Pentagramme festif
Ugolin, Clair, Eugend, Marie et Télémaque.
Ils étaient jeunes, insouciants, heureux de vivre malgré cette étrange période qui semble vouloir leur voler une partie de leur jeunesse. Ils furent réunis par un curieux hasard, leurs cinq prénoms se fêtant le premier janvier et quoiqu’ils ne soient pas très attentifs à ce genre d’ânerie d’un autre temps, c’est pourtant ce petit détail qui leur donna cette habitude de se retrouver depuis qu’ils s’étaient croisés au lycée, chaque réveillon de la Saint Sylvestre.
Autour d’eux, un petit noyau d’amis est venu se joindre à ce charmant quintette de la clairette comme ils se sont nommés, tout simplement parce que cette nuit-là, en bons mélomanes de la flûte, ils buvaient plus que de raison de la clairette ainsi que toutes sortes de piquettes bon marché. Il faut bien que jeunesse se passe en faisant avec les moyens du bord.
Ils avaient un grand bord et un bon fond, si bien que ce rendez-vous bachique était couru, ils avaient fédéré autour d’eux, un vaste ensemble de camarades tous disposés à partager leur passion pour la fête. La seule condition étant, le hasard faisant bien les choses tout autant que l’occasion élève le larron en gloire, de venir par petites formations de cinq personnes pour satisfaire aux injonctions de ce bon premier sinistre.
Nous tairons le nombre de multiples de cinq qui se réunirent la veille avant 20 heures dans cette vaste friche industrielle. Les doigts des deux mains n’y suffiraient pas. Quand on aime, on ne compte pas prétend une maxime ignorée d’un pouvoir qui contingente les braves gens. La jeunesse éprouve toujours le besoin de transgresser, il ne faut pas être passé par là pour leur jeter la pierre.
Le rassemblement eut lieu à 19 heures pour éviter le risque de tomber sur un barrage routier, une opération coup de poing et arriver avant ce couvre-feu de la honte. Les coffres étaient remplis de bouteilles, la nuit serait la plus longue de toutes puisqu’il fallait tenir au-delà de six heures. Un défi que tous étaient prêts à relever en buvant et en mangeant tout au long de la soirée. Ils avaient foi en eux, en leurs vingt ans qui les rendent indestructibles.
Ils burent jusqu’à plus soif, chantèrent, s’aimèrent, se pensèrent les maîtres d’un nouveau monde qui allait naître en cette année 2021, enfin débarrassée de son monstre machiavélique. Certains outrepassèrent leurs limites, ils s’endormaient dans des cauchemars d’épouvante, d’autres perdirent connaissance dans un malaise éthylique, beaucoup débordèrent afin de pouvoir continuer. Les yeux étaient glauques, les traits tirés, les faces blêmes et les propos incohérents. Il est vrai que d’habitude leurs soirées durent moins longtemps. Un fêtard est un sportif de haut niveau qui au fil de ses expériences est parvenu à maîtriser sa compétition absurde. Ce soir-là, les règles avaient changé, le gouvernement imposant des prolongations.
Au petit matin, ils durent rentrer pour éviter d’être pris sur le fait. Chacun, tant bien que mal rentra sans ses pénates. C’était du moins leur objectif en dépit de conditions peu propices à la conduite. L’insouciance ajoutée à la griserie firent que nul ne songea à ne pas se lancer dans cette folle aventure. Leurs départs provoquèrent sur le parking un incroyable ballet désordonné. Les véhicules allant en tous sens, se frôlant, se heurtant, se froissant avant que d’atteindre finalement une route vicinale qui devait les remettre dans le droit chemin.
Il y a souvent des miracles pour les ivrognes. Nombreux furent ceux qui au bout d’un trajet erratique finirent par arriver au port, au bercail ou dans un refuge quelconque. Ugolin, Clair, Eugend, Marie et Télémaque étaient venus dans la même voiture. Celle-ci n’arriva pas à destination. Un virage arrêta une intrépide chevauchée pimentée par la vitesse qui donne des ailes d’ange. Ils ne furent pas séparés, leur destin avait été scellé par la décision du gouvernement et leur folle insouciance. Ils n’eurent plus jamais à connaître de contraintes, ils étaient libres à tout jamais, débarrassés de cette enveloppe charnelle qui parfois, est un trop lourd fardeau.
Irresponsablement leur.
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