Inévaluable
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La nouvelle a fait l’effet d’un gigantesque séisme. Michael Jackson, le roi de la pop, l’une des personnalités les plus connues de tous les temps, la première star galactique s’en est allée.
Sa disparition, véritable 11 septembre musical, ne fait qu’attester une réalité implacable : malgré une vie émaillée de controverses et des bouleversements physiques sujets aux railleries, sa popularité demeurait astronomique. Un chiffre, un seul, illustre l’immensité de ce génie ravagé : 750 millions.
Comme le nombre d’albums qu’il a vendu en plus de trois décennies d’une carrière épique, au cours de laquelle il a révolutionné la musique et réinventé le clip. Une carrière qui lui a aussi volé son enfance et lui a détruit jusqu’à son apparence.
Une émotion considérable
Les chaînes de télévision ont bouleversé leurs programmes, jonglant entre compte-rendus d’envoyés spéciaux et rétrospectives douloureuses.« Thriller », « Bad »... le monde entier a au moins aimé ses tubes et eu le souffle coupé par ses insensées qualités de danseur et de showman.
Une fois sa mort à peu près admise, le buzz dépassera encore l’imagination. Un concert international de louanges d’une ampleur inédite a déjà commencé. Il rend presque inaudibles les voix discordantes, celles qui ont oublié que nous sommes le monde et font d’accusations des vérités. Les points de ventes et autres sites de téléchargement, eux, ont été pris d’assaut, parce que la propension de l’espèce humaine à la nostalgie surpasse le gravissime malheur du moment. Quand bien même l’émoi et le vide sont encore trop immenses pour être bien appréhendés, il n’est pas difficile d’imaginer qu’ils seront encore plusieurs dizaines de millions, ces prochains jours, à se replonger dans le« jacksonisme » qui, pour une majorité d’entre eux, a marqué leur enfance mais aussi fait vibrer leurs parents.
L’anéantissement, quasi-unanime, a débordé les rédactions. Les journaux du monde entier ont titré sur la mort de l’ex enfant-prodige devenu mégalomane malgré lui, légende candide, hypocondriaque et hypracomplexée, artiste irradiant comme il n’en existe qu’un par siècle, génie dépigmenté comme il n’y en aura plus jamais d’autres. Les éditorialistes, eux, ont sorti leur plus belle plume pour des hommages grandiloquents, oubliant pour la plupart les zones d’ombre, les polémiques et les lubies.
Vendredi matin, les couches-tôt européens n’y ont cru ni leurs yeux ni leurs oreilles, préjugeant encore que les monstres sacrés ne peuvent qu’être immortels.
Mégalomane malgré lui
Michael Jackson était de la race des inégalables dont on ne concède pas la mort et de ces musiciens uniques qui ont chamboulé leur art et su briser les barrières entre les générations. Il était de ces bourreaux de talent capables de justifier le play-back et de générer une pensée unique, de ces idoles avec lesquelles nous avons tous une histoire, capables de marier composition, danse et marketing, de ces auteurs de prestations intemporelles. Il était de ces icônes surendettées au train de vie somptuaire capables de repousser les limites de la déraison et du vedettariat, de ces demi-dieux venus du Grand Satan trop importants pour les opprimés iraniens, de ceux dont la déchéance contribue à la légende et n’entame pas ce statut destructeur de star internationale.
Michael Jackson était trop phénoménal, déifié, ambigu, incernable et certifié fragile pour ne pas être exposé au sordide, mais ses pas et ses clips l’ont emporté sur la suspicion la plus terrible. Corrosive, inquantifiable et ingérable, sa notoriété l’a peu à peu fait basculer dans une sorte de dure folie mal dissimulée et fait proliférer les pires spéculations.
Alors que tous ou presque doutaient des capacités de "Bambi" de pouvoir remonter sur scène, les billets de sa prochaine tournée, qui se voulait être celle de la rédemption, se sont vendus en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, même si "Jacko", l’âge et les coups très durs aidant, paraissait musicalement et moralement carbonisé. Elle n’aura jamais lieu.
L’excès et la démesure exacerbés
Il aurait pu expirer sur scène mais il est mort entre des murs, entre deux âges après avoir vécu entre deux peaux, terrassé par une crise cardiaque peut-être due à son addiction aux médicaments, comme un pied de nez morbide à l’épopée inouïe qu’il a peut-être plus subie que souhaitée.
Eternel enfant miné par le fait de ne pas avoir eu la chance de connaître le plus beau, décadent glorieux terrorisé par le sexe, incarnation vivante de la démesure, accumulation terrible d’incertitudes, d’oxymores, de paradoxes et de contradictions, il est parti dans la solitude, toujours adulé mais mal entouré et surtout pas apaisé. Lesté du costume trop grand d’ambassadeur des martyrs de la gloire, sous pression depuis quatre décennies, le "moonwalker" n’aura jamais cessé, hélas à juste titre, de douter du désintéressement et de l’intégrité des siens. Entouré de médecins douteux et de conseillers véreux, il s’est constamment cherché et a couru un demi-siècle après un bonheur que la célébrité ne sait que trop bien rendre inaccessible.
Trop vénéré peut-être pour ne pas se sentir seul, il n’en sera pas moins regretté dans le monde entier. Ils se sont vite rassemblés et seront nombreux à suivre le cortège, chorégraphies en tête et yeux rougis, à pleurer ce visage en constante profanation et pourtant inoubliable.
Comme lorsque JFK s’est incliné devant un bras dont on ne saura jamais s’il a été armé et que des tours new-yorkaises se sont fondues dans l’horreur, ses contemporains se souviendront comment et quand ils ont appris.
« La mort transforme la vie en destin », écrivait André Malraux. Le sien devait être de trépasser de mort obscure après une existence toute en gigantisme mais rongée par l’artifice.
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