Les dîners de con(vives) - 1
C’est encore les vacances en France. La rentrée nous promet morosité, récession et tout un tas de misères sociales, économiques et politiques. Restons encore un peu léger en attendant les mauvaises nouvelles, elles arriveront bien assez tôt. Vous avez tous été invités par des amis, ou soi-disant tels, des relations de travail, des gens rencontrés en vacances ou lors d’un mariage ou une quelconque célébration collective. Vous vous attendiez à un moment agréable, mais, hélas, même si ce ne fut pas toujours l’enfer, ces dîners n’atteignirent pas vos espérances et vous en sortîtes échaudés. Le vous est de pure forme didactique, il pourrait être remplacé par nous, car, pour écrire cet article, il faut avoir donné de sa personne ou avoir des sources sûres. On ne peut tout inventer, même avec de l’imagination. Ces situations, je les ai vécues presque toutes, évidemment, j’ai condensé.
Disons-le tout de suite, un dîner peut être très agréable en soi si on a la chance d’éviter les seize catégories d’hôtes que je vais décrire, mais est-ce si facile ? Cela s’aggrave encore plus quand certains cumulent et donnent allègrement dans plusieurs catégories. Vous en avez d’autres en tête, bien sûr, car je ne pense pas avoir été exhaustif. Dîner n’est donc pas un métier facile, c’est quelquefois une corvée, parfois une épreuve. Je ne vous en souhaite que d‘agréables, mais il faut s’accrocher, car on n’est jamais à l’abri d’une surprise. Enfin, je me suis limité à la France, les dîners hors frontières ont leur charme, mais mériteraient un article à eux seuls ainsi que ceux au restaurant et ceux en couple.
1. Les radins
Vous êtes invités pour la première fois et, pour faire bonne figure, vous arrivez avec des fleurs, car il s’agit d’un couple, et une bouteille de vin de qualité. Vous avez demandé précédemment s’ils en buvaient histoire d’éviter un impair. A l’arrivée, apéritif, comme cela se fait en général. Un petite soucoupe d’arachide et un Ricard ou un Pastis, c’est selon. Une dose minimaliste noyée dans beaucoup d’eau, qui n’arriverait même pas à griser un enfant de 5 ans. N’en espérez pas un second, car, pour ne pas trop entamer la bouteille, l’unique bouteille, on se doit de passer à table au plus vite. Vous êtes six dont les deux enfants du couple, et un autre terne fêtard venu rendre visite et qui doit passer quelques jours avec la famille. Si vous n’avez pas encore compris à l’apéro, vos craintes se confirment à l’entrée. Une assiette d’œufs durs, un demi par personne, avec dessus une demi-olive et quelques miettes de thon, trois feuilles de laitue défraîchie. Côté pain, une baguette pour six. Le plat principal, vous vous en doutez, consiste en un poulet rôti et l’équivalent de deux bols de riz pour toute la tablée. Les gosses bouffent comme des chancres et il vous reste tout juste un aileron. “Nous mangeons assez léger le soir, c’est suffisamment copieux et gras le midi au resto d’entreprise !” Tant mieux pour eux, car, vous, vous boufferiez la nappe tant vous avez la dalle. N’imaginez rien pour le dessert, car on mange toujours trop sucré. Si les radins fument, ils vous tapent vos clopes, car, comme par hasard, ils ont oublié d’acheter un paquet.
S’ils ne fument pas, ils vous enverront sur le balcon et fermeront la porte-fenêtre du balcon derrière vous, non à cause de la fumée que cela provoque, mais pour éviter une dépense de fuel, le thermostat étant réglé à 17 °C. Maintenant et j’anticipe, imaginez les gosses braillards, la conversation qui s’éternise et le fait que ces gens habitent une lointaine banlieue. Si vous n’êtes pas venu avec votre véhicule, il vous en coûtera en plus 80 euros de taxi en tarif nuit pour rentrer chez vous vous préparer un plat de spaghetti avant de vous coucher. N’attendez pas qu’on vous raccompagne. Ce serait une folie vu le prix du carburant !
2. Les propriétaires de chiens
Que vous soyez homme ou femme, le chien va d’abord vous renifler les organes génitaux, c’est un rituel. Vous n’y rechaperez pas même après une douche et un slip propre. Si vous êtes chanceux, vous aurez affaire à un briard, un dog allemand ou un malinois qui va sauter, dressé sur les pattes arrière, les pattes avant sur votre poitrine, en cumulant, vous pouvez tomber sur une race qui bave et va vous ruiner la veste ou le tailleur. S’il vous mord le mollet, vous aurez droit à la réplique : “Il adore jouer !”, on est heureux de l’apprendre ! Au premier sang, le vôtre, vous serez gratifié d’un “Ne t’en fais pas, il a tous ses vaccins” ou bien “C’est la première fois qu’il saute à la gorge !” Et Mesdames, si vous ne voulez pas être en permanence l’objet d’assauts canins pendant votre menstruation, jetez discrètement à votre arrivée quelques pelures de truffe, ça sent la vulve de truie et occupera l’animal.
Les petits chiens, eux, vont aboyer tout le temps à vous en briser le tympan. S’il s’agit d’une maîtresse de maison permissive, le chien va grimper sur la table et vous happer votre poulet ou votre darne dans l’assiette en un coup de langue avant que vous ayez eu le temps d’y goûter. Et en guise de conversation, vous ne pourrez en placer une sans être interrompu par un lénifiant : “Qu’il est gentil le Kiki !” Bref, la prochaine fois, si vous n’avez pas de tendance zoophile refoulée, décommandez !
3. Ceux qui habitent au diable
Villa ou chalet de montagne nécessitant le 4x4, la pelle ou les chaînes quand il y a de la boue ou de la neige. On vous avait dit : « C’est très pittoresque et loin du bruit ». Vous arrivez crevé après avoir dégagé à la pelle une ornière impossible à franchir en quatre roues motrices vitesses courtes. On vous dit que ce n’est pas de chance, mais ça fait trois jours qu’il pleut à torrent et d’habitude on passe très bien. Enfin, c’est une question d’expérience de conduite tout-terrain (merci pour le compliment). En général, ce genre de gens savent quoi servir à table, encore heureux car il n’est pas question de repartir sur un coup de tête si les hors-d’œuvre sont trop chiches. Il faut rester la nuit. Imaginez l’enfer, si vous tombez là aussi sur les radins ! Le lendemain, vous avez rendez-vous à Pamiers à 14 heures et vous êtes dans le Minervois, il va falloir se lever tôt et conduire sportif en évitant les radars, si ce n’est les radins.
Autre scénario, vous êtes invité en banlieue, vous êtes parti vers 18 heures en RER, pris ensuite un bus que vous avez eu du mal à identifier car vous connaissez mal le patelin, identifier une ligne sur une esplanade de gare, ce n’est pas du gâteau. En attendant ledit bus qui a du retard et passe toutes les 20 minutes, vous avez été abordé par un loubard qui n’a même pas l’air arabe et encore moins noir et a insisté lourdement pour vous taper une clope. Inutile de penser revenir par le même moyen, il n’y a plus de bus après 20 h 13, donc taxi ou nuit sur le canapé, si vous avez affaire à des invitants sans véhicules, à des radins ou des désorganisés (voir plus loin).
4. Les couples avec enfants
Si vous n’avez pas affaire à des classiques qui ont couché les petits avant votre arrivée ou bien les évincent de table après 9 heures du soir, vous allez souffrir.
Enfants braillards comme des mainates, qui courent, jouent et allument la télé ! On vous demande sur un ton badin comment va votre divorce, votre cancer ou votre découvert bancaire et, quand vous vous apprêtez à répondre un peu gêné, on n’écoute pas la réponse car on s’occupe des gosses en disant « Karine, ne mets pas ton coude dans la purée » ou bien « Christophe, repose immédiatement ce clairon, je ne le dirai pas deux fois ! » et ensuite on vous demande alors si ça va pas trop mal ! Vous en ravalez votre métastase et vos problèmes conjugaux et vous répondez d’un ton neutre que ça pourrait être pire. Sans parler des cadeaux pour les gosses que vous avez dû apporter et dont ils se foutent éperdument sans même un merci. Le plus petit fouille dans votre sacoche et vous détruit un contrat à coup de stylo feutre ou essuie ses mains pleines de yaourt aux myrtilles sur votre veste qui heureusement n’est pas en alpaga, car tout le monde n’est pas noble autrichien travaillant pour la CIA.
Et puis, il y a les grands adolescents, avec l’affrontement parental qui sévit pendant le repas. Mais le pire qui puisse vous arriver, c’est de tomber sur une Lolita de 14 ans, qui va vous provoquer, vous taper 20 euros et vous glisser un numéro de mobile. Fuyez, je vous vois mal devant le juge, bredouillant : « C’est la petite qui m’a provoqué ! »
5. Les non fumeurs et les bio
S’ils sont gentils, après le cours de morale, vous irez fumer en hiver sur le balcon par -4 °C en ayant soin de fermer la fenêtre.
Ils vont vous vanter les produits qui viennent du Rouergue sans le moindre pesticide, ils ont des pommes et des poires dures comme de la brique ou tavelées, mais sans aucun traitement chimique. Pour eux, la bouillie bordelaise est presque un crime contre l’humanité, alors ne leur parlez pas de Difenil sur un agrume ! Et ils mangent du pain au son ou au blé complet, car le blanc n’est pas naturel. Evidemment, il ne faut pas être égoïste et penser au coût en carbone relatif au transport. Le mieux est de prendre un abonnement à un groupe de producteurs indépendants qui vous livrent sur commande à date fixe. Il est donc hors de question de consommer des fraises du Chili à cause du transport aérien.
Vous avez apporté avec vous une bouteille de Tokay hongrois qui vous a coûté la peau des fesses ; ils font la moue, car la Hongrie, nouvellement dans l’Union européenne, n’applique pas encore strictement les réglementations européennes sur le traitement de la vigne. Vous êtes heureux de l’apprendre et regrettez vos 32 euros.
A l’inverse, vous pouvez avoir la chance de tomber sur des rustiques, avec accent, expressions rurales et produits de qualité, dont une prune qu’ils distillent eux-mêmes. Ne pas confondre avec les aigrefins des gîtes ruraux, je parle de paysans, pas d’escrocs déguisés.
6. Les maniaques de la propreté et de l’ordre
Enlever impérativement les chaussures en arrivant pour ne pas user ou salir la moquette, c’est la moindre des choses depuis que l’on n’utilise plus les patins. L’obsession est de ne pas faire de taches. Vous êtes chez des gens qui ramassent des miettes en permanence, qui ont mis immédiatement votre veste sur un cintre dans une penderie, car rien ne doit traîner. S’ils ne sont pas anti-tabac, mais ont peur des cendres et des brûlures de cigarettes, on pourra fumer à la cuisine, mais aussitôt fumé, le mégot sera passé sous l’eau de l’évier avant d’être jeté extemporanément à la poubelle. La vaisselle sera faite entre chaque plat, si jamais vous touchez une revue, un CD au moment du café, ils seront remis aussitôt à leur place quand vous les reposerez sur la table base. Le moindre de vos gestes sera épié car il pourrait provoquer l’irréparable chez ce couple complètement rassis ou ce célibataire maniaco-dépressif.
7. Les politisés et syndicalistes
Préparez-vous à entendre des phrases édifiantes et définitives du genre : « Le compte n’y est pas » ou « il n’y a plus de grain à moudre ».
Et puis, Jospin nous a fait rêver, bien plus que Ségolène ! Tu parles, rêver avec un crypto-trotskiste, j’hallucine !
Il n’empêche, le Front populaire c’était quelque chose. Qui se souvient de Benoît Frachon, de Maurice Thorez ou même de Jacques Séguy ! Et toi, t’as voté pour qui ? Thibaut, il n’est pas mal, mais on regrette tout de même Krasucki. Lui, il savait damer le pion aux patrons ! Hélas, peu de socialistes sont capables de vous chanter Rebsamen mucho, avec l‘accent de Dalida en vous ouvrant un pot de moutarde de Dijon !
Si vous n’êtes pas de gauche, ne pensez pas que cela sera mieux avec ceux de droite, du moins une certaine droite, la droite bourgeoise. Celle qui porte des vestes d’intérieur, des gens qui ont au moins une bonne et vous mettent devant une flopée de verres et de couverts dont vous avez un peu oublié l’ordre dans lequel il faut s’en servir. Là, vous aurez droit à des phrases types dont la moindre sera : “Balladur était quelqu’un de très respectable, beaucoup plus que l’agité”. On n’est pas loin du respect se perd dans les usines de mon grand-père !
Mais avec les politisés, à moins de tomber sur des monomaniaques du syndicalisme ou du CAC 40, vous aurez peut-être l’occasion de parler d’un thème qui vous intéresse, car ce genre de citoyens a souvent quelque chose à dire quand il n’est pas trop dans sa bulle politique.
8. Les supporters et les collectionneurs
Taekwondo, tennis de table, pelote basque ou philatélie, pêche au goujon ou bonzaï, ils sont intarissables ! Dès que vous essayez de changer de sujet, ils y reviennent au galop. Impossible de parler d’autre chose. Au début, on peut apprendre dans un domaine que l’on maîtrise mal, au troisième dîner, soit on est converti, soit on jette l’éponge. Quand on a entendu raconter pendant trois heures les exploits de Jacques Secrétin, jadis champion de ping-pong, on a véritablement envie d’une victoire des Chinois en tournoi olympique.
Et les philatélistes qui vous parlent d’une émission rare de timbres du Turkestan oriental, lors de sa brève indépendance, encore plus rare que les vignettes du Khanat de Touva ! On essaie alors une petite allusion à la situation politique en Asie centrale et l’on vous ramène illico sur les blocs d’un franc vermillon avec un inversé !
(A suivre)
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON