La France moribonde, l’Italie décédée
Enorme journée dans la poule dite « de la mort » de l’Euro austro-suisse : une heure et demie d’ennui administrée par les bleus de Raymond l’astrologue, suivie d’une heure et demie d’euphorie orange, les Pays-Bas de Van Basten rapetissant les anciens, trop anciens, champions du monde italiens.
On se console comme on peut : l’époustouflante fessée administrée par le formidable onze offensif de Marco Van Basten aux coéquipiers de Marco Materazzi aura sans doute apporté un peu de réconfort à nos ennuyeux bleus, planqués dans leur hôtel au-dessus du lac, loin des questions, loin des mauvaises langues, des journalistes et peut-être aussi un peu de la vie. Un peu de vin, donc, dans l’eau très plate de nos tricolores, qu’on annonçait très show et qui nous sont apparus, au bout du compte, plutôt lourds, empruntés, engoncés, aussi sexy qu’une robe de Cindy Sanders, aussi glamour que les lunettes de Derrick. Mais se consoler est peu : demeure, tenace, l’image frappante d’une équipe de France sans ressort, sans élan, sans jambes, qui nous a autant désolés qu’au début de la Coupe du monde 2006. Les vieux de 2006 avaient eu du mal à se mettre en jambe, avant de recouvrer la santé et de finir près du rêve, au bout du compte. Les jeunes qui ont remplacé les vieux de 2006 présentent le même syndrome : une sorte de gigantesque fatigue, flagrante, sautant aux yeux, éprouvante, alors même que ne font que résonner les trois coups et rien d’autre. Juste un lever de rideau, mais déjà, pourrait-on croire, une sorte de crépuscule pour ces Ribéry, ces Benzema, ombres de ce qu’ils sont dans leur club à longueur d’année.
Rien ne nous fut épargné, hier. Des commentaires grabataires de Thierry Roland aux commentaires limités de Franck Lebœuf, du très long quart d’heure de publicité à la mi-temps, aux très longues première et deuxième périodes de ce match anesthésiant, pénible et souffreteux, qui nous rappela que le football est aussi parfois l’inverse du spectacle. C’est aussi parfois ce jeu de dupe, fait de passes mal assurées, de dribbles ratés, de milieu de terrain sauté, ce jeu étriqué, ultralimité, sans ambition et sans cohérence, l’apanage des équipes sans âme ou des entraîneurs sans moyen. Ou des deux. Rien ne nous fut épargné hier à Zurich en termes de non-football, rien, pas même le « on a fait ce qu’il fallait » à peine tolérable lâché par un Makelele il est vrai sans reproche, c’est bien le seul. Arsène Wenger, très à l’aise aussi en langue de bois, osera lui saluer la « solidité défensive des bleus qui n’ont concédé aucune occasion ». Ne concéder aucune occasion, mission assez simple face à une équipe qui n’attaque jamais. Rien ne nous fut épargné, même pas les théories faussement Coué des uns et des autres, comparant ce match nul là à celui réalisé contre la Suisse, au début de la dernière Coupe du monde. L’Histoire, fût-elle celle du football, ne repasse pas les plats. Et quand bien même, un match mauvais reste un match mauvais.
Alors, pour expliquer cette énorme déception, on a beaucoup glosé hier sur l’heure du match et la température. Excuse de pauvres. Il faisait lourd, paraît-il, l’orage menaçait, au-dessus des bleus. Oui, un gros orage même, style un but contre son camp, style ce dernier coup franc roumain qui aurait pu nous plonger un peu plus dans le lac, au pied de l’hôtel. En dépit de tout, « on est toujours en vie » assène Domenech, qui « savait que ça allait être dur ». Il sait tout, Raymond, c’est ce qu’il y a de bien avec lui. Il sait tout, sauf comment faire en sorte que son équipe soit capable d’enclencher la première dès le démarrage et non de commencer en roue libre, pour s’en sortir au petit bonheur la chance. Il sait tout, Raymond, il a tout prévu, ou tout vu, ou tout compris, mais nous ce qu’on sait c’est un peu ce qu’on voit : une équipe sans milieu de terrain, qui cherche des attaquants qui n’arrêtent plus de décrocher, au point de se muer en milieu récupérateur et de perdre trop d’énergie à récupérer les ballons qu’ils devraient mettre au fond. Un Franck Ribéry méconnaissable, d’emblée épuisé, carbonisé, paraissant avoir avalé toutes les trompettes de la renommée pour ne plus pouvoir proposer que quelques simulacres de crochets, quelques imitations de perforations, et le reste hésitant entre du petit et du grand n’importe quoi. Et Benzema ? Toujours pas efficace, mais en plus peu présent, un peu égaré et lui aussi, comme tous ses collègues, affreusement lent. Pour ne pas dire… chiant. Des trois matchs de préparation contre des équipes d’Amérique du Sud, Raymond Domenech souhaitait que ses joueurs apprennent la patience. Ils ont surtout appris à devenir terriblement ennuyeux. Certes ils ne prennent pas de but, mais pour une raison bien simple : ils ne prennent aucun risque. Attaquer c’est se découvrir, donc on n’attaque pas. On attend, dix minutes, vingt, trente, une heure et demie. Que l’adversaire fasse une faute, peut-être, ou que la chance sourie. Elle sourit aux audacieux, et parfois aux fainéants. L’équipe de France de football oscille entre les deux.
Heureusement, dans cette poule dite « de la mort », on crut hier mourir d’ennui, la Hollande, l’autre pays du fromage, nous offrit à la fraîche et face aux champions du monde en titre un modèle de football total, offensif, osé et réaliste, avec ce qu’il faut de coup de pouce et de réussite pour transformer un simple match en monument. Pulvériser ainsi les Italiens dans une compétition internationale n’est pas donné à tout le monde. Marco Van Basten, ex-magicien de l’attaque, exceptionnel joueur et classieux sélectionneur, a su transmettre à pas mal de ses joueurs son style fait de maîtrise et de classe, où brille même les vieilles lunes. Certes le premier but souffre d’une position de hors-jeu apparemment impossible à ne pas voir, mais le reste fut magistral, puissant, d’une rare beauté. Dix fois mieux que le match du Portugal, mieux que le match de l’Allemagne, à quelques coupes donc, du match de la France. Et le pire pour la France, c’est que même battus 3 à 0, les Italiens se sont procuré beaucoup plus d’occasions que les Français contre les Roumains. Ca situe les performances des uns et des autres. La première mi-temps des oranges laisse peu de chance à la France, la seconde mi-temps des Italiens aussi. En fait, dans cette poule, la France est pour l’instant celle qui a le moins bien joué, et de loin. L’équipe la plus triste, sans envergure, sans allant. Sans leader, sans doute aussi, une équipe de fonctionnaires, apparemment pas très joyeux d’être ici, ensemble, pour tenter d’aller au bout.
Et pourtant, rien n’est fini : magie du sport, joie du hasard, la France peut encore être championne d’Europe et les Pays-Bas sortis au premier tour. Mais la question n’est pas là, aujourd’hui : elle est dans le constat, froid, implacable et cruel que les bleus, une nouvelle fois, n’ont pas répondu aux attentes, loin s’en faut. Qu’il leur reste les Pays-Bas et l’Italie pour se refaire et que tout Raymond qu’il soit, Domenech aura du mal à nous faire croire que c’est une bonne nouvelle.
25 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON