Aujourd’hui j’ai une nouvelle fois envie de réagir à toutes les stupidités que je lis sur les divers forums et même, ce qui est plus grave, dans des journaux dits sérieux. Cependant je suis surtout choqué quand j’entends qu’un ancien grand champion comme Greg Le Mond s’y met lui aussi. Parmi les « forumers » il y en a 99% qui ne sont jamais monté sur un vélo de course, et leur avis est totalement sans intérêt. Ils n’y connaissent rien et ils parlent, ce qui est une des caractéristiques de la nature humaine. Les gens aiment bien disserter sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas du tout, comme on peut le constater quand ils évoquent tel ou tel auteur…qu’ils n’ont jamais pris la peine de lire. C’est pareil pour le vélo, mais quand c’est un très grand champion c’est plus gênant. Que se passe-t-il donc dans la tête de Greg Le Mond pour s’en prendre ainsi aux coureurs actuels, et donc pour contribuer à alimenter les polémiques stériles sur le dopage dans le vélo.
Pour ceux qui connaissent l’histoire du sport, et du vélo en particulier, je veux rappeler que le donneur de leçon Le Mond a quand même gagné le Tour de France en 1989 avec un vélo qui n’était pas vraiment règlementaire à l’époque, avec son guidon de triathlète. Or quand on sait qu’il a battu Laurent Fignon (qui n’utilisait pas ce type de matériel) de 8 secondes à l’arrivée, cela signifie que sans sa machine spéciale il n’aurait sans doute pas remporté ce Tour de France. Il était donc normal qu’il y ait de la suspicion sur sa victoire, même si elle portait un peu moins sur le dopage que de nos jours. Question de mode ! Et la dite suspicion s’est faite plus ample encore, quand Le Mond a remporté le titre de champion du monde à Chambéry, toujours en 1989, en battant au sprint le Russe Konyshev et Sean Kelly qui étaient tous deux infiniment plus rapides que lui. Cela dit, ce jour-là je pense qu’il était tout simplement le plus fort.
Et puisqu’on est dans l’histoire du vélo je voudrais signifier, une fois pour toutes, qu’il n’y a rien d’anormal à voir un coureur passer les cols en tête dans le Tour ou le Giro, et être aussi vainqueur de la grande étape contre-la-montre, performance qu’a réussie hier Contador sur les bords du lac d’Annecy. Bartali, Coppi, Koblet, Bobet, Merckx, Hinault, en sont quelques uns des plus prestigieux exemples…parce que c’étaient des « fuoriclasse ». J’aurais pu ajouter Armstrong, mais je ne veux pas ajouter de la polémique aux polémiques. Tout cela signifie que Contador est le nouveau roi du cyclisme sur route, et qu’il est le meilleur de sa génération. Un coureur qui à 26 ans a déjà remporté les trois grands tours (France, Italie et Espagne) est nécessairement un immense champion. Sur ce plan on peut déjà le comparer aux plus grands parmi les plus grands.
Mais au fait pourquoi Contador suscite-t-il autant la suspicion de certains censeurs ? Parce qu’il monte soi-disant les cols à une vitesse supersonique, et qu’en outre il est capable de battre les meilleurs à la fin du Tour de France dans un contre-la-montre de 40 km. Est-ce si inédit comme performance ? Je réponds non. Tout d’abord il faut préciser que si Contador a gagné hier l’étape contre-la-montre du Tour de France sur 40 km, il a bénéficié pleinement de la difficile côte de presque 4 km aux trois-quarts du parcours. Sans cette cote c’est Cancellara qui aurait gagné. J’ajoute que Contador n’a pas fait dans cette étape des différences extraordinaires, car le second (Cancellara) est à 3 secondes et le troisième (Ignatiev) à 15 secondes. Et que dire de Christophe Moreau qui finit 8è à 45 secondes, et même de Sandy Casar qui termine à la 40è place à 2mn 45 secondes. Contador n’a donc pas écrasé la course comme on peut le lire dans certains commentaires.
On est loin des différences faites à certaines époques dans les courses contre-la-montre, par exemple dans le Tour 1993 à Madine (59 km), où Indurain reléguait le second (Bugno le double champion du monde) à plus de 2mn, malgré une crevaison. Dans le même ordre d’idées quand on s’extasie sur la performance de Contador dans la montée de Verbiers, il faut rappeler qu’il n’a pris que 43 secondes à Franck Schleck en 5,6 km d’ascension, et entre une minute et une minute et demie sur ses principaux rivaux (Armstrong 9è à 1mn35s), ce qui est peu. Pourquoi ne dit-on jamais cela ? Pourquoi en est-on toujours à suspecter tout le monde de tricherie, alors qu’il suffit de regarder les chiffres et l’histoire du vélo pour s’apercevoir que la domination de Contador est somme toute banale. C’est le champion de sa génération et Franck Schleck, le Luxembougeois, sera son plus dangereux rival.
Et puisque je parle d’un Luxembourgeois, cela me fait une transition toute trouvée pour revenir aux succès remportés par un grimpeur ailé dans les courses contre-la-montre en mettant à part ceux que j’appelle, comme les Italiens, les fuoriclasse. Je veux parler bien sûr de Charly Gaul, celui qu’on appelait « l’Ange de la montagne » tellement il paraissait facile dès que la route s’élevait. Tous les connaisseurs estiment qu’il figure parmi les plus grands grimpeurs de tous les temps. Il avait d’ailleurs un gabarit fait pour la montagne avec ses 62 kg pour 1,68m. Il était donc un peu plus petit que Contador (1,76m) et un peu plus léger (69kg), mais les deux gabarits sont assez comparables à époques différentes. Cela n’a pas empêché Charly Gaul de remporter nombre d’étapes contre-la-montre dans le Giro et le Tour. En 1958 il a même battu une des références absolues dans la spécialité, Jacques Anquetil, sur 46 km. En disant cela, je veux simplement rappeler que Contador n’est donc pas le premier grimpeur ailé à bien rouler. Que ceux qui se posent des questions étudient d’abord l’histoire du vélo !
Pour terminer, je voudrais simplement dire à ceux qui passent leur temps à dénigrer le vélo qu’ils arrêtent de dire des âneries. Si le Tour de France ne les intéresse pas qu’ils cessent d’en parler, et qu’ils laissent les millions de spectateurs et de téléspectateurs rêver autant qu’ils peuvent le faire. Au passage j’observe que malgré toutes ces insinuations sur le dopage, les gens sur le bord de la route sont toujours aussi nombreux et vibrent toujours autant aux exploits de Contador, Schleck ou Armstrong, comme ils ont vibré à ceux de Bartali, Coppi, Koblet, Bobet, Gaul, Anquetil, Merckx, Hinault, Lemond ou Indurain.
Alors que les moralistes de tout poil qui trouvent normal de boire cinq ou six cafés par jour pour tenir le coup à leur boulot, de prendre du viagra pour essayer d’être performants dans certaines circonstances, d’user de boissons énergétiques pour faire semblant de courir quand ils font un footing, bref que tous ces zozos mènent leur vie comme ils en ont envie, mais qu’ils cessent de médire sur les coureurs et ceux qui les admirent. J’observe à ce propos que c’est chez nous, en France, pays de la surconsommation médicale, que l’on parle le plus de dopage. Encore une exception française !
Michel Escatafal