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Accueil du site > Culture & Loisirs > Sports > Le duel Schumacher - Newey (1994-2004)

Le duel Schumacher - Newey (1994-2004)

Orpheline de Prost (retraité fin 1993) et Senna (décédé au printemps 1994 à Imola), la F1 s’est ensuite axée sur un duel original, entre le meilleur pilote du monde, l’exceptionnel champion allemand Michael Schumacher, et le meilleur ingénieur du paddock, le créatif et insatiable Adrian Newey. Chacun de ces deux hommes allait être impliqué dans la conquête des onze titres pilotes mis en jeu entre 1994 et 2004, avec les écuries Williams, Benetton, Ferrari et McLaren.

Le duel au couteau entre Michael Schumacher et Adrian Newey symbolise l’évolution de la F1 moderne, celle des ordinateurs, des relevés télémétriques et des succès gagnés tout autant par le pilote que par la passerelle de commandement (via la radio), le bureau d’études et par l’usine, cheville ouvrière du développement de la monoplace. A l’heure de la technologie, le bras de fer entre écuries se fait aussi bien à Monza, Spa Francorchamps, Suzuka, Interlagos ou Silverstone qu’à Maranello, Fiorano, Woking, Milton Keynes, Brackley, Enstone, Viry-Châtillon ou Grove, la plupart des sites faisant partie de ce qu’on appelle la Silicon Valley de la F1, sur le territoire de la Perfide Albion (triangle d’or Oxford / Northampton / Milton Keynes) ...

D’un côté, le champion allemand, qui a élevé au pinacle l’art du pilotage à haute vitesse fondé sur une triple clé de voûte : un sens inné de la trajectoire et des limites comme les plus grands as du passé, une redoutable capacité d’analyse technique et de mise au point avec les ingénieurs (Ross Brawn et Rory Byrne chez Benetton puis chez Ferrari) et enfin une condition physique optimale, le Kaiser demandant à Ferrari une salle de musculation à Fiorano, dans la lignée de l’enseignement sportif et diététique de Willy Dungl (ancien gourou de Niki Lauda) lors de ses années chez Mercedes (1990-1991).

De l’autre, un gourou de l’aérodynamique, un ingénieur fécond comme les meilleurs du passé. Le cerveau plein d’imagination de Newey, qui avait débuté en 1980 à chez Fittipaldi Cosworth, se révéla en 1990 au Castellet quand la March Leyton House d’Ivan Capelli faillit battre Prost et Senna sur le billard provençal du Paul-Ricard. Si le Brésilien de McLaren Honda fut devancé par le pilote italien, le Français s’offrit la victoire à domicile. Mais Adrian Newey était propulsé dès 1991 chez Williams Renault aux côtés de Patrick Head … Et comme ses plus glorieux prédécesseurs, il cherchait la faille des règlements techniques …

Entre 1994 et 2004, chacun des deux hommes s’est constitué un palmarès colossal.

Concernant Michael Schumacher, le pilote allemand a remporté 7 championnats du monde des pilotes (1994, 1995, 2000, 2001, 2003, 2004) et 81 victoires (17 avec Benetton, 64 avec Ferrari) pendant ces onze saisons, 91 au total (soit autant de titres que Prost et Senna cumulés, 3 et 4 respectivement, et une victoire de moins que les deux titans, 51 et 41 soit 92).

Adrian Newey, lui, a vu ses monoplaces de la période 1994-2004 remporter 4 championnats du monde des pilotes (1996 avec Damon Hill, 1997 avec Jacques Villeneuve, 1998 et 1999 avec Mika Häkkinen), 4 titres des constructeurs (Williams 1994, 1996, 1997, McLaren 1998) et 63 victoires (32 victoires avec Williams de 1994 à 1997 même si les 8 victoires de 1997 ont été conquises en l’absence de Newey, qui avait cependant dessiné la FW19 avant de quitter Didcot, et 31 victoires avec McLaren de 1998 à 2004, l’écurie de Woking ayant recruté Newey dans l’optique de la saison 1998 où il fit mouche via la superbe MP4/13). Au total, de 1990 à 2018, le palmarès complet de Newey est colossal avec 10 titres des pilotes (Mansell 1992, Prost 1993, D.Hill 1996, J.Villeneuve 1997, Häkkinen 1998 et 1999, Vettel 2010, 2011, 2012, 2013), 10 titres des constructeurs (Williams-Renault 1992, 1993, 1994, 1996, 1997, McLaren-Mercedes 1998, Red Bull Renault 2010, 2011, 2012, 2013) et 137 victoires (59 victoires avec Williams de 1991 à 1997, 31 victoires avec McLaren de 1998 à 2004, 58 victoires avec Red Bull de 2005 à 2018).

Newey avait cependant contribué aux victoires de Williams entre 1991 et 1993 (27 succès acquis par Mansell, Patrese, Prost ou D.Hill) face à la McLaren d’Ayrton Senna (15 victoires entre 1991 et 1993 avec Woking) et à la Benetton Ford de Schumacher (2 victoires entre 1991 et 1993 avec Enstone), deux pilotes virtuoses moins bien équipés que les Williams-Renault d’alors, véritables fusées implacables.

Mais surtout, le pilote allemand comme l’ingénieur britannique furent des catalyseurs des écuries où ils sont passés. Newey comme Schumacher étaient des garanties de victoires ... Williams et McLaren ont bénéficié du virtuose coup de crayon du premier, Benetton puis Ferrari du magistral coup du volant du second.

Très rapidement, Adrian Newey fut considéré comme le meilleur aérodynamicien du plateau, devançant même Rory Byrne. Newey fut vite considéré comme l’égal des plus grands anciens parmi les ingénieurs ayant fait école en F1, de Rudolf Uhlenhaut (Mercedes) à John Barnard (McLaren, Ferrari) en passant par Colin Chapman (Lotus), Mauro Forghieri (Ferrari) ou encore Gordon Murray (Brabham, McLaren).

Délaissant Williams fin 1996, Adrian Newey put constater le déclin progressif de l’écurie de Didcot en 1997. Privé du concours de son ingénieur vedette, Patrick Head vit toute l’impuissance de son bureau d’études à régler correctement la dernière merveille de Newey, la FW19, l’ingénieur ayant protégé les données par un coefficient mathématique connu de lui seul.

Bien née, l’ultime monoplace de l’association Williams-Renault fut pilotée avec brio et panache par Jacques Villeneuve, qui le mena au titre de champion des pilotes à Jerez, après un Grand Prix d’Europe où le Canadien se tira des griffes de Michael Schumacher, qui termina la saison 1997 dans la peau du co-favori, alors qu’il l’avait entamée comme premier outsider du Québécois ...

Quand Renault quitta Williams fin 1997, l’écurie anglaise était doublement orpheline ... de son prestigieux motoriste français et de son ingénieur vedette, recruté par Ron Dennis pour redresser McLaren. Sans le Losange (même si le moteur Mecachrome était l’ancien V10 Renault figé dans son développement), Williams sombra en 1998, avec une FW20 qui n’avait pas été dessinée par Newey.

Délivré des obligations du championnat en cours (1997), Newey put se consacrer au dessin de la monoplace future de Woking dans l’optique de 1998. Etudiant avec soin le nouveau règlement technique de la FIA (voies étroites et pneus rainurés), Newey dessina une merveille avec la MP4/13, couplée à un sublime moteur V10 Mercedes, petit bijou signé de Mario Illien. Et comme Bridgestone axait ses efforts sur sa nouvelle écurie de pointe face au clan Good Year représenté par Williams et Ferrari, 1998 appartint au phénix McLaren, dont les flèches d’argent furent couvertes d’or à Suzuka, après un suspense exceptionnel que personne n’aurait cru possible au soir de la manche d’ouverture de Melbourne.
 

Ecrasant la concurrence avec leurs freins directionnels par la suite interdits par la FIA (dès Interlagos), les MP4/13 de Häkkinen et Coulthard avaient fait si forte impression que les observateurs rappelaient tous l’entrée en scènes des flèches d’argent de Mercedes conduites à la perfection par Fangio et Kling en 1954 sur le circuit de Reims.
 

De la Champagne à l’Etat de Victoria (Melbourne), de 1954 à 1998, Ron Dennis se voyait déjà en Alfred Neubauer ... Mais le patron de Woking eut fort à faire avec un rival d’exception comme Michael Schumacher, vainqueur de six courses en 1998 (Buenos Aires, Montréal, Magny-Cours, Silverstone, Budapest, Monza). L’Allemand pilota sa F300 avec panache, combativité et maestria, tirant la quintessence d’une Ferrari imparfaite. Le bolide écarlate, moins performant en début de saison du fait de la médiocre compétitivité des pneus Good Year, se redressa en fin de saison, le Kaiser signant 3 pole positions forte de ses gommes américaines à nouveau performantes, en Lombardie (Monza), dans l’Eifel (Nürburgring) et au Japon (Suzuka). Mais le titre échut à Mika Häkkinen, qui récompensa ainsi la créativité du cerveau génial qu’était Newey. Orpheline de Senna depuis fin 1993, McLaren avait trouvé un nouveau virtuose en la personne d’un ingénieur, Adrian Newey. Avec la MP4/13, en 1998, Newey avait atteint la quadrature du cercle.

En 1990, le jeune ingénieur anglais avait attiré l’attention de Patrick Head. Le directeur technique de Williams avait constaté le talent de Newey. Ingénieur aérodynamicien chez March, il avait dessiné une superbe monoplace. L’effet de sol de la March, parfait en théorie, avait failli offrir une victoire à Ivan Capelli sur le billard du Castellet. Finalement, le pilote italien avait du s’incliner contre Alain Prost (Ferrari) à deux tours de l’arrivée, le Français gagnant sur un de ses circuits fétiches (avec Jacarepagua et Estoril). Le revêtement parfait du circuit provençal convenait parfaitement aux qualités de la March, qui avait cependant échappé de peu à la non-qualification durant la manche précédente, exploitant très mal les bosses de l’autodrome Hermanos Rodriguez de Mexico ... En 1990, Newey découvrait l’écart entre théorie et pratique. Dès 1991, il devenait la clé de voûte des succès de Williams-Renault, véritable boîte à idées aux côtés du très conservateur Patrick Head.

1991 fut l’année où un jeune espoir allemand débarqua au sein de l’élite des pilotes. Propulsé par Mercedes, soutenu par Jochen Neerspach et Willi Weber, Michael Schumacher représentait le renouveau du sport automobile allemand. Plusieurs décennies après les joutes mythiques de Caracciola et Rosemeyer, Schumi faisait une entrée fracassante en F1 chez Jordan, à Spa Francorchamps, à l’endroit même où le dernier espoir allemand, Stefan Bellof, s’était tué en septembre 1985 au volant d’une Porsche. Très vite, le diamant brut qu’était Schumi fut recruté par Flavio Briatore pour Benetton. Le jeune Allemand impressionna tout le paddock en dominant son prestigieux coéquipier, le triple champion du monde brésilien Nelson Piquet, pendant qu’Eddie Jordan, Jochen Neerspach et Flavio Briatore étaient invités à un jugement de Salomon par Bernie Ecclestone au bord du lac de Côme dans le somptueux hôtel du Villa d’Este, ancienne résidence des cardinaux. Roberto Moreno, ami d’enfance de Piquet, avait fait le chemin inverse, de Benetton vers Jordan.
Très vite, Schumacher et Newey ont donc gravi les échelons jusqu’aux top teams, se faisant remarquer ... Quant à Flavio Briatore, il récidiva dix ans plus tard en remarquant un jeune Espagnol du nom de Fernando Alonso, vainqueur en F3000 sur le juge de paix de Spa Francorchamps. Fin 2001, Briatore arrachait Alonso à Jean Todt, alors que l’ancien copilote de Guy Fréquelin avait préparé un contrat de pilote essayeur pour le natif d’Oviedo en vue de la saison 2002 ... La rancoeur du patron de Ferrari envers Alonso fut tenace pendant des années, et l’Asturien succéda finalement au Kaiser Schumacher chez Ferrari en 2010 (après l’intérim de Kimi Raikkonen entre 2007 et 2009). 

Michael Schumacher, lui, enchaîna si vite les prouesses avec Benetton que personne ne tarissait d’éloges sur lui. Couronné champion du monde en 1994 et 1995 dans une F1 encore orpheline de Senna, le pilote allemand fut vite surnommé le Kaiser. Et Schumi releva le défi Ferrari pour montrer que ses victoires n’étaient pas dues à l’absence du tandem roi des années 1984-1993, Prost - Senna. Gravissant l’Everest par la face la plus difficile, le Baron Rouge redressa la Scuderia Ferrari dont le palmarès commençait à prendre la poussière. Aidé par Jean Todt, Ross Brawn et Rory Byrne, Schumacher porta Ferrari sur ses épaules avec toutes les qualités d’un grand pilote : vitesse naturelle au volant, capacité à fédérer un garage, intelligence tactique, préparation physique impeccable, habileté sous la pluie, sensibilité technique, mise au point ... Et l’Allemand devint alors l’idole des tifosi, ramenant le titre mondial à Maranello en 2000, atteignant le Graal attendu depuis 1979 par toute l’Italie.

Très vite, il ne fit aucun doute que Schumacher était bien le meilleur pilote de la décennie en cours, et qu’il était bien le grand pilote attendu par l’Allemagne depuis si longtemps, celui que Stefan Bellof n’avait pas eu le temps d’être, foudroyé par le destin en 1985 à Spa Francorchamps.

Il ne fit aucun doute non plus, très vite, que Michael Schumacher allait rejoindre au panthéon des pilotes d’une dimension exceptionnelle comme Tazio Nuvolari, Rudi Caracciola, Bernd Rosemeyer, Juan Manuel Fangio, Alberto Ascari, Stirling Moss, Jim Clark, Jackie Stewart, Ronnie Peterson, Emerson Fittipaldi, Niki Lauda, Gilles Villeneuve, Alain Prost ou encore Ayrton Senna. Génie de la course, capable d’enchaîner les exploits et de compenser les lacunes d’une monoplace, l’Allemand courut entre 1994 et 1999 en situation de handicap. Sa Benetton ne valait pas les Williams en 1994 et 1995, pas plus que sa Ferrari ne pouvait brûler la politesse aux Williams en 1996 et 1997 ni aux McLaren en 1998 et 1999. Et pourtant, dans cet intervalle de six saisons, Schumacher fut deux fois champion du monde (1994 et 1995), remportant un total de 33 victoires (17 avec Benetton, 16 avec Ferrari).

Cependant, malgré leur litanie d’exploits, Schumacher et Newey ont aussi connu l’échec dans leurs carrières somptueuses. Pour Adrian Newey, ce fut 2003, où la MP4/18 ne fut jamais alignée en course par McLaren. Ne passant pas le crash-test de la FIA, la nouvelle flèche d’argent de Woking fut une Arlésienne sans fin. Et Kimi Raikkonen dut batailler contre Michael Schumacher en 2003 dans le cockpit de la MP4/17D, ultime évolution de la monoplace 2002. Qui sait si Iceman n’aurait pas brûlé la politesse au Kaiser en 2003 avec la MP4/18 ? L’ogre allemand n’aurait alors pas remporté sa sixième couronne mondiale en 2003.
Septuple champion du monde de F1 en 2004, Schumi connut un échec retentissant en 2005. Mal préparé physiquement, le Baron Rouge dut se contenter du rôle de spectateur face à la nouvelle vague incarnée par Fernando Alonso (Renault) et Kimi Raikkonen (McLaren).

Le huitième titre de Schumacher devint vite utopique, la couronne 2005 se dsiputant entre le juvénile Espagnol et le placide Finlandais. Finalement, l’homme d’Oviedo remporta les lauriers, Schumacher avouant en fin de saison qu’il avait un peu négligé sa préparation physique, ce qui lui fut préjudiciable à 36 ans. Mais l’Allemand démarra 2006 sur les chapeaux de roue, préparant à 37 ans une de ses plus belles campagnes mondiales. L’échec du pilote de Kerpen fut encore plus vif pour son come-back en F1 en 2010.

A quarante ans passés, dominé copieusement par son jeune coéquipier chez Mercedes (Nico Rosberg), Schumacher eut le loisir de constater à quel point la nouvelle génération des Vettel, Hamilton et Kubica était forte, et combien Alonso et Button avaient mûri. Bien qu’il s’en défende et qu’il prétende qu’à son époque Häkkinen ou Montoya lui donnaient autant de fil à retordre, Schumacher sait que désormais l’ennemi s’est multiplié. Adrian Newey n’est plus son seul rival, il doit maintenant composer avec de jeunes pilotes talentueux aux dents longues. En 1994, orphelin d’Ayrton Senna avec qui un duel d’exception devait s’amorcer, Schumacher fut privé du combat des chefs, et affronta indirectement le meilleur ingénieur du paddock, Adrian Newey ... Sans l’archange brésilien disparu à Imola, sans Prost qui était un autre ambassadeur de prestige pour l’élite du sport automobile, la F1 se focalisa sur un autre duel, celui entre Schumacher et Newey.

Jamais, en tout cas, ces deux phénomènes n’ont été associés dans le même top team. Adrian Newey a cependant cotoyé de très grands pilotes, que ce soit Nigel Mansell, Alain Prost, Mika Häkkinen, Kimi Raikkonen ou Sebastian Vettel, sans oublier, trop furtivement, Ayrton Senna, disparu à Imola en 1994 dans le cockpit de la Williams-Renault FW16 dessinée par Newey. L’ingénieur fut même impliqué dans un procès instruit par la justice italienne au sujet de la mort accidentelle du champion brésilien.

Michael Schumacher, lui, a travaillé avec deux ingénieurs d’exception, Ross Brawn (Benetton, Ferrari, Mercedes) et Rory Byrne (Benetton, Ferrari), mais n’a donc jamais collaboré avec Newey, le seul homme capable de s’opposer à son destin pavé d’or en F1 ... Mais le Kaiser avait attiré la convoitise de Williams-Renault pour 1996. Rejoignant Ferrari, Schumacher avait aussi mis son veto à un contrat chez McLaren, Ron Dennis refusant de lui octroyer un statut de premier pilote. Jacques Villeneuve et David Coulthard héritèrent au final des baquets Williams et McLaren en question. Mais il eut été possible de voir Schumacher remporter des victoires sur une monoplace dessinée par Newey, que ce soit la Williams-Renault FW18 de 1996 ou la MP4/13 de 1998. Plus tard, Ron Dennis avait de nouveau approché le Kaiser, fin 1999, dans l’optique du championnat 2001, mais le triomphe de la Scuderia en 2000 avait rendu les plans du patron de Woking totalement caducs. Schumi pouvait dès lors se lancer dans une exceptionnelle moisson de victoires.

Les écuries qui ont perdu Schumacher ou Newey s’en sont vite mordu les doigts. Fin 1995, Flavio Briatore avait lancé d’un ton arrogant la phrase suivante : Nous verrons bientôt, qui de Schumacher ou Benetton, faisait gagner l’autre ... Le jet-setter italien aurait mieux fait se taire, car l’écurie du marchand de pulls amorça son déclin en 1996. Gerhard Berger remporta l’ultime victoire de Benetton en 1997 à Hockenheim. Ironie du destin, Briatore avait reproduit avec Alonso le schéma vainqueur Schumacher - Benetton. Champion du monde en 2005 et 2006, le Renault F1 Team fut orphelin du pilote espagnol en 2007. Parti chez McLaren, Alonso ne fut pas remplacé, Renault payant aussi la perte des pneus Michelin. Sans Alonso et Bibendum, le Losange sombra, de façon impuissante, malgré le coup d’éclat d’Heikki Kovalainen au Mont Fuji.

Williams paya très cher le départ de Newey fin 1996, plus encore conjugué à celui de Renault fin 1997 ... Mais, du haut de sa tour d’ivoire, Frank Williams à l’époque, n’était pas tendre avec ceux qui faissaient son succès, tel Damon Hill. Jamais soutenu psychologiquement par Frank Williams et Patrick Head en 1994 et 1995, le fils de Graham subit en 1996 un terrible et cynique camouflet verbal de la part du patron de Grove : Damon a été remercié par un titre obtenu par 251 personnes et des millions de livres sterling. Limogé sans pitié par l’écurie Williams, le Londonien savait qu’il serait remplacé par Heinz-Harald Frentzen pour 1997.

Sortant de sa disette en 2001 avec BMW, Williams y replongea dès 2005, orpheline du grand constructeur munichois. Quant à McLaren, qui laissa filer Newey en 2005 chez Red Bull dans les valises de David Coulthard, pas sûr qu’elle aurait connu l’éruption volcanique que fut le Stepneygate en 2007 si Newey avait toujours tenu le gouvernail du navire de Woking ... Après le départ de Newey, Ron Dennis et Martin Whitmarsh confièrent les opérations et la responsabilité du département technique à Mike Coughlan. Arrivé en 2003 à Woking, ce dernier demanda une augmentation plusieurs fois après le départ de Newey. Mais en 2006, la MP4/21 fut un ratage exemplaire, sanctionné par une campagne où McLaren rentra bredouille pour la première fois depuis 1996 ! Coughlan ne valait pas Newey, il ne fut donc pas rétribué à la hauteur du génial ingénieur anglais, et la frustration née de sa stagnation salariale par Ron Dennis provoqua l’affaire d’espionnage de 2007, en collaboration avec un autre renégat, Nigel Stepney, placé sur un siège éjectable chez Ferrari devant Jean Todt sans la protection de Ross Brawn, son mentor, parti en année sabbatique fin 2006 (au moment de la retraite de Schumacher, effective après Interlagos) !!

Retraité fin 2006, auteur d’un come-back chez Mercedes entre 2010 et 2012, Michael Schumacher a pu constater qu’Adrian Newey fait toujours gagner ... L’écurie Red Bull, qui a débauché l’ingénieur vedette en 2005, le paye à prix d’or (13 millions de dollars par saison), a ainsi conquis quatre couronnes mondiales consécutives grâce au talent de pilote du jeune Sebastian Vettel, compatriote et héritier du Kaiser en Allemagne.

Restent, de cette période 1994-2004, quelques brillantes courses des deux côtés (10 victoires sélectionnées de chaque côté) :

 

  • Interlagos 1994 (vainqueur Michael Schumacher sur Benetton Ford B194) : l’Allemand inaugure l’ère des courses avec ravitaillement en piégeant Ayrton Senna par ce qui sera sa spéciale pendant plus de dix ans, une prise de commandement via un undercut et des tours de qualification avant et après l’arrêt au stand. L’OVNI de Kerpen inventait le pilotage 2.0 avec une course novatrice : trois sprints de vingt tours environ, au lieu d’un marathon de soixante tours à réservoir plein, formule qui reviendra à partir de 2010 …

 

  • Suzuka 1994 (vainqueur Adrian Newey via la Williams Renault FW16 de Damon Hill) : sans doute la plus belle victoire en carrière de Damon Hill, sous la pluie, devant le Regenmeister allemand, sur le juge de paix nippon sous la pression du money time. Loin des fusées de 1992 et 1993, la Williams FW16 avait débuté de façon rétive l’année 1994. Privée du concours de Senna décédé à Imola, le bolide avait progressé durant la saison. Mais au point de tenir tête à Schumacher alors que les vannes célestes ont inondé Suzuka, il y avait un sacré pas, franchi par Hill ce jour là au Japon. Après sa victoire, Damon Hill déclarera ceci : C’est la première fois que Michael a été battu clairement et nettement cette saison. Je me suis moi-même une pression énorme sur les épaules, et c’est pourquoi je pense que cette victoire est encore plus satisfaisante que celle que j’ai remporté à Silverstone.

 

  • Nürburgring 1995 (vainqueur Michael Schumacher sur Benetton Renault B195) : le climax du Kaiser pendant sa période Benetton. Sur le tourniquet de l’Eifel, l’Allemand ridiculise les Williams. Damon Hill sait que les carottes sont cuites et applaudit son rival qui s’offre le scalp de la Ferrari de Jean Alesi, déclenchant l’euphorie dans les tribunes du Ring. Madeleine de Proust des fans allemands qui devront attendre mai 2000 pour revoir un succès du Baron Rouge sur le sol allemand …

 

  • Barcelone 1996 (vainqueur Michael Schumacher sur Ferrari F310) : premier succès de Schumacher avec Ferrari, cette victoire a sidéré par sa maestria, tant le pilote allemand a tiré la quintessence de sa F310. L’hommage de Stirling Moss est plus qu’élogieux, dithyrambique : Le succès de Schumacher en Espagne est plus qu’une simple victoire. C’est la démonstration du génie de ce pilote. A la sortie du podium, le Kaiser a les dents qui claquent, et le corps qui tremble, ayant du mal à parler : Je suis frigorifié ! Si je ne me contrôle pas, mes dents vont faire autant de bruit que mon moteur ! Dans la voiture, avec toute cette eau, j’ai eu terriblement froid. S’il pleut à Montréal, je crois que je demanderai qu’on me monte un radiateur …

 

  • Estoril 1996 (vainqueur Adrian Newey via la Williams Renault FW18 de Jacques Villeneuve) : le Canadien Jacques Villeneuve gagne un pari insensé avec ses mécaniciens de Williams Renault. Ces derniers prétendaient qu’un dépassement dans le dernier virage précédant la ligne droite des stands était totalement impossible, et le Québécois tient parole en dépassant le double champion du monde allemand Michael Schumacher, mètre étalon de la F1 depuis le décès en 1994 à Imola de l’archange Senna. Pourtant réputé très difficile à dépasser, le Kaiser s’incline sur rookie canadien qui maintient la suspense face à Damon Hill en gagnant en terre portugaise, sa 4e victoire en 1996 sur la chasse gardée de Williams (victoires de Mansell en 1986 et 1992, Patrese en 1991, D. Hill en 1994, Coulthard en 1995 et donc J.Villeneuve en 1996). Surtout, cet exploit de Villeneuve maintient le fils de Gilles dans sa croyance qu’il est meilleur pilote que Schumacher, ce que le championnat 1997, avec un duel au couteau entre le l’Allemand de Ferrari et le Canadien de Williams, viendra contredire. La maestria de Schumacher, tirant la quintessence de son bolide écarlate durant tout 1997, ponctuée par des prouesses époustouflantes à Monaco ou Spa Francorchamps, montrera que le Baron Rouge est une classe au-dessus de Jacques Villeneuve.

 

  • Suzuka 1996 (vainqueur Adrian Newey via la Williams Renault FW18 de Damon Hill) : avec ce douzième succès, Adrian Newey boucle sa période Williams avec éclat. Certes, Gordon Murray et la McLaren MP4/4 avaient fait mieux avec quinze victoires en seize courses en 1988 ... Pour son ultime course chez Williams Renault, Damon Hill s’offre lui un bâton de maréchal avec un premier titre mondial, comme son père Graham qu’il rejoint dans le gotha. Parti en pole position, Jacques Villeneuve doit abdiquer après un problème d’écrou de roue, et Damon Hill file vers sa 21e victoire, devançant Michael Schumacher et Mika Häkkinen. 

 

  • Buenos Aires 1997 (vainqueur Adrian Newey via la Williams Renault FW19 de Jacques Villeneuve) : malgré une intoxication alimentaire, le Canadien Jacques Villeneuve égale son père Gilles avec une sixième victoire en F1 sur le circuit Oscar Galvez, rassurant ses patrons avec un deuxième succès consécutif après celui d’Interlagos. Certes Adrian Newey n’était plus employé de Williams au mois d’avril 1997, mais par procuration il est bien vainqueur de son bras de fer argentin face à Michael Schumacher.

 

  • Monaco 1997 (vainqueur Michael Schumacher sur Ferrari F310 B) : en 1997, la Dream Team de Jean Todt a pris forme : Rory Byrne revenu de Phuket, Ross Brawn mangeant ses bananes avec la décontraction d’un lama tibétain et ses lunettes, Paolo Martinelli à la baguette du côté des moteurs … Ferrari peut enfin regarder Williams dans le blanc des yeux. Grove se noie en Principauté, et Michael Schumacher montre à Jacques Villeneuve, pour qui les fans ont les yeux de Chimène, qui est le patron en cas de piste humide …

 

  • Spa Francorchamps 1997 (vainqueur Michael Schumacher sur Ferrari F310 B) : comme sur le Rocher monégasque, Maranello ridiculise Grove. Au concours Lépine des mauvaises idées, Williams a encore tout faux, et l’Allemand refait un nouveau remake de Donington 1993 par Senna, la copie étant moins spectaculaire que l’original. Comme au Grand Prix d’Europe 1993 pour le Brésilien et comme au Grand Prix de Monaco 1993, la supériorité instantanée du Kaiser est hallucinante … Car la voiture de sécurité avait permis de nettoyer la piste du toboggan ardennais des plus grosses flaques d’eau. En pneus intermédiaires, Schumacher s’envole dans son jardin wallon tandis que son rival québécois déchante.

 

  • Melbourne 1998 (vainqueur Adrian Newey via la McLaren Mercedes MP4/13 de Mika Häkkinen) : au cinquième tour de course, Michael Schumacher range sa F300 sur le gazon australien de l’Albert Park. L’Allemand jurera qu’il n’aurait pas fini à un tour comme son coéquipier Eddie Irvine, entrecalé entre les Williams d’Heinz-Harald Frentzen (3e) et du champion du monde sortant Jacques Villeneuve (5e). Trop fortes telles les flèches d’argent de Mercedes en 1954, les McLaren s’offrent le luxe d’un pacte de non-agression respecté scrupuleusement par David Coulthard, qui rend à Mika Häkkinen sa première place après un quiproquo entre le Finlandais et la passerelle de commandement de Woking. Avec leurs freins directionnels (steering brakes) qui seront la pomme de discorde du mois de mars 1998 mais aussi un V10 Mercedes bluffant de souplesse et de puissance, et des gommes Bridgestone, les MP4/13 sont totalement intouchables, stratosphériques, stellaires … Il semble utopique de pouvoir les battre, ce que Schumacher fera pourtant dès la troisième manche du Mondial, à Buenos Aires, profitant de la mauvaise adaptation des Bridgestone à la piste argentine.

 

  • Interlagos 1998 (vainqueur Adrian Newey via la McLaren Mercedes MP4/13 de Mika Häkkinen) : Ferrari, par un pavé de 780 pages, a obtenu le retrait par la FIA des freins directionnels de la McLaren Mercedes. Par cette diversion, Jean Todt gagne un peu de temps avant de chercher des poux à Good Year, responsable selon lui du fiasco australien. Mais Woking, même sans son arme fatale, continue de cannibaliser la F1 au Brésil. Sur l’autodrome José Carlos Pace d’Interlagos, Michael Schumacher termine 3e loin derrière les duettistes de McLaren Mercedes, à qui il concède une minute pleine, buvant la tasse …

 

  • Budapest 1998 (vainqueur Michael Schumacher sur Ferrari F300) : un chef d’œuvre tactique signé de Ross Brawn et Michael Schumacher sur le tourniquet magyar. Battu à plate couture dans le stadium d’Hockenheim, le Kaiser Schumacher se prépare à une procession derrière les hégémoniques McLaren Mercedes de Mika Häkkinen et David Coulthard. Tel David contre Goliath, la figure de proue de la Scuderia en est réduit à espérer un problème mécanique de ses rivaux ou l’intervention de la pluie. Mais il faudra attendre 2006 pour voir les vannes célestes s’abattre sur une édition du Grand Prix de Hongrie. Pour battre les flèches d’argent et sonner le glas des espoirs d’une troisième victoire consécutive pour le Finlandais Volant qui mène 76-60 au Mondial, Michael Schumacher et Ross Brawn ressortent des cartons une vieille stratégie imaginée en juin 1995 au Grand Prix de France à Nevers Magny-Cours du temps de Benetton Renault et de Flavio Briatore. Mais à l’époque, Enstone n’avait pas osé franchir le pas, malgré la diabolique habileté de l’as Schumacher volant entre les mains. Jean Todt valide la stratégie, d’autant plus simple à réussir le dimanche que la Scuderia se retrouve vite orpheline du sherpa de son leader allemand, Eddie Irvine. Les mécaniciens du stand Ferrari peuvent donc se concentrer sur le seul Schumacher, qui va rentrer une fois de plus que les McLaren. Passant de 2 à 3 arrêts en pleine course, le Baron Rouge va donc partir du postulat suivant : un run de plus, moins d’essence par run, des pneus Good Year moins vite agonisants capables de lui faire produire des chronos hallucinants, dignes d’une qualification. C’est la théorie échangée par radio entre le trio Todt / Brawn / Schumacher. Reste à appliquer ces belles intentions en course, loin de la tour d’ivoire des stratèges coupés de la réalité. Mais Jean Todt et Ross Brawn savent qu’ils possèdent un véritable fauve avec le Kaiser, un pilote capable d’aller chercher la limite des trajectoires et les derniers millièmes qui vont faire la différence. Alignant les tours de qualification à une cadence infernale, pérennisant l’exceptionnel dans ce numéro de haute voltige, Schumacher s’offre donc, tel un Pantagruel à l’appétit colossal, le double festin des pilotes de Woking pris au piège machiavélique. C'est entre les 43e et 63e tours, soit ses deux derniers arrêts, que Schumi fait la différence. Il boucle notamment huit tours en moins de 1'20", quand David Coulthard ne descend jamais sous les 1'21". Les quatre derniers tours de Schumacher avant de rentrer aux stands sont épiques. L'Allemand donne tout, c’est un véritable one-man-show de grande envergure, du récital. Au total, entre ses deux arrêts, le Baron Rouge s'est bâti une marge de 28 secondes sur l'Ecossais. Suffisant : le temps de rentrer, de s'arrêter et de ressortir des stands, il débouche au bout de la ligne droite avec cinq secondes de marge. Du très, très grand art, une sorte de pinacle de la Formule 1 à l’ère de l’aérodynamique surpuissante où dépasser en F1 était chimérique, surtout sur le tourniquet hongrois. Une victoire qui a fait date. Une fois de plus, Schumacher a prouvé qu’il avait bel et bien l’étoffe des héros, imposant sa férule aux McLaren Mercedes. Et cerise sur le gâteau pour Ferrari, Mika Häkkinen termine sixième au ralenti, David Coulthard sauvant l’honneur de Woking en étant le dauphin du Kaiser en ce dimanche caniculaire à Budapest. L’épouvantail allemand, véritable poil à gratter de Ron Dennis, Norbert Haug et Adrian Newey dont la MP4/13 atteint la quadrature du cercle (exception faite de la fiabilité, son talon d’Achille), est remis en selle par cette cinquième victoire de la saison. Revenu à 7 points d’Häkkinen (77-70), l’ogre de Kerpen peut aborder en toute confiance la suite du Mondial, avant la treizième manche sur son tracé fétiche de Francorchamps, le toboggan des Ardennes … En bref, une prouesse tactique de haut vol signée Ross Brawn, avec à la réalisation un Schumacher qui avait chaussé ses bottes de sept lieues, tutoyant la perfection et s’attirant tous les superlatifs pour cet Everest en terme de virtuosité.

 

  • Suzuka 1998 (vainqueur Adrian Newey via la McLaren Mercedes MP4/14 de Mika Häkkinen) : le titre devient utopique pour Michael Schumacher après le tour de formation. La Ferrari F300 chauffe. Pour aérer ses radiateurs, l’Allemand gère son tour de chauffe à bride abattue. Deuxième en qualifications la veille, Mika Häkkinen la tortue laisse filer le lièvre de Ferrari pour le contraindre à patienter sur la grille de départ. Cette interminable attente va sonner le glas des espoirs du Kaiser. Le double champion du monde cale sur la grille et doit partir dernier, tandis qu’Häkkinen va partir en tête de la meute. Poursuivi par Eddie Irvine, le Finlandais reste imperturbable dans le cockpit de sa flèche d’argent, qu’il mène à une huitième victoire en 1998. Remonté jusqu’à la troisième place tel un diable dressant ses fourches caudines, Michael Schumacher doit renoncer après une crevaison, et Häkkinen remporte son premier titre mondial, le premier depuis 1991 pour l’écurie McLaren, ressuscité par Mercedes et Adrian Newey, génial gourou de l’aérodynamique.

 

  • Interlagos 1999 (vainqueur Adrian Newey via la McLaren Mercedes MP4/14 de Mika Häkkinen) : en 1998, Adrian Newey avait fait gagner une MP4/13 en profitant d’une année 1997 sabbatique. Embauché par Ron Dennis durant l’été 1997 après son départ de Williams fin 1996, l’ingénieur avait commencé chez McLaren sans se soucier de la saison en cours, laissant libre cours à son imagination féconde en vue de la révolution de 1998. Mais en 1999, Newey prouve qu’il n’a pa juste profité de cet avantage en terme de gestion de son emploi du temps. Comme au bon vieux temps de Williams Renault, l’ingénieur prodige aligne une deuxième merveille pour Woking, avec la MP4/14, qu’Häkkinen impose avec autorité sur un circuit aussi complet qu’Interlagos, qui réclame à la fois motricité, puissance, finesse aérodynamique, vitesse de pointe et souplesse …

 

  • Monaco 1999 (vainqueur Michael Schumacher sur Ferrari F399) : Schumacher domine le Grand Prix avec une classe et un brio éblouissants. Eddie Irvine complète le triomphe de la Scuderia Ferrari par un doublé princier devant le champion du monde Mika Häkkinen parti à la faute dans la descente de Mirabeau. La boîte de Pandore de l’écurie italienne explosera deux mois plus tard à Silverstone avec l’accident du Kaiser voulant dépasser son sherpa rebelle Irvine … Ce dernier a le masque et non le sourire ce jour là sur le podium monégasque, le succès de Michael Schumacher sera une victoire à la Pyrrhus par retardement. Car chaque victoire de Schumacher nourrit un peu plus l’aigreur d’Irvine qui se voit en leader d’un top team. Ce qu’il sera, de façon bien pâle, entre juillet et octobre 1999 chez Ferrari puis en 2000 chez Jaguar, une fois congédié par Jean Todt au profit d’un autre agneau sacrifié par contrat sur l’autel de la victoire, le Brésilien Rubens Barrichello. Loin de briser le totem de la Dream Team montée par Jean Todt et Ross Brawn auteur du Kaiser Schumacher et d’en modifier l’ADN, Eddie Irvine va se reprendre le boomerang en pleine face, lui qui cèdera de mauvaise grâce sa cinquième place à Magny-Cours au double champion du monde allemand, catalyseur de l’écurie italienne depuis 1996 sur le chemin escarpé vers l’Everest de la F1.

 

  • Nürburgring 2000 (vainqueur Michael Schumacher sur Ferrari F1-2000) : L’édition 2000 du Grand Prix d’Europe au Nürburgring est noyée sous la pluie dans l’Eifel. Les McLaren-Mercedes de Coulthard et Häkkinen prennent le meilleur envol mais dans ces conditions précaires d’adhérence, la sélection naturelle fait la différence, et le talent intrinsèque du Kaiser Schumacher émerge du chaos. Dans cette course darwinienne par excellence, l’Allemand domine de façon hégémonique, malgré la belle résistance du Finlandais Häkkinen, tandis que David Coulthard perdra un temps énorme sur les deux titans. A domicile dans l’Eifel, circuit le plus le proche de Kerpen après son jardin fétiche de Spa Francorchamps, Michael Schumacher jubile … C’est sa première victoire sur le sol allemand avec la Scuderia Ferrari. Six autres suivront (Grands Prix d’Europe 2001, 2004 et 2006 au Nürburgring, Grands Prix d’Allemagne 2002, 2004 et 2006 à Hockenheim). Le Kaiser se laisse même aller à une inhabituelle confidence sur la confiance qui l’habite en cette saison 2000 : Dans le passé, j’ai souvent rêvé d’arriver à Monaco avec une telle avance. Parfois, il arrive que les rêves se réalisent. En effet, l’aîné des Schumacher possède 18 points d’avance sur Mika Häkkinen (46 points contre 28). Mais le double champion du monde (1994 et 1995) oublie qu’en 1994, il écrasait encore plus le championnat du monde avant Monaco, juste après le tragique décès d’Ayrton Senna à Imola. Avec 30 points, le jeune espoir allemand d’alors menait largement les débats devant Damon Hill, dauphin avec seulement 7 points …

 

  • Spa Francorchamps 2000 (vainqueur Adrian Newey via la McLaren Mercedes MP4/15 de Mika Häkkinen) : lauréat à Budapest, Mika Häkkinen débarque à Francorchamps en tant que leader du championnat du monde. Double champion du monde en titre, le leader de Woking sait combien Spa est un circuit qui réussit à son rival allemand, Michael Schumacher qui traverse un été 2000 de jachère, aucune victoire depuis le Canada et trois abandons consécutifs (France, Autriche, Allemagne). Désireux de mettre fin à sa disette, le champion allemand de Ferrari est viscéralement attaché au tracé wallon, avec quatre victoires entre 1992 et 1997. La course part sur les chapeaux de roue et l’Allemand mène rapidement les débats, suivi comme son ombre par le Finlandais. A quelques tours du but dans la montée des Combes, en bout de ligne droite, Häkkinen offre aux téléspectateurs du monde entier des montagnes russes d’adrénaline, et porte l’estocade à Schumacher. Profitant de la présence de la BAR Honda de Ricardo Zonta à qui il prend un tour, Häkkinen fait l’extérieur au Brésilien mais aussi à Michael Schumacher qui se retrouve piégé au freinage. Ce dépassement d’anthologie offre à Häkkinen sa 18e victoire en Grand Prix, et 74 points contre 68 à Schumacher au classement du Mondial 2000. Sans victoire pour la cinquième course de rang, battu dans son fief près de Kerpen, l’Allemand sera rassuré psychologiquement avant Monza par le président de la Scuderia Ferrari en personne, Luca Cordero Di Montezemolo. Avant de boucler la saison 2000 en boulet de canon par quatre victoires consécutives (Monza, Indianapolis, Suzuka et Sepang) et de ramener le Cavallino Rampante sur l’Everest du sport automobile, tel un phénix. Avec un dépassement de très grande classe, l’épisode sinistre de Macao 1990 est vengé par Häkkinen dix ans après, le Finlandais échangeant avec son dauphin du jour quelques mots dans le parc fermé, digne d’un règlement de comptes à ciel ouvert.

 

  • Suzuka 2000 (vainqueur Michael Schumacher sur Ferrari F1-2000) : Ferrari tient enfin le titre suprême attendu depuis Jody Scheckter en 1979. A Indianapolis, Häkkinen a dû abandonner sur casse mécanique. Schumacher, vainqueur à Monza et Indy, aborde le Grand Prix du Japon en leader du championnat du monde. En cas de victoire, le Baron Rouge peut conquérir son troisième titre mondial, le premier avec Maranello, son Graal depuis 1996 et son départ de Benetton Renault. Devancé par Häkkinen au départ, l’Allemand suit le Finlandais dans ses rétroviseurs. Dans leur splendide isolement, les deux rivaux creusent un gouffre d’une seconde au tour sur leurs coéquipiers, l’Ecossais David Coulthard et le Brésilien Rubens Barrichello. Au deuxième ravitaillement, Michael Schumacher réalise sa spéciale avec Ross Brawn, profitant d’un réservoir vide et de pneus usés pour creuser l’écart décisif sur le leader de McLaren Mercedes. En sortant du stand, Schumi voit la flèche d’argent d’Häkkinen derrière lui. C’est l’euphorie mais l’Allemand ne se déconcentre pas et va chercher la 43e victoire de sa somptueuse carrière. Plébiscité meilleur pilote du monde depuis 1994 dans une F1 orpheline de l’archange Senna mort à Imola sur Williams Renault, l’homme possède l’étoffe des héros, égalant à 31 ans son idole de jeunesse, le triple champion du monde brésilien. Figure de proue de Ferrari, Schumacher réalise son plus beau saut de cabri sur le podium japonais où Jean Todt se noie dans une douche de champagne à laquelle participent David Coulthard et Mika Häkkinen, dauphin du nouveau roi de la F1. L’épouvantail allemand s’apprête à régner sur la F1, la clé de voûte étant la Dream Team montée par Jean Todt autour du quatuor Michael Schumacher – Ross Brawn – Rory Byrne – Paolo Martinelli, le manager français étant allé chercher le designer sud-africain jusqu’à sa retraite de Phuket en Thaïlande. Nourri au nectar et à l’ambroisie par les fées du destin, le talentueux pilote allemand commence un règne sans partage avec la Scuderia, qui imposera sa férule au reste du paddock jusqu’en 2004. Suzuka 2004 sera d’ailleurs l’ultime victoire de Ferrari durant les grandes années Schumacher, refermant le cycle vertueux entamé à Suzuka en 2000. La réaction de l’Allemand, recueillie par L’Equipe en mai 2004, est éloquente : J’ai encore du mal à trouver les mots justes pour décrire ce qui s’est passé après que j’ai franchi la ligne d’arrivée. C’était une telle libération ! Aujourd’hui encore, je trouve cela incroyable. C’est probablement aussi la course où j’ai le mieux conduit, avec une merveilleuse bagarre contre Mika. C’était comme si, tous les deux, nous avions aligné les tours de qualification les uns après les autres.

 

  • Silverstone 2001 (vainqueur Adrian Newey via la McLaren Mercedes MP4/15 de Mika Häkkinen) : après sa cruelle désillusions de Barcelone (trahi par sa flèche d’argent), Häkkinen file comme le vent à Silverstone, retrouvant le temps d’un week-end sa vélocité des années 1998-2000. Intermittent duspectacle, le Finlandais Volant a cependant déjà en tête son année sabbatique de 2002, qu’il convertira en retraite pour 2003. McLaren Mercedes retrouve son leader et bat clairement Ferrari, après les succès de Coulthard à Interlagos et Spielberg.
  • Nevers Magny-Cours 2004 (vainqueur Michael Schumacher sur Ferrari F2004) : la victoire restera utopique ce jour là pour le jeune Espagnol Fernando Alonso, alors que le Kaiser poursuit sa marche triomphale dans ce championnat du monde 2004. Avec panache, le champion allemand va s’offrir une victoire tactique. Goliath Schumacher va s’offrir le scalp de David Alonso avec le goût exquis du tour de magie tactique signé Ross Brawn. En 1998 à Budapest, le Baron Rouge avait joué un mauvais tour aux flèches d’argent de Häkkinen et Coulthard. Devant l’impossibilité de dépasser sur le tourniquet hongrois, Schumacher et Ross Brawn avaient décidé de changer de stratégie, changement facilité par l’abandon précoce d’Eddie Irvine durant la course magyar. Les mécaniciens et ingénieurs de la Scuderia n’avaient plus qu’à se préoccuper du seul pilote allemand, qui en passant de deux à trois ravitaillements, avait pu réussir l’impossible. Tutoyant la perfection, tirant la quintessence de son bolide écarlate, le double champion du monde était alors parvenu à l’emporter au Hungaroring, déjouant les pronostics face aux redoutables MP4/13 dessinées par Adrian Newey. Six ans plus tard, c’est Ferrari qui atteint la quadrature du cercle avec la F2004, mais Fernando Alonso semble intouchable sur le circuit de Nevers Magny-Cours, course à domicile du Losange. Comme galvanisé, le natif d’Oviedo semble proche de gagner son deuxième Grand Prix en Formule 1 après Budapest 2003, lui qui est promis au panthéon des pilotes à moyen terme, étant adoubé par les observateurs comme l’héritier de Michael Schumacher. Mais le dauphin a encore à apprendre du roi, qui va refaire le coup de Budapest 1998, en plus grand, alors qu’il aurait pu assurer la deuxième place en bon épicier. Cette fois, l’Allemand passe de trois à quatre arrêts et surprend l’Asturien. Signant une neuvième victoire en dix courses en 2004, le Kaiser cannibalise un peu plus un championnat du monde dont l’issue ne fait guère de doute, malgré la résistance relative de son coéquipier Barrichello sur un plan strictement comptable. Mais la froide analyse des chiffres ne doit pas faire oublier que le Brésilien sera toujours éclipsé par le sextuple champion du monde, clé de voûte des succès de Ferrari depuis 1996, et qui porte l’art du pilotage à haute vitesse au pinacle en 2004. La réaction de l’Allemand, recueillie par le quotidien L’Equipe en mai 2004, est éloquente : Même avec la voiture la plus rapide, on a dû livrer un rude combat et il a fallu cette stratégie spéciale pour pouvoir gagner. C’est pour ça qu’on court, essayer d’être les meilleurs … 

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2 réactions à cet article    


  • carolucem 20 octobre 2018 16:28

    Belle histoire, merci.


    • Axel_Borg Axel_Borg 21 octobre 2018 08:09

      Si le Kaiser et Adrian Newey n’ont jamais travaillé ensemble (McLaren avait tenté de recruter Schumacher pour la saison 2001), ils ont donc été en permanence rivaux.

      En 1994, l’Allemand devait affronter le quatuor Williams / Renault / Senna / Newey, pas
      une mince affaire ...

      Trop esseulé après le décès à Imola du tripole champion du monde brésilien, le Baron
      Rouge devra attendre Fernando Alonso en 2005 pour trouver vraiment à qui parler, malgré une
      belle rivalité avec Mika Häkkinen entre 1998 et 2000.

      Par la suite, Newey continuera à gagner avec Red Bull, tandis que Schumacher vivra 
      la galère d’un projet Mercedes AMG pas encore assez mature ...

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