L’Espagne, la fin d’une époque
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Nous venons, en ce mercredi 18 juin 2014, d’assister à la fin d’une époque. A la fin d’une époque de domination sans partage du football espagnol. A la fin d’une équipe que beaucoup ont considéré comme la meilleure de l’histoire, d’une équipe qui aura tout gagné de 2008 à 2012. Mais plus que ça, nous venons d’assister à la fin d’un style qui aura mieux que quiconque incarné l’Espagne du football durant cette période, le fameux tiki-taka.
Pour beaucoup, c’est une immense incompréhension qui découle de cette déroute espagnole. Moi aussi, même si je ne la voyais pas remporter la coupe du monde, je voyais L’Espagne aller loin. Car c’est L’Espagne, car elle a dans ses rangs des joueurs comme Casillas, Xavi, Iniesta qui ont tout gagné, aussi bien en club qu’en sélection. L’Espagne pouvait, devait même aller loin dans cette coupe du monde, mais elle n’a pas pu…
Conserver la Coupe du Monde, c’était l’incroyable objectif de l’Espagne. C’était réaliser quelque chose que personne n’a réalisé depuis le Brésil de 1958. Mais l’Espagne a failli, et loin de ses objectifs, elle est même venue confirmer une situation alarmante en ce début de XXIème siècle. Car pour la 3ème fois en 4 éditions, le champion du monde en titre s’est fait sortir dès la phase de groupes.
Malgré cette immense surprise, de nombreux éléments annonçaient un revers programmé pour l’Espagne, qui n’a pas su réagir au bon moment…
Des cadres qui ne répondent plus présent
C’est un fait, Del Bosque est parti au Brésil avec l’une des équipes les plus vieilles de la compétition. Avec 28 ans et 3 mois d’âge moyen, l’équipe d’Espagne possède la deuxième moyenne d’âge la plus élevée de la compétition derrière l’Argentine. Mais encore plus révélateur, tous les cadres de Del Bosque ont, voire dépassé, la trentaine : Xavi (34 ans) n’a plus son niveau d’antan et commence à se faire vieux, Xabi Alonso (33 ans) a symbolisé les errances espagnoles malgré un bonne saison au Real. Casillas (33 ans) n’est toujours pas titulaire au Real, et les trop nombreuses erreurs de San Iker ont placé l’Espagne dans des situations très inconfortables. Villa (32 ans) et Torres (30 ans) n’ont joué que les seconds couteaux en club cette saison. Et Iniesta (29 ans) ne parvient pas à réitérer ses prestations hors-normes des saisons passées même s’il reste surdoué techniquement.
Outre la vieillesse des cadres, les autres joueurs n’ont pas répondu présent contre les Pays-Bas et le Chili.
Premier coupable évidemment, la défense. Piqué est à des années-lumière du défenseur rugueux qu’il a été. Ramos paie une fin de saison fabuleuse mais éprouvante avec le Real Madrid tandis que Martinez n’a lui jamais été un grand défenseur central mais un milieu de terrain. Les latéraux n’ont eux pas assez pesé offensivement, à l’image d’un Azpilicueta totalement transparent lors des deux matches. Jordi Alba, une des grandes satisfactions espagnole de l’euro 2012, n’a pas réitéré ses incroyables déboulés offensifs et ses combinaisons avec Iniesta.
Le milieu de terrain n’est pas non plus exempt de tous reproches, à l’image d’un Xabi Alonso, qui, même s’il a marqué le seul but espagnol de ce mondial, symbolise à lui seul les carences défensives de l’équipe avec cette passe ratée qui aboutit au premier but chilien et à cette faute qui provoque le coup-franc du deuxième but.
Sergio Busquets a été loin du milieu « tour de contrôle » à la fois défensivement qu’offensivement qu’il devrait être, et s’est fait manger physiquement par les chiliens. David Silva a parfois trop ralenti le jeu et il a de plus raté la balle de 2-0 contre les Pays-Bas, qui si elle avait été dedans, aurait peut-être rendu le mondial bien différent pour la sélection ibérique. Koke a apporté de la vivacité et de la combativité à cette équipe, mais il n’a pas pu sauver le bateau à lui seul. Fabregas et Cazorla sont eux rentré trop tard pour réellement influer sur des matches déjà perdus.
En attaque, Diego Costa, sifflé par le public brésilien, a réalisé un mondial catastrophique, ne cadrant aucune frappe et se montrant inutile dans le jeu aérien, pourtant son point fort. Pedro n’a pas apporté la profondeur escomptée et s’est toujours retrouvé bien encadré par la défense chilienne. Torres avec ses deux entrées en jeu, n’as pas eu grand chose à se mettre sous la dent et il rate un but tout fait contre les Pays-Bas.
Vous l’aurez compris la faillite de l’Espagne a été un faillite générale, et aucun joueur n’a été au dessus du lot et n’a montré une envie de vaincre suffisante à ce stade de la compétition.
Un manque d’envie général
Cette faillite individuelle et collective s’explique par plusieurs raisons.
Tout d’abord, le saison a été éprouvante pour les joueurs espagnols, avec deux clubs en finale de la ligue des champions et le championnat qui aura été serré jusqu’au bout. Beaucoup de joueurs sont arrivés totalement cuits pour ce mondial, comme Ramos et Costa qui ont plus que les autres payé leur fin de saison en boulet de canon.
Mais si il y a bien une raison qui explique cette déroute, c’est sans conteste le manque d’envie des joueurs espagnols.
Del Bosque avait signé ce constat alarmant avant le mondial : « Je n’arrive plus à motiver mes joueurs ». Cette phrase aurait du sonner comme un signal d’alarme, elle aurait du entraîner une réaction, mais non. Presque personne ne l’a prise ne compte, et si il y a bien quelque chose qui a manqué durant les deux premiers matches aux joueurs espagnols, c’est la motivation.
Casillas avait dit avant le Mondial : « Cette génération a le droit à l’erreur ». Comme un symbole… Le plus grave dans cette déclaration est qu’elle montrait bien les ambitions espagnoles avant la Coupe du Monde. Les joueurs ne voulaient plus gagner, ils étaient lassés de gagner. Dans cette situation, cette défaite face aux Chiliens était surtout une défaite d’ordre mental. Car les Chiliens eux, ont joué avec leurs tripes dans ce match, ils se sont battus jusqu’au bout, rappelant presque les guerriers de l’Atlético Madrid. Il y avait un monde hier soir entre les deux équipes, car on ne peut comparer des Chiliens à la si grande combativité et dont le but affiché est de gagner la Coupe du Monde (dixit Arturo Vidal) à des Espagnols qui ont « le droit à l’erreur ».
Paradoxalement, Xabi Alonso, celui qui a le mieux incarné les difficultés espagnoles est celui qui les aura le mieux décrites : « On a fait beaucoup d'erreurs, on n'a pas su maintenir la solidité qui nous avait fait gagner beaucoup de matches. On n'a pas su garder la faim, la conviction, la volonté. »
Le principal responsable de ce manque de faim est le sélectionneur. Del Bosque, comme il le disait lui-même, n’arrive plus à motiver ses joueurs. Mais pourquoi sommes-nous arrivés là ? Le plus grand défaut de Del Bosque a été de toujours garder plus ou moins le même groupe depuis 2010, mis à part Koke et Diego Costa, ce qui a donné une forme de lassitude à son équipe. Les cadres sûrs d’être titulaire malgré des performances peu reluisantes en club (Xavi par exemple) n’ont ainsi pas senti le besoin de donner le meilleur d’eux-mêmes pour rester à ce poste de titulaire. Et c’est là où Del Bosque a fait faux.
La fin du tiki-taka
Si on a assisté à la fin de l’Espagne durant cette Coupe du Monde, on a surtout assisté à la fin du fameux tiki-taka, le système de jeu court à la barcelonaise fait d’un enchaînement de passes au sol.
Depuis deux ans déjà, le système ne paie plus en club, comme le montrent le cinglant 7-0 en deux matches infligé au Barça de Vilanova par le Bayern de Heynckes et le 5-0 aussi en deux matches infligé au Bayern de Guardiola par le Real d’Ancelotti.
Après avoir bouleversé la planète football et fait perdre la tête à toutes les défenses, le tiki-taka est devenu prévisible, bien trop prévisible.
La paroxysme avait été atteint en 2013 lors de Bayern-Barça lors du match aller aussi bien que lors du match retour. Lors de ces deux matches, le Barça s’est contenté de faire tourner sans jamais rien tenter quoi que ce soit de dangereux, en venant continuellement se casser les dents sur l’arrière-garde munichoise. Le Bayern de Guardiola devait lui faire relever la tête du tiki-taka, mais malgré le gain du championnat et de la coupe d’Allemagne, la cinglante défaite 4-0 à l’Allianz Arena de Munich face au Real Madrid a de nouveau affiché les limites de ce mode de jeu. Après la chute du tiki-taka en club, elle est arrivée en équipe nationale. Trop attentiste, ralentissant le jeu à outrance et sans la moindre prise de risque, l’équipe d’Espagne a symbolisé toutes les carences du tiki-taka, et a cruellement ressemblé au Barcelone de 2013. On pourrait dire qu’en Ukraine déjà, le système était moins efficace, mais l’Espagne pouvait à cette époque s’appuyer sur une défense de fer. Ce n’est plus le cas aujourd’hui…
Le tiki-taka ne fait plus gagner et presque plus grave, ne fait plus vibrer les foules…
Le début d’une nouvelle ère ?
Quoi qu’il se passe, la Coupe du Monde 2014 sonne comme la fin de L’Espagne sur le toit du monde, et peut-être aussi comme la fin du tiki-taka.
Mais il ne faut pas enterrer cette équipe trop vite, elle reste, de par le talent individuel de ses joueurs, une des meilleures équipes du monde.
Les solutions au problème sont toutes trouvées : changer le système de jeu. Oui mais alors lequel mettre en place ? La contre-attaque ? Le pressing tout-terrain à la chilienne ?
Pour ma part je pense que l’Espagne doit revenir aux fondements de son jeu, aux années 2008. Aux années d’Aragones et aux premières années de Guardiola, durant lesquelles l’Espagne proposait un jeu d’attaque permanente, avec de la profondeur, du jeu en triangle sur les ailes mais une possession inférieure à celle affichée lors des dernières années.
Peut-être ce changement de style s’accompagnera-t-il d’un changement de sélectionneur, ou peut-être pas. Je pense que la décision appartient à Del Bosque, et qu’il verra lui-même s’il est toujours capable de changer et de motiver son groupe.
Au niveau de ses joueurs, l’Espagne n’a pas à s’affoler et reste un vivier de talents intarissable sur lesquels le prochain sélectionneur pourra s’appuyer.
Au poste de gardien, Casillas, malgré son mondial catastrophique, est parti pour rester au moins jusqu’à l’euro 2016. Derrière, ça ne se bouscule pas au portillon, même si Victor Valdés peut toujours, s’il revient bien de sa blessure, devenir gardien numéro 1. Reina n’a lui plus le niveau et va devoir se trouver un club, tandis que De Gea représente peut-être la seule valeur montante à ce poste. Le dernier recours est Diego Lopez, qui reste un des meilleurs gardiens du championnat et pourrait avoir sa place à l’euro 2016 s’il réitère ses bonnes performances à Madrid ou ailleurs.
En défense centrale, la valeur montante est évidemment Inigo Martinez, qui est amené à devenir le prochain taulier de la sélection, pour peu qu’on lui laisse sa chance. Ramos est lui parti pour rester encore longtemps, Piqué peut-être un peu moins. En tous cas ce n’est pas Albiol qui les remplacera, il reste tout de même un peu trop juste techniquement. On peut aussi penser à Marc Bartra, plutôt convaincant avec le Barça en fin de saison. Aux postes des latéraux, deux joueurs peuvent faire du grabuge : Carvajal et Juanfran. Le premier, non sélectionné pour la Coupe du Monde, sort d’une excellente saison avec le Real et a réussi à pousser Arbeloa sur le banc. Le second, sélectionné mais qui n’a pas encore joué une seule minute dans ce mondial, pourrait apporter offensivement mais surtout défensivement. Azpilicueta et Alba semblent quand même bien partis pour rester titulaires, surtout Alba qui n’a pas vraiment de concurrent à son poste.
Au milieu de terrain, Xabi Alonso et Xavi ne devraient plus s’éterniser, ce qui n’est pas le cas de Busquets, indispensable pour tous les entraîneurs qu’il a eu de part son physique et sa technique. Fabregas, s’il réussit son futur retour en Angleterre, devrait également rester dans l’équipe. David Silva, impressionnant à Manchester City, restera aussi au moins jusqu’à l’Euro. Au rang des possibles nouveautés, on compte évidemment les deux jeunes du Real : Isco et Illaramendi, qui malgré des saisons pas forcément impressionnantes au Real, représentent le futur de la Seleccion. Autre joueur qui aurait du venir à la Coupe du Monde, Thiago Alcantara, qui pourrait apporter de la fraîcheur et de la fougue au milieu, sera du voyage lors des prochains tournois. Koke aussi est amené à jouer un rôle très important avec la future Roja s’il confirme tout son potentiel. Enfin pour finir l’Espagne pourra s’appuyer sur un joueur incroyable qui a toujours joué les seconds rôles en sélection : Juan Mata. Meilleur joueur de Chelsea entre 2011 et 2013, le petit milieu offensif signe depuis quelques temps des excellentes performances à Manchester United. Et si Manchester redevient ce qu’elle était et que Mata y joue un rôle important, alors cette fois le sélectionneur ne pourra plus l’ignorer comme ces dernières années.
En attaque, l’avenir au poste d’avant-centre est incarné par Diego Costa, malgré sa Coupe du Monde sur les rotules. Et pourquoi pas Torres ? Villa ? Negredo ? Soldado ? Car tous ces joueurs auront dépassé la trentaine en 2016 alors que Costa n’a que 25 ans et que ses plus belles années sont devant lui, contrairement aux joueurs mentionnés. Sur les ailes, personne ne prendra la place d’Iniesta avant un petit moment, d’abord car c’est Iniesta, et car personne n’a vraiment montré un niveau suffisant à ce poste à par lui ces dernières années. Pedro, toujours convaincant avec le maillot espagnol, restera lui aussi encore quelques années. Au rayon nouveautés, pas grand chose à part peut-être le retour de Navas et surtout Jesé Rodriguez, la pépite du Real Madrid qui a été incroyable de par sa vitesse d’adaptation et sa technique avant sa grave blessure. S’il récupère et confirme ces prochaines années son immense potentiel, il fera partie de la Roja. Autres grands talents qui peuvent avoir leur chance, Tello, même s’il n’a jamais vraiment eu sa chance au Barça ou Rafinha, autre jeune sorti de la Masia.
Le football ne tournera pas tout de suite la page de l’Espagne reine, mais l’Espagne, elle, va vite devoir tourner la page. Car maintenant, pour le pays qui a dominé le monde pendant 6 ans, c’est l’heure du changement.
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