Une approche marketing révolutionnaire
De la musique gratuite sur internet, une révolution marketing ?
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La nouvelle est passée inaperçue dans le monde musical. Elle est pourtant d’une grande ampleur, pour le monde musical, et pour l’économie de la musique, des multimédias et des loisirs. Pour la première fois un artiste, de son plein gré, a proposé son album en écoute libre sur internet. Alors que l’industrie de la musique est en pleine déconfiture avec des ventes de CD en chute libre, un artiste et son studio de production viennent de briser toutes les conventions en proposant l’écoute libre et gratuite d’un CD complet. Carla Bruni et sa boîte de production ont-ils créé une innovation révolutionnaire dans le marketing de la musique ou cette stratégie répond-elle à d’autres objectifs ?
Dans un contexte économique de plus en plus flou, Radiohead avait innové en la matière en proposant que les internautes fixent un prix variable (pouvant être nul) pour acheter leur CD sur internet. Ce n’est pourtant pas la stratégie adoptée par Bruni. Il n’y a pas de monétarisation possible sur son site. Peut-être espèrent-ils que cette stratégie augmentera les ventes de CD en magasin. Ce qui étonne dans ce raisonnement, c’est qu’on suppose une démarche contradictoire des consommateurs. Pourquoi ceux qui l’ont écouté gratuitement auraient envie de payer à la suite pour l’écouter à nouveau. Ceux qui l’ont écouté sur leur ordinateur sont des consommateurs plus technophiles que la moyenne, donc plus enclins de télécharger ensuite gratuitement. Peut-être la logique économique sous-jacente est-elle différente. En distribuant, explicitement, leur produit de façon gratuite, les distributeurs chercheront à rentabiliser sur des produits dérivés sur lesquels il n’y a pas de produit substituable : concerts, produits « brandés ». En effet, la distribution gratuite affaiblit les ventes du distributeur, mais permet, de façon globale, d’augmenter la valeur de la marque « Carla » en augmentant l’implication des consommateurs à la marque. Il y a quarante ans, les Grateful Dead avaient adopté la même logique économique. Ils encourageaient l’enregistrement gratuit de leurs concerts par leurs fans. En effet, ils pariaient qu’ils généreraient un plus grand intérêt pour leur groupe et vendraient à la suite plus de tee-shirts et de tickets de concert et de produits dérivés. Ce modèle économique a réussi.
Pourtant la démarche de Bruni est complètement inédite. On l’imagine mal rentabiliser son CD en vendant des tee-shirts avec son nom dessus. Peut-on supputer que Mme Monmari ait d’autres intentions en tête ? Dispositif central de la publicité du président (les « relations publiques » il faut dire en langage politiquement correct), son image, à l’instar de celle de son mari, est contrôlée par le gouvernement sous tous les angles. Les services de communication ont pris une part de plus en plus importante dans la vie (et le budget) des hommes politiques depuis vingt ans. Aucun détail n’est laissé au hasard. Le troisième CD de Mme Monmari a sûrement été envisagé, pour assurer la continuité du système communicatif, pour mettre en valeur, ensuite, certains thèmes dans la presse.
Cette femme m’impressionne. Elle a su charmer, alors qu’elle n’avait que 21 ans, les grands de la musique (Eric Clapton, Mick Jagger) pour ensuite ravir quelques années plus tard le cœur des hommes les plus puissants de la terre (Donald Trump, Nicolas Sarkozy). J’ai la conviction que la mise à disposition gratuite de son CD sur internet ne correspond pas à une logique commerciale, mais plutôt à une volonté d’améliorer sa « marque », si l’on peut parler ainsi du personnage public que se construisent dans la presse et par leurs interventions médiatisées les hommes politiques. Dans les deux cas, publicitaire ou politique, l’approche est analogue. On remarque d’ailleurs, dans notre monde contemporain, de plus en plus de marques qui sont des personnes (Richard Branson, Gucci, Michael Jordan) et qui « brandent » leur nom hors de leur secteur d’activité économique de base. Pour revenir au cas Bruni, la gratuité de son disque semble d’autant plus incongrue que, représentante médiatisée du pouvoir exécutif, cette approche marketing s’inscrit en faux contre l’approche du gouvernement au téléchargement gratuit. D’un côté, le gouvernement essaie de convaincre les Français que, pour la musique, « la gratuité, c’est du vol », de l’autre la femme du chef de l’exécutif montre l’exemple contraire ! Il semble donc, en conclusion, que le but de cette approche marketing de Bruni n’est pas d’améliorer ses ventes de CD, mais de générer de l’audience et d’améliorer son image de marque.
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