They will walk alone
Aulas peut se réjouir : lui qui martèle que sa Ligue 1 vaut au moins aussi cher que la Premier League anglaise a dû se féliciter de la non-qualification de l’Angleterre pour l’Euro 2008. Mais il est bien le seul : les supporters anglais, leurs chants et leur ferveur, nous manquent déjà.
« La Premier League est le championnat le plus réputé du monde. Il emploie les meilleures stars du monde et 355 joueurs anglais. On ne peut pas continuer à chercher des noises à la Premier League en expliquant que c’est de sa faute si on n’a pas des tonnes de joueurs fantastiques. » L’homme qui ouvre ainsi le parapluie s’appelle David Richards, c’est lui qui dirige la Premier League. Et au lendemain de l’élimination rocambolesque de l’Angleterre à Wembley (défaite 3 buts à 2 contre la Croatie, avec un gardien calamiteux), il se défend d’avoir participé activement et en sous-main au fiasco. « La Premier League travaille très dur pour ses centres de formation. Elle dépense 100 millions de livres par an pour entraîner ses jeunes vedettes », ajoute-t-il. Mais quel est le problème, en fait ? Le problème c’est que la presse britannique cherche des explications, ne s’est pas remis de la douche froide de Wembley et voit dans la massive présence dans les grands clubs anglais de joueurs non anglais (français notamment, mais pas seulement) une des raisons majeures de la bérézina. Le problème est justement dans le fait que le championnat anglais, très valorisé, très regardé, acheté plus d’un milliard d’euros par les télévisions de la perfide Albion, considéré par Eric Cantona (joueur du siècle de Manchester United) comme le plus grand championnat du monde, eh bien ce championnat-là n’est pas foutu de produire une équipe d’Angleterre cohérente, performante et talentueuse.
Le football anglais abrite en son sein quelques-uns des clubs les plus riches d’Europe, donc du monde. Les commissions de contrôle du championnat anglais, si elles existent, ne sont pas très regardantes quant à l’équilibre des comptes, c’est peu de le dire. Ils sont Américains, ou Russes, ils trustent peu à peu les grands clubs de la Couronne, achètent des stars mondiales et ont contribué à faire de la Premier League le plus prestigieux championnat du monde. La qualité du jeu y a gagné, indubitablement. Eric Cantona, Thierry Henry, Christiano Ronaldo aujourd’hui ont démontré aux supporters anglais qu’on pouvait gagner des matchs et des Coupes d’Europe en pratiquant un beau football, et pas seulement en s’appuyant sur une volonté de fer. Les stars non anglaises ont incontestablement servi à bonifier ce championnat, et c’est l’argent qui les a attirées. Il n’y avait donc aucune raison que les jeunes joueurs anglais ne profitent pas de cette progression. Nos jeunes joueurs français, à nous, ont pleinement profité de leurs expériences dans des grands clubs étrangers (dont certains en Angleterre) pour s’améliorer, grandir, et finalement permettre à l’équipe de France de remporter une Coupe du monde et un Championnat d’Europe à la suite, puis d’ajouter l’an dernier une finale de Coupe du monde à son palmarès. 80 à 90 % des joueurs de ces équipes de France victorieuses n’évoluaient pas dans notre modeste championnat de Ligue 1. (Ils n’y évoluent toujours pas, d’ailleurs.) Seulement voilà, existe-t-il beaucoup de jeunes joueurs anglais de talent ?
Plutôt que de se lamenter sur l’absence totale de joueurs nationaux dans l’équipe d’Arsenal, actuellement leader de la Premier League, et pratiquant de l’avis de beaucoup le plus beau football d’Europe, il faudrait se demander pourquoi aucun joueur anglais majeur n’évolue aujourd’hui dans un grand club étranger. Depuis le départ de Beckham du Real Madrid, aucune star anglaise ne joue ailleurs que chez lui. Et ce n’est pas dû au spectaculaire niveau de la Premier League, mais d’abord aux rémunérations abracadabrantesques versées à Chelsea, à Manchester ou à Arsenal, rémunérations qui convaincraient bien des stars de rester, et ensuite à un état de fait plus pragmatique : les Crouch, Campbell, Richards, Lescott, Barry ou le gardien Carson ne sont guère convoités par les grands clubs étrangers. Tous pourtant étaient sur la pelouse à Wembley face à la Croatie. Pas vraiment des foudres de guerre, pas vraiment une équipe qui fait peur. Des joueurs moyens, que seuls les grands fans de foot connaissent. Les autres sont plus familiers des Rooney, Gerrard, Lampard. On peut donc ainsi penser que l’Angleterre a été éliminée faute de moyens. Ou plutôt à cause de trop de joueurs moyens. « 355 joueurs anglais », ce n’est rien, si parmi eux vous ne comptez pas une vingtaine de pépites.
Et ce n’est pas d’hier que l’Angleterre manque ainsi de potentiel. Ses dernières participations aux grandes compétitions internationales n’ont guère marqué les esprits, le style de jeu anglais n’a plus ébouriffé les foules depuis bien longtemps. Alors que le style de jeu de certains clubs anglais, comme Liverpool, Manchester ou Chelsea, ou Arsenal aujourd’hui, a souvent enthousiasmé les foules ces dernières années. Des clubs, des équipes portées par de très grands joueurs non anglais, c’est vrai, mais il faut aussi souligner qu’un Frank Lampard, rayonnant à Chelsea, est souvent quelconque avec l’équipe d’Angleterre. La faute au sélectionneur ? Peut-être, mais plus sûrement celle du niveau médiocre des joueurs qui l’entourent. Au point qu’on se dit que même José Mourinho, « the special one » qu’on cite déjà comme successeur potentiel de McLaren, pourrait avoir du mal à composer une équipe compétitive avec de tels joueurs.
La France a démontré depuis dix
ans qu’on peut avoir une grande équipe nationale avec un championnat plus que
moyen. L’Angleterre a démontré qu’on peut accueillir un des meilleurs
championnat du monde et avoir une équipe nationale quelconque, sans âme, sans
génie. Une question de génération, pas de quoi réveiller la Reine, qui sait
qu’en football, comme ailleurs, la roue tourne vite.
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