me juger. J’ai beau dresser les oreilles, je ne parviens pas à comprendre pourquoi, moi et mes semblables, nous poussons comme des champignons sur les rues de votre cité si urbaine. Pourtant ici pas plus qu’ailleurs, il n’y a la queue de l’un de mes congénères. Nonobstant, je suis partout, j’entrave votre envie de sillonner la ville aisément, je vous contrains à lever le pied, je vous secoue, je vous soumets parfois à des chocs violents.
Les uns manient la carotte, d’autres le bâton tandis que les édiles ? jouent du dos d’âne sans modération. Qu’importe l’endroit, je me mets en travers de votre chemin, j’amortis les chocs, je vous contrains à ralentir, je fais obstacle à votre volonté d’aller de l’avant. Je suis le coup de pied de l’âne, celui qui va briser vos amortisseurs, vous forcer à passer au marbre à moins que le coup ne soit fatal et ne vous conduise tout droit en enfer.
Une rue nouvelle se doit de disposer de son cheptel asinien. Mulets et bourricots, nous avons remplacé nos frères, les gendarmes couchés et les coussins berlinois, nos cousins germains qui sont passés de mode. Le dos d’âne est revenu en odeur de sainteté ; nous sommes la nouvelle vague de la police montée. Malheur à qui nous aborde un peu vite, il va racler sa belle carrosserie et risque de finir dans le décor.
Nous sortons sans doute d’un élevage juteux dans lequel pousse également les potelets et les pavés glissants, tous ces joyeux obstacles qui parsèment vos rues, vous promettant de joyeux séjours aux urgences. La sécurité est notre dada, non pas la vôtre, ne soyez pas dupe, mais celle de l’échevin qui profite de moi pour récupérer des pots de vin.
Si l’âne a besoin de son, l’élu aime à ce qu'on lui graisse la patte histoire de se remettre en selle pour sa prochaine campagne électorale. Tout est bon dans le mobilier urbain pour faire cracher ces cochons de contribuables. L’âne a bon dos puisqu’il n’est pas assujetti à l’impôt local. Dans certaines cités d’ailleurs, comme celle de laquelle je vous écris, il se murmure que plus nous serons nombreux, plus il y aura de chance de bénéficier de la visite du pape. C’est sans doute l’expression d’une grave confusion qui échappe à la raison.
En tout état de cause, ce sont les conducteurs qui font le gros dos tandis que leurs passagers découvrent les joies de la bête à deux dos. Le véhicule ahane, les chaos placent les automobilistes au creux de la vague tandis que les carrossiers se frottent les mains et les pilotes lèvent le pied. Les poulets s’amusent de n’avoir plus à contrôler les vitesses excessives dans cette basse-cour métropolitaine.
Je sais une rue ou pas moins de quatorze de mes congénères ont ainsi été placés pour contrarier un bonimenteur notoire. L’homme a pris le mors aux dents, il se cabre, rue dans les brancards et se propose de botter l’arrière- train du maudit responsable de tant d’âneries. Il convient du reste d’émettre une protestation, une plainte visant à défendre ma réputation. J’ai remarqué que nous allons toujours de pair, qu’un monticule précède le suivant. Il aurait été plus judicieux de nous qualifier de dos de chameau, la zoologie n’y aurait pas été troublée.
C’est sans doute dans le souci louable de ne pas mettre la puce à l’oreille aux usagers de la chaussée que ce vocable a été écarté. Pourtant tous ces dos d’ânes provoquent des poches d’eau, interdisent l’écoulement des eaux pluviales. Chameau eut en ce sens été bien plus évocateur au risque de déplaire aux tenants d’un nationalisme exacerbé.
Voilà cher automobiliste, vous savez tous désormais de mon courroux et de l’immense contrariété qui est la mienne tout autant que la vôtre. Je vous offre un cassis pour obtenir votre pardon en vous proposant mes plus plates excuses.
Asinement vôtre
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