Armstrong : on a pédalé sur la Terre
Hier, durant l’étape Martigny/Bourg-Saint-Maurice, les frères Schleck placent une attaque dans la montée du Petit Saint Bernard. Contador suit, Armstrong est lâché - croit-on. Le petit groupe prend de l’avance et semble irrésistible, quand soudain Lance Armstrong démarre, abandonne ses compagnons d’infortune, et revient avec toute la nonchalance de ses 37 ans au niveau des champions boutonneux. Cela n’a duré que quelques minutes, mais le frisson qui parcourut à ce moment-là le spectateur que je suis a un copyright : c’est du Lance Armstrong.
![Lance Armstrong.jpg](http://lapolitiqueetmoi.hautetfort.com/media/02/01/301795988.jpg)
Certes, il n’est peut être plus au niveau des tout meilleurs. Lui-même n’en fait pas mystère d’ailleurs, puisque à l’arrivée de l’étape évoquée ci-dessus, il reconnaîtrait presque être "trop vieux pour ces conneries", si on le poussait un peu :
« Avec cette accélération, je me sentais un peu comme avant mais je persiste à dire que je ne peux plus accélérer comme ces gosses. »
Stratégie roublarde ou aveu désintéressé ? Nous le saurons peut être sous peu. Un indice se trouve certainement dans l’information délivrée par l’AFP ce 22 juillet 2009 au matin :
"L’Américain Lance Armstrong, 37 ans, a confirmé qu’il allait courir le Tour de France 2010 et devrait annoncer jeudi le nom d’un nouveau parraineur, a déclaré hier à l’AFP une source proche du dossier. [...] Johan Bruyneel, le directeur sportif de l’équipe Astana d’Armstrong, a annoncé mardi qu’il allait quitter l’équipe kazakhe et de nombreuses rumeurs font état d’un projet d’équipe dirigée par le Belge et dont Armstrong serait le leader."
Voilà qui va encore faire grincer les dents des George Bush du cyclisme, qui malgré les contrôles quotidiens persistent à jurer leurs grands dieux que les AMD (armes de destruction dopage massif) existent bel et bien dans l’escarcelle de Lance Armstrong - ce qui justifie toutes les guerres médiatiques. Ceci fit dire à Hugues Serraf, avec le bon sens qui lui est coutumier, que
"Si le cyclisme était un peu plus comme le catch, Lance Armstrong serait le méchant masqué, celui que tout le monde adore détester par principe. La brute sans cœur dont la seule présence sur le ring est une insulte à la tradition et au bon goût."
Armstrong est donc un tabou dans le milieu du cyclisme et de ses amateurs (français). Ses admirateurs doivent l’aimer en silence, et ne témoigner qu’une moue satisfaite devant des exploits comparables aux prouesses d’un Zidane dans le football ou d’un Nadal à Roland-Garros. Que voulez-vous, "il se dope, c’est obligé..." donc c’est un flan, qui ne parviendrait bien sûr jamais à rester dans la roue de n’importe quelle mamie faisant le marché à bicyclette s’il n’était chargé comme une mule. Ben voyons. Laissons à nouveau parler Hugues le Sage :
"[...] quiconque est déjà monté sur un vélo qui ne soit pas qu’un Vélib doit être capable de comprendre qu’une lampée de corticoïdes ne vous mettra jamais au coude-à-coude avec Ullrich ou Pantani. Et doit pouvoir, dans la foulée, saisir qu’un gars qui se relève d’un cancer des testicules métastasé au cerveau et aux poumons, monte sur un vélo et remporte sept fois l’épreuve physique la plus difficile au monde est un héros. Un vrai héros."
Doit-on pour autant avoir tous les mêmes héros ? Non, bien entendu. Mais il ne s’agit plus de choix : en France, reconnaître à Lance Armstrong du talent et du professionnalisme ailleurs qu’en pharmacologie relève du parcours de combattant. C’est un peu l’équivalent du "tous pourris" d’antan en politique : le bidochon moyen, parce qu’il a du mal à distinguer le bon grain de l’ivraie depuis son point de vue étroit et rabougri, préfère balayer l’ensemble des tenants du problème d’un revers de la main, avec cette assurance naïve des pays révolutionnaires professant que demain sera forcément plus propre si on salit aujourd’hui.
Et puis, il y a le succès. En France c’est affreux, le succès, surtout lorsqu’il est prévisible. En France, on aime les succès "par accident", les gens que rien ne préparait à gagner et qui finalement triomphent - ce qui reste, il est vrai, jubilatoire. Mais le succès annoncé, travaillé, celui qui récompense le(s) meilleur(s)... celui là est trop injuste, les autres n’avaient aucune chance ! Alors on fouille, on autopsie avant l’heure, avec cette foi aveugle et consolatrice qu’il y a forcément un boa sous rocher. Hugues, relève-toi, ils sont devenus fous :
"C’est d’ailleurs ce qui est le plus terrible, cette incapacité du public français à reconnaître la dimension héroïque du personnage. Ce refus de trouver formidable qu’un homme à ce point méprisé, attaqué, sali, puisse avoir envie, à 37 ans, fortune faite, de reprendre le chemin des cols avec deux cents autres types à vélo, deux cents autres types tout aussi chargés en substances illicites mais manifestement un poil moins obstinés, un chouïa moins déterminés - un peu moins forts, quoi."
Lance gagnera-t-il un nouveau Tour ? Rien n’est moins sûr. Il restera pourtant pour le (télé)spectateur, tant qu’il y participera, cette sensation piquante qu’avec Lance au sein d’un peloton, tout peut arriver - loin des étapes grégaires auxquelles le Tour 2008 nous avait déjà douloureusement habitués.
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