Dans le plus grand silence médiatique, dans l’embarras scientifique le plus total, dans le gouffre sidéral de la pensée et le silence coupable du militantisme citoyen, un assassinat a eu lieu avant-hier : l’assassinat du 29 février. Un vol à main armée, armé d’une pendule. Tic, tac, c’est dans le sac. Et cependant, pas un mot, pas une pétition, pas même un hommage furtif. Rien, je vous dis. On nous a volé un jour de notre vie, comme tous les trois ans, mais on s’autorise à penser dans les milieux autorisés que tout est normal.
O tempus, O mores ! Tempus fugit, disent les latinistes. Nous ne savons ni le jour ni l’heure, rappellent les exégètes des Ecritures. Nous voilà en mars sans avoir eu le temps de crier ni train, ni gare, ni rien. On nous a volé un jour (voire deux), mais tout le monde s’en fout. Moi-même, je me sens bien seul, à l’heure de porter le fardeau citoyen qui consiste à vous secouer de votre torpeur de bien-assis et de bien pensants.
A l’heure où j’écris ces lignes, je sais que votre jugement sera sévère.
"Ben oui, et alors" ? disent les amateurs de longs fleuves tranquilles et de calendriers des Postes…
Certains iront même jusqu’à applaudir.
Février est mort ? Bien fait.
Ce mois grumeleux, triste, neigeux et venteux à souhait nous a passablement gonflé. Comme seul janvier avant lui avait su le faire à ce point.
Il est bien là où il est, et qu’on tire la chasse d’eau, qu’ils disent.
Et pourtant.
Camarades, lecteurs, confrères, citoyens, on vient de vous voler un jour de votre vie. Et vous n’avez rien vu, rien dit. Votre silence en dit long. Il est coupable.
Une journée de moins à siroter un rosé frais sur la terrasse en faisant tinter le glaçon.
Une journée de moins à voir les volutes de nos cigares partir en fumée. "Vos luttes partent en fumée", disait Bashung.
Une journée de moins à regarder le soleil tant qu’il en a. A s’engouffrer dans le mystère des moiteurs féminines, dans les draps poissés d’aube.
Bref, la revanche des hygiénistes de tous poils. La victoire du principe de précaution.
Animé comme toujours du souci de vous informer le plus exactement possible de la situation, je dois toutefois admettre que cet assassinat peut revêtir quelques aspects positifs :
-les statistiques du chômage devraient probablement marquer une légère inflexion en février.
Tout bénéfice pour certains. Pas pour les chômeurs, non, pour ceux qui vivent du système, à savoir ceux qui comptent les points.
-la mortalité routière devrait elle aussi reculer, pour la plus grande joie des autophobes de tous poils, et de nos pandores en bolides japonais, quelque peu oisifs depuis qu’il n’y a plus d’irlandais à Vincennes ni de paillotes à brûler.
Imaginez vous le nombre de camions-fantomes et sans frein ainsi évités, d’ivrognes et autres suicidaires à contresens de l’autoroute qui voient ainsi une journée entière échapper à leur passe-temps favori.
- Pour ceux qui ne sont pas journaliers ou intermittents du spectacle , vous avez aussi été payés plus pour travailler moins, ce que jamais aucun escroc -pardon, homme politique-, n’avait jamais osé promettre dans ses rêves les plus fous.
-Pour les chiffres officiels de la délinquance, c’est aussi une courte respiration, une brève jachère avant la reprise inexorable des assassinats, des viols, des braquages et autres joyeusetés qui font la joie de nos confrères de la presse écrite et des accros de la petite lucarne.
-L’assassinat du 29 février, c’est aussi, pour ceux qui comptent les jours , toujours cela de pris.
Les taulards, pour qui 5 ans de prison, ça inclut aussi les années de décapitation de ce qui dépasse du mois de février. Une remise de peine sans passer par le juge. Toujours bon à prendre. Idem pour ceux qui attendent la retraite comme le messie, épuisés par les vieilles soucieuses et les années passées à séparer les copies des originaux : ils voient ainsi s’approcher l’Eldorado.
C’est toujours autant de gagné également sur la faucheuse, la camarde de misère et sa faux à quatre sous, qui a du chômer une longue journée et une longue nuit. Ce qui n’est pas son habitude.
Pour une fois, elle a pris cela dans ses dents, la tête de mort. Ca fait un pied de nez aux cancérologues qui avaient lancé à leur patient qu’ils ne passerait pas l’hiver, et autres "quand barbecue au moins d’Août, mort en février".
La camarde a bien été obligée de regarder ailleurs, de s’occuper un peu d’elle et de ses dents pourries, n’ayant plus aucun petit vieux à se mettre sous la faux, plus de petit jeune à écrabouiller dans sa GTI.
Mais elle se vengera, c’est sur.
Dès le mois de mars.
Et comme disait Pierre Desproges : "quant au mois de mars, je le dis sans arrière-pensée politique, ça m’étonnerai qu’il passe l’hiver".
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Salut Sandro
Dans ce genre d’affaire pas claire et difficile à élucider, il faut procéder à l’ancienne : Chercher à qui le crime profite. Pour l’heure, je te livre une hypothèse, qui me paraît de bon sens.
90.000 chômeurs de plus par mois, ça fait 3.000 chômeurs par jour.
3.000, c’est toujours ça de gagné en supprimant le 29 février . Voilà qui me fait craindre le pire pour le 31 mars.
@ Yohan :
Ce suicide triennal organisé de nos journées a des bons et des mauvais cotés. Cela fait comme une montre qui coule.
J’ai essayé de joindre à mon article une illustration des "montres molles" de Dali, mais ça s’est perdu dans le logiciel des rédacteurs.
A tout hasard, et pour le bon ordre de la minute culturelle, je la joins ici :
Furtif,
A mon avis, c’est un détournement de solstice. Il a été embarqué dans une fourgonnette à la sortie de l’école, avec la semaine des 4 jeudis.
Quand le solstice est mineur, ça va chercher dans les 15 ans. Un bail.
Les calendes de mars sont reportées sine die aux calendes grecques, ce qui n’a jamais fait bon ménage avec les romains....
Ni avec les calanques de Cassis , mais c’est une autre histoire qui nous ménerait vers le Vermouth -cassis, un sujet où je laisserai, par pudeur, Haddock s’exprimer.
à tous les natifs du 29 Février ,lésés ( et même baisés ) dans un certain sens ,ne reçevant un cadeau que les années bissexstiles ,occasionnant de ce fait une jalousie vis à vis des autres membres de la fraterie ....
( quoique les natifs du 25 Décembre également soient désavantagés ...)
donc si l’on fait le calcul du manque autant affectif ,que comptable ,des natifs du 29 / 02 ....tous les pâtissiers ,les marchands de cadeaux divers ,les marchands et fabriquants de rouge à lèvre ( bon anniversaire mon Chéri ! smac ! smac !...)l’état civil également ...forcéments perdants ,devront porter réclamation à qui de droit ......
en ces périodes de revendications de toutes sortes ,que les natifs de ce jour maudit s’unissent afin de faire pression sur le gouvernement afin d’obtenir à leur tour gain de cause ,et obtenir réparation du préjudice subit ,autant matériel qu’affectif !
natifs du 29 Février de tous pays ,unissez vous !
( moi ,j’m’en fous je suis natif de Mai ,je dirais pas quand pour pas payer mon coup ! )
Bonjour Monsieur Colibri (*1*), euh … Monsieur Sandro,
Désolé pour le retard mais le 29 j’étais pris. Comment ça vous ne me croyez pas ? Bon alors vous l’aurez voulu je dis tout :
Je vous informe pour votre information que les désinformateurs (vous savez ces laiderons infâmes et difformes), en formation serrée et accélérée ont sévi et que je n’étais pas informé qu’au mieux de votre forme, vous ayez formulé le vœu d’écrire ces lignes de la plus pure harmonie des formes, aux formes certes généreuses mais fermes sur le maraudage d’un jour entier par la firme Firmin, à la forme juridique souffrant d’infirmité et de scélératesse, vite déformée par ces cleptomanes en indélicatesse… avérée et pas du tout de pure forme.
Heureusement que vos amis étaient là, qu’ils avaient formé leurs rangs pour saluer l’homme, le fond et la forme. Même si en légère méforme, Gül nous fait dans la Lapalissade en bonne et due forme…
Dans sa Cabine de vaisseau amiral, Argo suit de près sa flottille et compte désormais régulièrement les points sur l’écran depuis qu’il a eu (bon) vent, que vous aviez publié dénonçant un acte de piratage et une scandaleuse rapine sans précédent de pas moins de, vingt nefs.
(*1*) Lu dans un mail
… Un gigantesque incendie ravage la forêt. Les animaux assistent impuissants à la progression inexorable des flammes. Seul un minuscule colibri s’active. Il plonge dans la rivière, recueille quelques gouttes d’eau dans son bec et va les jeter sur le brasier.
- « Ne vois-tu pas que c’est inutile ? », lui-dit le tatou.
- « Je sais, lui répond le colibri, mais je fais ma part »… Merci Sandro
Jojo,
Ce petit billet d’humeur visait à ne pas nous maintenir constament dans l’erreur.
Il visait aussi à rendre hommage à deux citations évoquées par Furtif :
"Que le jour recommence, et que le jour finisse" ( Racine, Bérénice)
"Il vaut mieux mobiliser son intelligence sur des conneries que sa connerie sur des choses intelligentes".
PS : Last but not least : j’ai tenu, grace à Dali, à montrer dans la vignette à Seguela et autres amateurs de talonnettes ce que devient une Rolex avec l’outrage du temps.. Ca fait réfléchir.
"La vieillesse est un naufrage" , disait De Gaulle. Et il n’y a pas de canot de sauvetage dans ce Titanic.
Cejourd’hui d’avant deux mains, que personne ne pourra nous voler (trop de témoins, … Un million paraît-il), Léon a écrit un billet sur les hymens nationaux (non je ne suis pas dyslexique non pourquoi dites vous ça Capitaine ? Et quel rapport avec Célimène ? Passons), voici le votre d’hymne à tous les deux honteusement plagié par Bruxelles :
Sandro , sympa t votre carnaval de février/ mars
en tout cas Desproges n’est toujours pas passé à la moulinette de l’oubli (l’arme à gauche c’est déjà fait , merci))
hier encore dans une émission d’yves Calvi consacré au humoristes un extrait de son sketch sur les juifs et les nazis a encore fait polémique ; il faisait rire certains amuseurs et d’autres pas du tout
Non, lampion. Pas de nouvelle du vaisseau amiral. Restent les poissons -pilotes...
Vous avez raison, Desproges est (avec Céline et Mc Carthy) mon livre de chevet. Ou plutot il est à mon chevet, méme si je ne suis qu’à sa cheville...
PS : cela faisait longtemps que l’on n’avait vu votre doux nom et votre phare dans la pensée voxienne.
Donc, tout spécialement, je vous dédie la Chanson des Gardes Suisses (citée par Céline dans l’épithaphe du "Voyage au bout de la nuit") :
"Nous allons notre chemin
Dans l’hiver et dans la nuit
Nous cherchons notre passage
Dans le ciel où rien ne luit"
Salut Sandro ! I
Il faudrait aussi penser à la disparition toute "perecienne " des 11 jours lors du passage du calendrier julien au calendrier grégorien. Tant de choses essentielles auraient pu se passer entre le 4 et le 15 octobre 1582
Doc,
Votre érudition me laisse sans voix.
Je me pencherais bien sur la question, mais j’ai peur d’y tomber. E pericoloso sporgersi , comme il était écrit dans les trains de mon adolescence.