Une heure à tuer …
Conte sexagésimal pour un rituel obsolète
Ce n'était pas pourtant la dernière.
Sans autre forme de procès, ainsi que sans la plus petite raison valable, je me voyais dans l'obligation de tuer une heure qui ne se distinguait en rien des précédentes si ce n'est qu'elle devenait soudainement surnuméraire par une erreur d'horaire, à moi seul imputable. J'aurais pu arguer d'un délit de fuite pour justifier son exécution sans sommation mais c'eut été parfaite mauvaise foi de ma part. Si le temps se refusait à me filer entre les doigts, ce n'était que de ma seule responsabilité.
Il me revenait de choisir le mode opératoire si cette expression peut tenir compte de la brutalité de ces instants capitaux que nous allions vivre. Inutile de couper les cheveux en quatre, il me fallait assumer ce crime, la tête haute, pour ne pas donner le sentiment que j'avais l'intention de revenir en arrière, de renoncer à ce projet homicide.
Tuer le temps exige de ne pas avoir la main qui tremble, surtout si c'est celle qui exécutera les hautes œuvres. Le temps ne se coupe pas en tranche contrairement à l'idée reçue. Il exige une rupture nette, brutale, définitive. La dernière heure ne suppose de ne pas perdre la moindre minute ni la plus petite seconde. L'instant doit être décisif sans que le moindre grain de sable ne vienne perturber le couperet.
Le temps voulant sans nul doute jouer la montre, se mit à réclamer une ultime faveur, un moment de grâce afin de pouvoir exprimer ses dernières volontés. Je n'ai pas eu le cœur de lui refuser cette quémande, percevant que c'était pour cette heure à tuer une question de vie ou de mort. Elle réclama à pouvoir coucher sur le papier ses ultimes instants qu'elle entendait léguer à la postérité. Elle se faisait un sang d'encre et exigea un éphéméride pour vérifier le saint du jour.
Cette dernière heure voulait en découdre avec le calendrier. Voilà une surprise pour le manant que je suis. Je n'imaginais pas qu'à l'heure de son jugement dernier, celle-ci allait soudain me faire une crise de mysticisme. Puis, à bien y réfléchir, prenant mon temps pour me poser les bonnes questions, je me devais reconnaître que toute religion est en communion intime avec le temps qui passe auquel elle entend scander le déroulement par des rituels chroniques.
J'étais engagé bien malgré moi dans une course contre la montre, le temps allait me manquer pour réaliser mon forfait. Je ne pouvais tergiverser plus longtemps, il m'appartenait sans tarder de passer à l'action, de briser le destin d'une heure qui avait une dette envers moi. Sentant le vent du boulet, ma future victime qui avait le bourdon, réclama une pause, un dernier soupir avant de rendre son dernier souffle.
Je lui fis donc cadeau d'un peu de temps sans même me rendre compte que le temps filait sans que je m'en aperçoive. Toutes ces réflexions, ces considérations, ces tergiversations avaient fini par compléter cette heure qui soudain s'était imposée à moi, dans un vide sidéral. Mon heure à tuer l'avait échappé belle. Elle avait tiré son aiguille du jeu, me leurrant, à la bonne heure.
Inutile de vous dire combien je fus soulagé de ne pas avoir ce crime sur la conscience. Je pouvais retrouver le cours normal de mon emploi du temps, puisque nous avions tout deux, effacé cette heure en trop. Le temps retrouvait sa marche normale, sans se retourner. C'est sa force que de toujours regarder devant sans le moindre retour en arrière. Le passé sans cesse révolu, le temps avait horreur d'évoquer ses souvenirs.
Cette heure que j'avais failli assassiner s'était évanouie dans l'espace temps, dissoute dans une mémoire qui n'enregistre jamais rien. Je tournais en rond à vouloir me remémorer ce passé presque immédiat qui m'obsédait encore, oubliant que la roue tourne pour moi aussi. Je me tuais désormais à tenter de m'accrocher à un souvenir qui s'effaçait de manière inexorable.
Le temps ne fait rien à l'affaire. Passe cette heure, ni temps passé, ni les amours reviennent. Sous le pont Royal coule la Loire. Les jours s'en vont je demeure.
À contre-temps.
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