Nul perdant ce soir-là…
L'impitoyable verdict de la compétition.
Il est parfois des rencontres sportives qui laissent le spectateur pantelant, hagard, exténué avec un profond malaise et un immense sentiment d'injustice. Non pas que le verdict soit entaché par des décisions discutables ou une malchance extrême mais parce que désigner un vainqueur semble alors une nécessité totalement déplacée.
Le combat entre les Néo-zélandais et les Irlandais restera longtemps dans les mémoires comme un sommet de ce curieux sport qu'est le Rugby. Il y a tout eu dans cette rencontre pour satisfaire les amateurs d'émotions fortes, de renversements spectaculaires, de batailles titanesques, d'envolées extraordinaires, de coups du sort et de gestes d'exception. Ce fut une orgie de passes, de plaquages, de courses, de grattages et d'affrontements. Ce fut plus encore une émotion qui ne quitta jamais l'observateur neutre et néanmoins enthousiaste.
Comment ne pas aimer le rugby quand il est porté à ce degré d'incandescence ? Comment ne pas admirer ces individus qui se lancent à corps perdu dans une bataille d'une totale férocité tout en demeurant dans une loyauté et un respect absolu de l'adversaire et de l'arbitre ? Soudain, dans le contexte du moment, ce match prend des allures de message d'espoir, de référence absolue de ce que peuvent faire des humains tant sur la pelouse que dans les tribunes.
Nul cri de singe, nul bras tendu, nul projectile lancé sur la pelouse. Une communion faite de chants et d'applaudissements, un partage entre les deux camps et les autres spectateurs. De la joie, de l'allégresse même devant la beauté d'un spectacle qui servira encore de référence des années durant. Tous ceux qui étaient au stade de France ce soir-là diront encore pendant des années : « J'y étais ! » avec un pincement au cœur.
Quant aux héros de cette épopée sportive, ils ne pourront que s'en souvenir avec des trémolos dans la voix et sans doute quelques douleurs dans le corps. Cependant pour les uns, il demeurera cette immense déception du verdict final, ce sentiment de gâchis devant un espoir qui s'est fracassé, qui a explosé devant l'impitoyable nécessité de désigner un gagnant et de condamner le perdant au désespoir.
Ce samedi soir, j'avais mal pour ces fiers soldats verts, je mesurai la détresse qu'ils pouvaient ressentir. Ce n'est pourtant qu'en assumant cette perspective que rien ne pourra jamais égaler les rencontres à élimination directe ou mieux encore les finales. Cependant, la plupart du temps, l'enjeu tue le jeu, le calcul prend le pas sur le mouvement, la rouerie s'impose pour truquer et leurrer. Il n'y eut rien de tout ça en ce sommet d'une compétition qui eut mérité pareille apothéose au terme de ce championnat du Monde.
D'autres me rétorqueront à juste titre que je fais fi de nos petits coqs alors que lorsque j'écris ces lignes je ne sais rien du drame qui se jouera le soir-même. Je sais qu'alors, je ne pourrai vibrer de la même manière, que je serai englué dans un chauvinisme contre lequel j’ai beau essayer de lutter, je ne peux pas tout à fait me départir. L'émotion sera sans doute plus forte encore mais qu'en sera-t-il de l'admiration que j'éprouvai devant le spectacle de ce match inoubliable.
J'ai éprouvé le désir de coucher sur le papier ces réflexions qui peuvent paraître dérisoires. Le sport est de si peu d'importance devant les enjeux et les menaces qui pointent leurs ombres hideuses. Pourtant, il est parfois capable de nous offrir de tels moments et ce sport en particulier, sans avoir à supporter l'adulation béate pour un dieu vivant et capricieux comme d'autres disciplines sont capables de nous imposer.
Le seul regret pour le téléspectateur que je suis demeure la persistance de ces jeux débiles et vénaux qui viennent salir l'émotion que nous vivons. Il faut malgré tout que l'argent vienne tout salir dans ce monde...
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