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Accueil du site > Culture & Loisirs > Sports > L’importance de la sociologie pour expliquer les résultats

L’importance de la sociologie pour expliquer les résultats

Dans son livre « Traitre à la Nation » [1], le sociologue Stéphane Beaud tente d’expliquer la défaite de l’équipe de France lors du mondial 2010 sous l’angle sociologique. A travers une analyse du parcours et de la trajectoire sociale de chaque joueur, il montre que l’hétérogénéité du groupe a pu, d’une certaine manière, favoriser l’apparition de conflit et altérer la cohésion du jeu. Peut-on véritablement concevoir une analyse de ce type pour expliquer a posteriori les défaites sportives ?

Beaud affirme que les différences sociales – des joueurs originaires de milieux populaires et d’autres de la classe moyenne – seraient l’un des marqueurs de tension et d’affaiblissement de la solidarité. Le fait par exemple reconnu de la suspicion à l’encontre de Yohann Gourcuff par Franck Ribéry s’expliquerait par une forme de racisme social, tout du moins par un conflit de classe. Ou encore l’absence de réel leader dans l’équipe, du fait de la diversité des origines, qui n’aurait pas favorisé l’émergence d’une conscience collective. « [Cela se traduit] par des petits désaccords, des exaspérations ou des conflits qui peuvent dégénérer et plomber l’ambiance » [2]

 

DE L’HOLISME CHEZ LES BLEUS

Tous ces facteurs n’ont pas été porteurs de liens sociaux, capables de faciliter l’intégration et l’harmonie sociale. Dans la mesure où les sociétés modernes ont développé de nouvelles formes de solidarité, que l’individu s’est affirmé face au groupe, apparait la nécessité de liants communs. Au XIXème siècle c’est ce que montrait déjà Emile Durkheim : lorsqu’une société n’était plus capable d’assurer son rôle socialisateur, de producteur de liens sociaux, les individus sombraient dans l’anomie.

C’est par ce concept d’anomie sociale que Durkheim rendait compte de la déviance et de la délinquance. Il s’agit d’un dérèglement social provenant d’une insuffisance de coordination entre les individus, seuls face à leurs désirs, et ne sachant plus comment conduire leurs actions. C’est à travers la montée de l’individualisme et de la division sociale du travail que Durkheim expliquait cela. L’individu seul, dans un groupe désuni, ne voit plus la différence entre le bien et le mal, entre la norme et la déviance. C’est donc à la société de réaliser ce travail de cohésion sociale.

On se place ici dans une optique théorique holiste, où la société, la collectivité joue le rôle principal dans la formation des individus. Tout part du global pour expliquer l’individuel. D’après Durkheim, des comportements déviants existent car la société n’a pas suffisant joué son rôle socialisateur, n’a pas suffisamment intégré les agents. Dans l’idée de Stéphane Beaud, rendre compte de l’échec de l’équipe de France renvoie à montrer que l’absence de lien dans un groupe hétérogène perturbe les membres et conduit à une certaine forme d’anomie sociale : l’absence de solidarité dans le jeu, de respect vis-à-vis de l’entraîneur Raymond Domenech, la grève de Knysna, etc.

Les joueurs, s’affirmant comme individus à part entière, venant d’horizons sociaux différents, de clubs à réputation différente, n’ont pas su s’intégrer à l’idéal de l’équipe. Pour Stéphane Beaud, ce qui prime avant les performances individuelles ce sont les performances collectives, elles-mêmes conditionnées par l’esprit collectif. Plutôt que de prendre individuellement les meilleurs joueurs Français, il aurait fallu construire un groupe soudé, socialement homogène. Ici, c’est le travail sociologique qui peut expliquer les performances sportives, à partir de considérations holistes.

 

L’INDIVIDUALISME MÉTHODOLOGIQUE

Mais les sciences sociales ne sont pas des sciences exactes, des sciences pures comme les mathématiques et la physique, capables d’apporter la réponse précise à la question. Si Beaud montre, d’une certaine manière, l’apparition de l’anomie sociale pour expliquer les mauvaises performances de l’équipe, d’autres considérations sociologiques peuvent apparaître, notamment à partir de l’individualisme méthodologique, l’autre grande théorie sociale.

Kuypers et Szymanski, dans leur livre « Soccernomics » [3], se sont demandés pourquoi l’équipe d’Angleterre, malgré sa réputation de nation fondatrice du football et de meilleur championnat du monde, connait de piètres performances sur la scène internationale. Sensiblement le même travail que Beaud pour l’équipe de France. Sauf que les auteurs anglais ont eu un angle d’analyse totalement différent : le mauvais jeu des Three Lions s’explique précisément par l’homogénéité du groupe et l’absence de diversité sociale.

Sociologiquement, la diversité pourrait apporter une convergence vers le haut et favoriser l’émergence d’un esprit collectif fort. En mettant en relation des individus de différents horizons, on participerait au partage et à la cohésion sociale. Favoriser la mise en place d’un environnement inclusif au sein d’équipes permettrait une amélioration de la productivité et du rendement. A terme, cela peut jouer positivement sur les performances et sur la réussite sportive : multiplier les courants, les caractéristiques de jeu, les origines sociales, tout cela améliore, à terme, le niveau global.

Ici, l’individu devient le centre de l’action, son rôle est impactant sur le groupe et il prime sur la société. On passe d’une analyse holiste à une analyse basée sur l’individualisme méthodologique. Les agents sont des acteurs sociaux qui forment, par leur comportement maximisateur et rationnel, l’esprit collectif. Appliqué au football, cela reviendrait à dire qu’associer des joueurs hétérogènes, par des comportements concurrentiels et par une socialisation anticipatrice, favoriserait une élévation du niveau sportif. Prenons l’exemple, au PSG, de Blaise Matuidi : alors jeune milieu de Saint-Etienne, lorsqu’il est arrivé au club de la capitale, il a explosé en fréquentant des joueurs de classe mondiale et est aujourd’hui titulaire indiscutable tant dans son équipe qu’avec les Bleus.

Pour Kuypers et Szymanski, c’est la même chose qui doit jouer avec l’équipe d’Angleterre, il faut favoriser l’hétérogénéité sociale afin que les individus s’affirment. Une équipe trop homogène devrait contraindre les performances sportives par un mimétisme technique et une absence de concurrence. Si tout le monde se vaut et si tout le monde se ressemble, chacun a son rôle à jouer et personne ne cherche à faire d’effort pour sortir du lot.

 

LA RELATIVITÉ DES SCIENCES SOCIALES

Pourtant, on le constate bien empiriquement, il ne s’agit que d’analyse a posteriori, aucune ne pourrait être vérifiable dans la réalité. L’équipe de France est mauvaise parce qu’elle est trop hétérogène soit, mais comment alors expliquer les mauvaises performances de l’équipe d’Angleterre, caractérisée par son homogénéité sociale ? On se rend compte de l’évidence, aucune théorie n’a tort aucune n’a raison, il ne s’agit que d’études postérieures, faites après l’événement. Le sport n’est pas une science exacte, il est dépendant de la relativité des normes et de la diversité des acteurs.

 

Pierre Rondeau @Lasciencedufoot

 

[1] Stéphane Beaud, Traîtres à la Nation, La découverte, 2011.

[2] Ibid, p.167.

[3] Simon Kuper, Stefan Szymanski, Soccernomics, 2009.

 


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