Paris Hilton indécente ?
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J’avais projeté d’écrire sur le père de Julien Coupat toujours incarcéré, à la suite de l’entretien qu’il a donné sur le site de Nouvel Observateur pour parler de son fils, de la justice et de son analyse sociale et politique, qui n’est guère tendre pour le gouvernement actuel. J’aurais désiré répliquer à certaines de ses accusations, que je trouve choquantes tant à l’égard de l’institution judiciaire que de l’Etat et du prétendu "totalitarisme mou" qui s’instaurerait peu à peu dans la société. Si je me suis abstenu, c’est qu’en cette période où le bonheur semble un rituel, il m’aurait semblé peu élégant de m’en prendre à un père encore privé de son fils, quoi qu’on reproche à celui-ci.
Ce même site, heureusement, et l’anecdote est plus signifiante qu’on peut le croire, nous renseigne sur les dépenses de la riche héritière Paris Hilton, à Sydney, en Australie, où elle était invitée à une réception "très sélect" pour le réveillon du Nouvel An.
L’indécence évoquée par le titre ne concerne pas ses ébats sexuels filmés en 2003 et qui avaient fait scandale au sens contemporain - ils avaient suscité plus de curiosité que de répugnance.
L’indécence dont il est question se rapporte à l’appréciation portée sur elle par les organisations caritatives locales parce que Paris Hilton a dépensé en 40 minutes 5560 dollars australiens, ce qui ne représente rien pour elle mais beaucoup pour l’opinion.
L’étonnant, d’abord, est de voir cette jeune milliardaire, dont l’intelligence à l’évidence n’est pas le point fort, justifier avec une sorte de candeur tranquille et de bonne conscience sans nuage son attitude. Elle explique qu’ainsi elle participe au sauvetage de l’économie, qu’il "n’y a pas de mal à faire un peu de shopping" et que d’ailleurs - argument irréfutable - elle avait besoin d’une robe pour le réveillon.
J’incline à considérer ces propos et leur fraîcheur bête comme une survivance, l’ultime manifestation d’un monde presque mort. On n’entend plus, avec une telle ingénuité, même chez les plus stupides de nos héritiers, au sein de la plus sotte des castes de l’argent, parmi les privilégiés les plus obtus, proférer une argumentation qui renvoie le scandale chez ceux qui se scandalisent, qui énonce que le milliardiaire est fait pour dépenser comme le boulanger fait du pain. On n’ose plus. En ce sens, Paris Hilton passionnera les historiens de notre vie quotidienne. Presque au début de l’année 2009, il y avait encore quelqu’un pour se présenter de la sorte.
Mais est-elle réellement indécente, cette jeune milliardaire si bien dans "sa peau" de riche ? A moins de rêver d’une société étouffante à force de pureté, que le souci de l’égalité rendrait insipide et ennuyeuse et où les mérites personnels ne compteraient plus pour rien, on ne peut guère vouloir, si la pauvreté est un fléau, éradiquer la richesse. Il y aura toujours, pour la plupart des citoyens, quoi qu’ils en aient, une acceptation peut-être envieuse mais jamais vindicative des différences et des situations dès lors qu’elles résultent d’actions tangibles et de compétences professionnelles évaluées et reconnues. Ce n’est pas l’argent qui est indécent, c’est évidemment la manière de le dépenser.
Paradoxalement, dans un monde qui, au quotidien, ne brille pas par le savoir-vivre et la politesse, ce qui est déclaré insupportable et justement "indécent", c’est l’étalage, la surabondance, l’ostentation, les signes extérieurs et vulgaires, une manière d’être et de vivre qui démontre, pour le pire, qu’on a de l’argent et qu’on cherche sans cesse à le faire savoir, à le faire subir. Ou alors l’insouciance, à rebours, qui vous jette dans la prodigalité sans qu’à aucun moment - et c’est Paris Hilton - puisse germer dans ces têtes vides le trouble qu’une autre humanité respire, et qu’elle justifierait un peu de pudeur.
Sans rire, la vie va devenir intenable pour les privilégiés. Ils devront dépenser en cachette, dans des "cités" faites pour eux. On aura un jour peut-être nos ghettos de banlieues et nos ghettos somptuaires. Ils seront milliardaires entre eux, en se terrant dans leur opulence. Ils apprendront la discrétion, la classe. Ils disposeront de beaucoup, de trop mais en useront avec parcimonie. Une triste existence, somme toute.
S’ils ne se cachent pas, s’ils jouent les flambeurs ou les imbéciles qui dilapident, les m’as-tu-vu, les milliardaires innocents, si le luxe ne leur est supportable qu’exhibé, ils seront taxés d’indécence. On tentera de leur donner mauvaise conscience. Un ver dans le fruit, une idée dans le creux.
Je parie qu’avec Paris Hilton personne n’y parviendra. Qui pourrait la blâmer puisqu’elle a reçu, en plus, 100 000 dollars australiens pour sa participation à la réception de Sydney ? On la paie pour dépenser. Le rêve.
Ou l’absurdité.
Photo : Adam McLean
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