Précis de linguistique jacobine
Pauvre ROGER
Son glorieux javelot est émoussé
Si notre bon Roger doit son prénom au germain Hrodgari, le français a singulièrement émoussé sa lance glorieuse (hrod = « glorieux » et gari « javelot, lance »). Nos bons envahisseurs romains sont venus perdre leur latin dans nos contrées en apportant dans leurs bagages Rogare qui s’offre le luxe du double sens. Le verbe peut signifier « questionner, demander » et nous a donné l’interrogatoire cher à Darmanin et aux siens. Tandis que l’autre branche sémantique est allée chatouiller l’imagination de nos chers et onéreux législateurs : « Chercher à avoir » est au cœur de cette acception qui navigue joyeusement sur des eaux vénales : « Briquer, solliciter, prier … ». On ne peut mieux dire dans la nation des élites corruptibles.
Rogatoire a le vent en poupe. Il s’agit alors de laisser faire ses commissions, ses basses besognes par un autre, un tiers, un comité d’experts, un conseil de défense à qui l’on prie de se salir les mains à la place du donneur d’ordres. C’est bien dans les pratiques d’une élite qui a la fâcheuse habitude de déléguer tout ce qui suppose un petit effort ou un tantinet de courage politique. Tandis que les citoyens, jamais invités au festin, n’ont droit qu’aux Rogatons, aux restes que laissent parfois ces goinfres.
Nous pouvons donc supposer que le terme à la mode en cette triste période relève de la seconde acception. La dérogation en poche, son bénéficiaire ne veut pas être en reste. Il pense échapper à la règle commune, celle qui justement a été conçue pour copieusement pouvoir y déroger pourvu qu’on connaisse les combines ou quelqu’un d’influent. Un sport national dans cette République bananière, une règle étant toujours écrite pour laisser place à des exceptions pourvuesqu’elles n’en soient pas connues de tous.
Par contre, dès qu’il est question d’entraver les libertés des plus humbles, de poursuivre dans la voie du liberticide, la prorogation se profile à l’horizon. Les mesures d’exception aiment à durer longtemps et flirtent même avec l'étymologie de ce mot qui renvoie à la perpétuité. Cependant, on devine malgré tout une certaine gêne à user de cette pratique puis le substantif « Prorogatoire » n’a pas trouvé place dans notre dictionnaire.
La subrogation est à la mode en cette crise. Le quoi qu’il en coûte a conduit à subroger le travail en entreprise par le fameux télétravail pour ceux qui peuvent accéder à ce luxe tandis que les autres, mis à pied découvrent que l’état est susceptible de trouver parade pour se substituer à votre employeur pour financer un chômage technique. Nous sommes donc au cœur du chaos et d’une période largement qualifiable de subrogatoire.
Finira-t-on par abroger toutes ces lois d’exception. Le doute est largement permis d’autant plus que l’abrogation est un acte douloureux pour qui gouverne dans le mépris des libertés. Les temps abrogatoires ne sont pas au bout du tunnel ni même de la seringue. On devine aisément qu’il est merveilleux de tenir ainsi à la bride un peuple de veaux ou d’ânes bâtés.
On peut largement s’interroger sur les dérives linguistiques de l’heure. Mais mener un interrogatoire citoyen pour tenter de comprendre ce micmac incroyable n’est pas à l’ordre du jour, un ordre nouveau, sanitaire et arbitraire qui convient parfaitement à nos démocrates de façade. Si commission il y a, elle se passera dans l’entre soi, ce qui garantit de ne pas faire de vague. Ubu peut dormir tranquille, personne ne viendra chatouiller les arpions du Freluquet.
Les mots nous renseignent-ils vraiment sur nos maux ? La question mérite d’être examinée. Cependant il convient de ne pas oublier de remplir sa dérogation : penser est devenu un acte largement prohibé. Le mieux est de se laisser mener par le bout du nez à travers la petite lucarne à blaireaux. Les grands médias se sont arrogés la mission d’abrutir le bon peuple. Cette joyeuse manipulation sera largement prorogée, n’attendez aucune inflexion dans une stratégie largement payante pour ceux qui tirent les ficelles.
Lexicalement leur.
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