L’apparition de Bernadette
Il y a eu le film. Puis le livre du film. Enfin le DVD du livre du film qui sort aujourd’hui. Au départ, son auteur, le journaliste John-Paul Lepers, part avec son équipe pour tracer le portrait politique sans concession de Bernadette Chirac. A la fin ça fait psschitt. Histoire d’un ratage médiatisé.
La première scène du DVD « Madâme, le film » (sortie aujourd’hui chez Opening) est impressionnante. On y voit Bernadette Chirac entourée d’une petite foule réunie là pour un raout bon enfant. La caméra de John-Paul Lepers, bien visible, fixe « Madâme » qui l’ignore superbement. Et puis l’incident arrive : dans un moment d’exaspération, madame Chirac attrape violemment la perche du preneur de son et demande que cesse cette intrusion dans sa vie privée. « Il y a des limites ». Puis les gardes du corps expliquent au journaliste et à son équipe qu’il faut partir. « Non mais tu as vu ça, pour qui elle se prend ? Pour la reine ! » se dit le spectateur devant son écran. Après réflexion le même spectateur se demande finalement au nom de quoi John-Paul Lepers poursuit ainsi Bernadette Chirac. Et pourquoi ? Et qui poursuit-il ? La conseillère municipale de Saran, village corrézien de 300 habitants ? La ramasseuse de pièces jaunes ? L’épouse de Jacques Chirac ? A la fin on ne sait plus très bien. Tout se mélange. Et l’on sort du film sans rien savoir sur la première dame de France (une fonction qui n’existe pas officiellement dans notre pays), mais avec un petit malaise. Et si John-Paul Lepers, en se mettant continuellement en scène, avait voulu réaliser un auto-portrait, celui d’un journaliste un peu impertinent et aussi un peu paresseux qui se la joue. Un peu.
Pourtant cette histoire avait bien commencé. Au départ, en
2004, le fondateur de la Télé Libre
réalise trois portraits politiques à la demande de Lundi investigation,
émission politique de Canal + : ceux de Nicolas Sarkozy, de Ségolène Royal
et de Bernadette Chirac. Les deux premiers sont diffusés. Le troisième est
refusé par la chaîne au motif que le film ne serait pas abouti et trop
irrévérencieux. John-Paul Lepers remonte alors le documentaire, le propose à
nouveau et rebelote, la chaîne le refuse encore. Le portrait politique de
Bernadette Chirac ne verra jamais le jour publiquement. Fin du premier épisode
et à priori de ce « film dont tout le monde a parlé, mais que personne n’a
vu » dixit le Monde. John-Paul Lepers en est certes attristé, conteste
mollement cette décision de la chaîne (en fait, il sous-entend dans le bonus du DVD que ce documentaire n‘était peut-être pas très professionnel), mais comme
tout journaliste qui se respecte, il passe à autre chose.
C’est d’ailleurs peut-être mieux pour lui, ce refus de Canal
+. Opportunément, Lepers écrit le récit de cette aventure dans un livre
(« Madâme, impossible conversation » paru aux éditions Privé en 2006)
où il retrace cette histoire et plus encore. Le succès populaire de l’ouvrage
lui donne des ailes. Si le livre marche auprès du public alors qu’aucun
confrère ne l’invite sur les plateaux télé pour en parler (Lepers est quand
même reporter depuis deux décennies à la radio et sur différentes chaîne de
télé parmi lesquelles Tf1 et Arte...) c’est forcément qu’il y a un problème quelque
part. Il développe alors l’idée que madame Chirac, « Madâme », comme
il l’appelle, est un monstre froid et calculateur, un Machiavel en jupon qui
depuis le milieu des années 90 (époque de la dissolution ratée, époque où les
« affaires » sortent) s’empare des rênes du pouvoir. La femme de
paille de Chirac. Bigre ! Lassée de voir sa fille Claude prendre le devant
de la scène, elle veut tout gérer et surtout remettre son mari au centre de
l’échiquier politique. Elle sera l’artisan des « retrouvailles » avec
Nicolas Sarkozy. Et l’on peut voir aujourd’hui même que c’est Bernadette qui
soutient le candidat de l’UMP, pas Chirac.
Ça, c’est l’auteur de ces lignes qui le déduit du reportage
de Lepers, car ce dernier, prétendant nous livrer un portrait politique de
« Madâme » se perd dans son propre dédale. Le côté calculateur,
hautain, aristocrate, vieille France est évoqué, mais jamais travaillé au fond.
Car il est constamment parasité par des allégations qui frisent l’anecdote, quand
ce ne sont pas des anecdotes (ainsi la longue scène sur l’interdiction aux automobilistes
d’emprunter la route qui longe le château de Bity est risible à défaut d’être
drôle), des faits qu’on dirait non vérifiés.
Quand Lepers, dans son livre (et a fortiori dans son DVD), prétend plonger « au cœur de l’exercice du pouvoir » ou encore décrypter « la femme la plus influente de France » (rien que ça !), on se met à rêver. En fait la femme la plus influente de France règne sur un minuscule conseil municipal dans une région portée sur le clientélisme, prétend qu’elle reçoit plus de pièces jaunes qu’elle n’en récolte en réalité, se taille la part du lion dans l’inauguration d’un hôpital qu’elle finance bien moins que le Conseil régional d’Ile-de-France. Elle est exécrable, cette mégère, avec ses tailleurs Chanel (Lepers va même jusqu’à interviewer Karl Lagerfeld...) et ses coiffures de mémère. Mais on la trouve aussi touchante, cette première dame de France qui, pour confondre son ennui, joue à la princesse et sait habilement communiquer et se mettre en avant. La femme la plus influente de France ? Elle joue de son minuscule pouvoir pour que la poste de Saran ne ferme pas, elle promet à Jacques Vendroux (monsieur Foot à France Inter) qu’elle ira dire deux mots à TF1 pour son ami Thierry Roland. Et surtout, elle refuse de parler à Lepers. C’est tout. Quand finalement le journaliste réussit à décrocher une interview, c’est elle qui mène la danse. Forcément, pour Lepers, cette apparition de Bernadette était tellement espérée qu’il en perd ses moyens comme un bigot devant la grotte de Lourdes. On a plus le sentiment d’un règlement de compte dans lequel le journaliste, frustré de n’avoir pu obtenir ce qu’il voulait (mais on ignore ce qu’il voulait puisque son sujet n’a aucun angle), fait flèche de tout bois et les décoche au hasard, au risque de perdre en efficacité.
La première dame de France n’existe pas officiellement. C’est donc son droit de ne pas réponde à un journaliste. Elle défend sa vie privée. Pour le reste, un reportage de deux minutes suffisait.
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