Euro 2016, Angleterre et Belgique : triste philosophie du football
Ainsi deux des grands pays du football européen - l'Angleterre, richissime inventeur de ce sport, et la Belgique, dont l'équipe nationale est classée deuxième au sein de la hiérarchie compétitive mondiale de ce même sport - viennent d'être piteusement éliminés de l'EURO 2016, sans gloire ni panache, par des pays jusqu'ici réputés, dans histoire « footballistique » et surtout au vu de leurs modestes moyens financiers, pauvres et petits : l'Islande, dont beaucoup de ses joueurs ne sont même pas professionnels, et le Pays de Galles, qui se débat ces derniers jours, pour conserver sa place tout autant que son identité, au sein d'un Royaume-Uni qui, menacé à présent d'éclatement suite au séisme politique provoqué par le stupide BREXIT, n'a plus vraiment rien d'uni.
ANGLETERRE-BELGIQUE : MÊMES ROYAUMES DESUNIS
La Belgique elle-même, du reste, ne semble pas beaucoup plus unie aujourd'hui, malgré sa fameuse devise, « l'union fait la force », au vu des nombreuses querelles linguistiques, sinon des graves divisions politiques (une Flandre gouvernée par des nationalistes de droite, un Wallonie dirigée par des partis de gauche, et une capitale, Bruxelles, qui tentent désespérément d'en faire une difficile synthèse) qui la rongent aujourd'hui. C'est même d'ailleurs cela, la communication, sinon l'entente, entre ses différents joueurs (ses « lignes », comme on dit dans le jargon, entre la défense et le milieu de terrain), qui manqua le plus cruellement à cette équipe de football aussi lamentablement expulsée par l'humble mais vaillant Pays de Galles. La leçon, tant pour l'Angleterre que la Belgique, s'avère donc aussi cinglante qu'humiliante, sans circonstances atténuantes !
ISLANDE-PAYS DE GALLES : LE COEUR A SES RAISONS
Le cœur, en effet, à ses raisons que l'argent (propre ou sale qu'il soit) ne connaît pas, comme n'a même pas osé le dire, dans ses fameuses Pensées, un certain Blaise Pascal ! A ces courageux footballeurs du Pays de Galles et de l'Islande, on pourrait certes ajouter, pour les mêmes motifs, la non moins brave Irlande, qui, par ailleurs, eut toujours beaucoup de fil à retordre, au cours de son histoire séculaire, avec sa grande et royale sœur, quelquefois très intolérante derrière ses airs de libéralisme, d'Angleterre.
Résultat, pour cette équipe belge, que même les commentateurs les plus avisés avaient un peu trop vite porté aux nues ? Elle s'est révélée, à l'image parfois de son pays, désunie, approximative et désorganisée, inconstante et laborieuse, stérile et inefficace, sans cohésion ni structure, sans collectif ni direction, sans idées même, se perdant trop souvent dans une improvisation quasi aveugle, capable du meilleur (son match contre la Hongrie) comme du pire (ses matchs contre l'Italie ou, surtout donc, le Pays de Galles) et dont la force repose finalement plus sur l'exploit de talents individuels, ses « stars » internationales (dont Eden Hazard et Kevin De Bruyne, par ailleurs, celui-ci, fort décevant, avec sa mine bougonne et ses passes molles, durant toute cette campagne), que sur la cohérence d'un véritable ensemble !
UN ENORME GÂCHIS : LA GUEULE DE BOIS APRES L'IVRESSE DES FOULES
Aussi la Belgique, après cette honteuse élimination de ce 1er juillet 2016 - une date, ce maudit vendredi noir, qui restera tristement sombre dans l'histoire de son football, sinon de son sport en général - a-t-elle aujourd'hui, au lendemain de ce terrible gâchis, une horrible et douloureuse gueule de bois : normal après l'enivrement populaire et les excès médiatiques, sans parler des dizaines de milliers de tonneaux de bière ingurgités pour l'occasion, dans lesquels elle s'est vautrée, sans mesure ni modération, sans esprit critique ni intelligence raisonnée, sans aucune distance affective, lors de kermesses à laisser même pantois le vieux Brueghel dans ses tableaux les plus débridés. Saoulant !
L'INDECENT SALAIRE DES VEDETTES SPORTIVES
D'autre part, qu'un pays tout entier, pour se sentir vivre, gratifié ou admiré, ait besoin de ce genre de manifestations, dont on ne sait si c'est l'abrutissement généralisé ou le mauvais goût qui est le plus à craindre, en dit long sur son état de délabrement social, moral, culturel et même, oserais-je le dire, intellectuel. Hazard, De Bruyne, Lukaku, Kompany et Cie - ces quelques jeunes hommes payés à coups de millions d'euros ou de dollars (je ne parle même pas du salaire exorbitant, sans compter les retombées publicitaires et autres primes avantageuses, d'un Messi, d'un Ronaldo ou d'un Ibrahimovic, cet arrogant charlatan doublé d'un mythomane invétéré) pour taper dans un ballon, et le plus souvent à côté de la lucarne, pendant que les trois quarts de la la planète ont à peine de quoi nourrir leur famille, payer leur loyer, honorer leurs factures ou rembourser leurs dettes - seraient-ils donc aujourd'hui, aux yeux du monde, des élites comme du peuple, plus importants, plus porteurs de valeurs et plus créateurs de rêves, qu'un simple mais véritable artiste, qu'un écrivain de génie ou un médecin sacrifiant son existence pour soulager ses semblables ? Apparemment oui, hélas, aussi scandaleux cela puisse-t-il paraître pour tout authentique démocrate, soucieux du bien commun comme de l'intérêt général !
Car c'est bien là, précisément, que réside, dans toute son indécente splendeur, l'incompréhensible et désastreux paradoxe de notre pseudo-modernité, toujours prompte à niveler les consciences par le bas, ne fût-ce que pour leur ôter toute lucidité contestatrice et mieux les embrigader ainsi, les formater au gré de leurs propres intérêts idéologiques et seuls enjeux économiques, plutôt que d'élever sérieusement, en toute liberté, avec rigueur conceptuelle et souplesse morale tout à la fois, le débat démocratique.
ENGOUEMENT POPULAIRE ET MYSTIQUE ATHEE : DANGEREUX BINÔME DU FASCISME
Ainsi, devant cet engouement populaire aux accents de mystique athée (dangereux binôme de tous les fascismes, de droite comme de gauche, avec leur culte de la personnalité et leurs suspects effets de meute), face à ce nouveau phénomène de masse, où dieux du stade et jeux de cirque n'ont jamais fait aussi bon ménage, surtout pour le bénéfice de leur porte-feuilles, y aurait-il donc aujourd'hui, sans aucun doute, une sociologie du football - une philosophie du foot - à écrire, un peu comme le fit naguère, entre les années 1950 et 1960, le sémiologue Roland Barthes, dans ses célèbres Mythologies, avec le catch, la boxe, le rugby ou le cyclisme (le Tour de France, notamment).
Mes chers dandys (de Brummell à Wilde, en passant par Byron, qui chassés de la société, moururent en exil), mais aussi beaucoup de mes poètes préférés (de Villon à Genet, en passant par Baudelaire et Rimbaud), musiciens favoris (tel Mozart, enterré, faute de pouvoir se payer un cercueil, dans une fosse commune), peintres de prédilection (tel Van Gogh, ce « suicidé de la société » comme le surnomma jadis ce autre fou génial d'Artaud) ou modèles de philosophie (tel le grand Spinoza, qui s'éteignit, excommunié par les siens, dans la solitude et la misère, ou le sublime Nietzsche, cet « incompris » comme il s'appela lui-même, qui agonisa dans un asile d'aliéné), doivent se retourner, aujourd'hui, dans leur tombe, qu'ils n'ont donc même, parfois, pas !
LE BALLON EN TÊTE
Oui : combien d'ineptes Ibrahimovic donnerais-je, si j'en avais les moyens, pour un seul mais superbe Modigliani, qui, lui aussi, creva seul et miséreux, riche de son unique génie artistique, comme bon nombre, malheureusement, de ses pairs !
Mais, surtout, quand des sociétés entières ont comme principal point de repère un ballon en guise de tête, et des pieds à la place du cerveau, il y a vraiment de quoi se poser des questions pour l'avenir de l'humanité !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
* Philosophe, écrivain, auteur, récemment, de Petit éloge de David Bowie - Le dandy absolu (Éditions François Bourin), Oscar Wilde - Splendeur et misère d'un dandy (Éditions de La Martinière) et Lord Byron (Gallimard-Folio Biographies).
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