Lady Gaga et autres contes et légendes
Toujours frappé par la même ignorance crasse qui m’habite depuis la première fois où j’ai entendu parler d’elle : je ne sais toujours pas qui est cette Lady Gaga dont on expose la tête et les jambes sur les magazines people, sur Internet et ailleurs ! Ni ce qu’elle fait dans la vie ?
Serait-ce là le signe avant-coureur d’un décrochement définitif de ma part avec mon époque ?

Car même autrefois, si le défilement de certaines célébrités dans les journaux people ne retenait pas toute mon attention ni même ma mansuétude, j’en savais le minimum de ce qu’il fallait en connaître d’elles ! Quelque chose atteignait les différentes synapses de ma conscience sociale, pour me tenir informé de leurs frasques, de leurs avantages physiques et du petit monde retranché dans lequel elles évoluaient. Rien ne m’était étranger. Je courrais derrière le moindre commérage qui se chuchotait en ville pour briller devant mes amis aux diners que j’organisais.
J’étais un honnête homme, au sens où le 18ème siècle le définit : quelqu’un de cultivé, ayant un sens aigu pour les convenances sociales et un goût immodéré pour la vie mondaine de son époque.
Mes sentiments étaient nobles, altruistes. J’étais ouvert à la beauté du monde. Mon honnêteté intellectuelle et morale me faisaient dévorer Voici et Gala à peine avais-je franchi la porte de mon salon de coiffure.
Au lieu de m’emparer de Moteurs, de Cigares ou d’un vieux numéro de l’Equipe un peu sale, comme l’eut fait n’importe quel mâle viril, j’empilais sur mes genoux joints, les magazines féminins dont je prisais secrètement les enquêtes et m’abandonnais à mon vice.
Ma coiffeuse partageait mon addiction. Contrairement à moi, elle s’en était affranchie et la revendiquait presque. C’était une people-eater militante de la pire espèce. Une addicte en tout point. D’aspect boulotte et râblé, elle avait des origines berbères et un visage poupin. Ses lectures avaient données, par je ne sais quel contraste obscure, un véritable sens à sa vie. Nous partagions ensemble, ce même goût immodéré pour les colportages de toute sorte.
A peine m’avait-elle vissé dans le large fauteuil orthopédique qui ensevelissait ma petite taille et propulsé devant le grand miroir odieux qui me renvoyait avec cruauté un visage défait, que je m’adonnais furieusement à mes lectures voraces.
Cintré dans ma camisole noire, pleine de poils, j’ouvrais les pages avachies d’un vieux numéro de Prisma Presse et me précipitais sur les adultères lesbiens d’Angelina Jolie. Entre une recette de tourte aux poireaux et un horoscope chinois, je m’instruisais de tout ce qu’il fallait connaître des dernières affres de Paris Hilton.
Je ne sais plus à quel moment tout a basculé. Un jour, je ne reconnus plus personne. C’était comme si mes stars d’hier avaient cédé leur place à quelques inconnus qui s’étaient emparés de mes magazines favoris et avaient faites main basse sur le gotha tropézien qui se rependait naguère, d’Ibiza à Deauville. C’était comme-ci l’ancien monde s’était effondré sous le poids de la lassitude populaire.
Mes antiques idoles squattaient à présent les brèves des avant-dernières pages de mes magazines, comme si elles furent un peu honteuses de faire encore parler d’elles. Anna Nicola Smith était morte, Loanna enchainait les overdoses, Nicole Kidmann avait fait un bras d’honneur définitif à la scientologie et Doc Gyneco ne faisait plus rire personne. Le système avait récupéré Bruno Lopes et Didier Morville qui s’étaient soudainement auréolés d’une notoriété respectable qui les mettait à deux doigts de fréquenter les plateaux de Drucker. Tout avait foutu l’camp.
Depuis, la concurrence est rude. Combien de temps encore survivront mes vieux magazines à cette nouvelle génération qui ne recule devant rien ? OOPS, PUBLIC, PEOPLE, PSST, STARS, autant de titres de presse dont je n’ai jamais ouvert la moindre page et qui me tombent des mains.
IL faudra sérieusement que je songe à collectionner mes vieilles reliques, comme mes grands-parents enfermaient naguère dans des males les numéros de Ciné-monde et de Jour de France.
Ne me demandez pas qui est Laurence Fishburne, Eva Mendes ou Allen Pineda Lindo. Vous risqueriez d’observer une crispation de ma mâchoire suivie d’un léger froncement de sourcils qui en diraient long sur ma déconvenue.
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