Clipperton, un atoll français du Pacifique (1) L’île de la Passion, de toutes les passions
Clipperton bien que minuscule territoire, n’est pas seulement un caillou perdu au milieu de l’immensité du Pacifique. Ce serait plutôt, « l’île mystérieuse » du roman de Jules Verne, celle qui fait travailler l’imagination et qui reste gravée dans la mémoire des hommes, même longtemps après leur passage. Et pourtant, il n’y a eu jamais de sous-marin dans le lagon et les capitaines des unités de la Marine Nationale ne se sont jamais pris pour Nemo, même si le Général de Gaulle envisagea en son temps l’installation d’une base pour nos submersibles.
Dans cette série d’articles, de nombreuses informations sont soit reprises directement du site www.clipperton.fr soit en sont largement inspirées en particulier pour tout ce qui concerne les expéditions scientifiques, la géographie de l’île, sa flore et sa faune. Le recours aux témoignages de marins, de scientifiques, de voyageurs et de militaires ayant séjourné sur l’île donne un éclairage vécu de la perception de Clipperton. Le fichier de l’association Clipperton, Projets d’Outre-mer, (dont l’auteur est l’un des membres fondateurs) a permis de contacter certains des acteurs de cette aventure. Leurs témoignages ont servi de base de documentation et permettent de replacer l’individu dans son originalité tout en tenant compte de ses particularismes nationaux, socioprofessionnels, ethniques et culturels. Les déclarations recueillis par Jean-Yves Gaudart qui participa aux expéditions militaires des années 60, donnent une image assez fine et détaillée de ce que furent les séjours de l’armée française à cette époque. Nous y reviendrons.
Loin du cliché idyllique des paradis pour milliardaires. Clipperton, de par son exiguïté, son éloignement du continent américain et des autres îles du Pacifique, et du fait des conditions climatiques extrêmes, est peu propice au farniente, au loisir et à la récréation. Et s’il y subsiste quelques cocotiers, l’île de la Passion (nom français de Clipperton) n’est pas la première destination choisie par les voyagistes pour y amener un tourisme de luxe, malgré la tentative onéreuse et éphémère de Jean-Louis Etienne qui fit venir en 2005 un petit groupe de riches privilégiés pendant son expédition. Durant cette période Clipperton a accueilli plusieurs groupes de visiteurs selon un système de rotation d’une dizaine de jours. Au départ d’Acapulco, ils voyageaient sur un voilier, le Rara Avis, qui effectuait la liaison entre l’île et le continent. Après trois jours en mer, pour un séjour de deux jours, puis ils retournaient d’où ils étaient venus. Le lieu, méconnu des profanes, reste en revanche un point de convergence des fantasmes des grands voyageurs, des scientifiques et spécialistes de la recherche et de l’économie marine.
L’actuel engouement pour l’écologie, réel ou feint, crée un regain d’intérêt pour ce lieu désert, nouveau laboratoire grandeur nature pour de nombreuses disciplines scientifiques. Se posent encore plus ici qu’ailleurs les questions de l’impact de l’homme sur la nature et l’environnement, de la nécessité de la modernité et de l’apport technologique, de l’intégration de la problématique économique et de la rentabilisation de l’atoll par la France tout en en gardant au moins une partie des terres comme conservatoire et observatoire de la nature. Mais est-il indispensable de répéter et disserter à l’infini sur la biodiversité et le développement durable et d’en faire un projet pédagogique compulsif et incantatoire ? Ce psittacisme de circonstance tient plus de la palilalie que du raisonnement scientifique. Surtout quand on sait que la non-intervention humaine ne peut qu’aboutir à une disparation de la biodiversité du fait de la putréfaction inévitable du lagon et de la destruction des espèces végétales par les crabes. Sans intervention réfléchie et ciblée le lagon s’oriente inéluctablement vers la disparition totale de la vie en dehors de quelques algues. Contrairement à ce que veut faire croire un certain dogmatisme vert, la présence humaine n’est pas obligatoirement une catastrophe ou une calamité, mais une opportunité quelquefois pour certains territoires. Car si l’homme est plus qu’occasionnellement un fléau, un prédateur inconscient et avide et une nuisance indéniable dans certains lieux de la planète, il peut également par son savoir à la fois protéger et développer un site fragile et déshérité. La sanctuarisation du lagon de Clipperton qui le voue à une mort certaine tient plus de l’attitude quasi religieuse de ne pas toucher à la nature que de l’esprit scientifique. Mais les effets de modes sont tenaces et aller à leur encontre revient à se déclarer hérétique et profanateur aux yeux des plus jusqu’au-boutistes et doctrinaires de l’écologie.
Comme partout ailleurs, des stratégies, des projets et des écoles de pensée s’affrontent allant de la conservation totale de la nature, cheval de bataille du sectarisme écologique pur et dur, à l’exploitation forcenée des richesses de l’atoll et de ses eaux périphériques avec ses risques de pollution et de dégradation irrémédiable du site. Inutile de confirmer que l’avenir de Clipperton réside en une vision plus pragmatique que dogmatique, permettant à la fois une exploitation raisonnée des ressources, option favorable à la France, et la protection de ce site unique de l’Océan Pacifique. Mais comme partout dans le monde contemporain, les idéologies et les intérêts commerciaux prennent le pas sur le bon sens. Capitalistes sans scrupules et écologistes fanatiques sont prêts à s’affronter sans retenue et discernement alors que la simple logique devrait leur dicter le sens du compromis. Hélas, dès qu’il s’agit de richesse et de nature, les forcenés se combattent au-delà du raisonnable. Et nature sans conscience… on connaît la suite ! Malheureusement, ces nouvelles stars médiatiques sont à la défense de la nature ce que Bernard-Henri Lévy est à la philosophie, des faiseurs, des poseurs et des cuistres sans la moindre retenue et modestie. Alors que les naufragés et les premiers coureurs des mers étaient par leur détermination et sans sadisme aucun de leur part, plutôt partisans de « la philosophie dans le vouloir ».
L’atoll dans son environnement géographique
Seule possession française et même de l’Union Européenne dans le Pacifique septentrional, Clipperton, ou l’île de la Passion, se situe à 1.280 kms de la première côte continentale, celle du Mexique, au niveau d'Acapulco et à 945 kms de la première terre, la petite île de Socorro dans l'archipel mexicain des Revillagigedo au nord. Tandis que Nuku Hiva, aux Marquises, terre française la plus proche, est à 4.018 kms au sud-ouest et les îles Hawaii à 4.930 kilomètres et à plus 5.000 kilomètres de Tahiti où se trouve le Haut Commissariat de la République qui en délivre les autorisations d’accès. Enfin, Clipperton se situe à plus de 12.000 kilomètres de Paris. C’est dire si cet atoll est perdu au milieu du Pacifique, loin des axes de navigation transocéaniques !
D’une superficie de 8.9 km2 pour 1.7 km2 de terres émergées, Clipperton est un anneau corallien posé sur l'océan. Il s’agit d’un atoll fermé ovoïde de 3 sur 4 kilomètres entourant un lagon dont la profondeur maximum connue atteint les 90 mètres au « trou sans fond ». Clipperton est répertorié parmi les onze seuls atolls fermés au monde. Le lagon renferme une dizaine d’îlots présentant plus de végétation que la couronne de l’atoll car épargnés par les crabes non nageurs. Le point le plus élevé culmine à une altitude de 29 mètres, sommet d'un piton de roches volcaniques qui émerge au sud-est de l’île. La plus grande largeur de l’anneau est de 360 mètres alors que la plus étroite n’est que de 40 mètres. Il existe une piste d’atterrissage praticable de 1,2 km de long, extensible à 1,5 km après quelques travaux.
Longitude |
109° 12' 26.018" W |
Latitude |
10° 17' 31.783 " N |
Mesures effectuées lors de la pose d’une borne géodésique au cours de l’expédition « Passion 2001 » (Christian Jost).
Climat et météorologie : [i] (Voir note)
L’atoll de Clipperton (© C. Jost, CNRS PRODIG Paris)
Clipperton est une terre parmi les plus isolées. Quatrième territoire français du Pacifique, l’atoll bénéficie d’un statut administratif particulier depuis 1858. Mais longtemps contesté par le Mexique, la souveraineté française ne sera confirmée qu’en 1931 à la suite de l’arbitrage international du roi d’Italie Victor-Emmanuel III, après de longues tractations débutées en 1909 entre les deux pays. Le Mexique réaffirmera la reconnaissance de souveraineté française en 1959. Malgré cette seconde confirmation officielle, certains politiciens mexicains font régulièrement part de la revendication de leur pays sur l’île. Ils n’ont cependant pas déclenché d’action en justice internationale et encore moins militaire avec débarquement de troupes comme cela se fait encore de nos jours sur les îlots fluviaux et lacustres entre le Nigéria et le Cameroun, le Congo et l’Ouganda, sur des rochers minuscules de la mer de Chine, du Golfe Persique ou encore dans les îles Chafarinas au large du Maroc avec un planté du pavillon national comme affirmation suprême. Cela n’empêche pas la presse mexicaine de ressortir de temps à autre le serpent de mer de la souveraineté, sous l’égide de politiciens locaux dont un petit lobby à l’intérieur du Parti Révolutionnaire Institutionnel, le PRI, qui remet régulièrement la revendication sur le tapis. Il semble cependant que la malencontreuse « affaire Florence Cassez » n’ait pas entraîné un regain de nationalisme mexicain concernant la revendication territoriale sur l’atoll convoité de Clipperton. A un moment, il fût évoqué l’hypothèse de reléguer notre compatriote dans un pénitencier insulaire, mais il s’agissait probablement de celui des Iles Marias.
Au sens administratif du terme, Clipperton n’est pas un Territoire d’Outre-mer, mais un « Domaine Public de l’Etat français » (Loi n°2007-224 du 21 février 2007)[ii]. Sur le plan juridique, Clipperton est soumis à l’ensemble du droit métropolitain et la souveraineté française s’exerce en théorie sur les eaux territoriales. Notons au passage que depuis la reprise de possession par la France en 1931 aucun crime ou délit n’a été signalé sur l’atoll en dehors des infractions relatives aux droits de pêche dans la Zone Economique Exclusive et des preuves indirectes d’un trafic de drogue.
Et puis, aucun enfant n’est encore né à Clipperton sous juridiction française. Cette naissance qui lui permettrait d’acquérir la nationalité, ferait de cet éventuel nouveau citoyen le plus original de nos compatriotes et entrainerait d’un coup à la hausse le taux de natalité de ce territoire français ! Qui sera le successeur de Ramon Arnaud, né sur l’atoll en 1909 ? Sans chauvinisme aucun, il serait de bon ton qu’il s’agisse d’un citoyen français, ne serait-ce que pour éviter de nouvelles revendications territoriales.
Situation géographique de Clipperton –© C. Jost
Faune et flore
Une biodiversité très réduite
La flore terrestre de Clipperton semble se limiter aujourd'hui à quelques rares espèces du fait de la présence envahissante des crabes. On retrouve des cocotiers exclusivement sur la couronne de l’atoll. La végétation herbacée n’existe plus que sur six petits îlots à l’intérieur du lagon. On peut encore toutefois observer saisonnièrement pendant quelques jours des taches éparses de liserons près du Bois de Bougainville. On y recense des Cocotiers (Coco nucifera), espèce dominante en 2001 avec 674 stipes (cocotiers) et 168 morts ou étêtés
La faune est peu diversifiée en dehors des crabes et des oiseaux, c’est d’ailleurs l’odeur prenante du guano qui assaille l’odorat du visiteur dès son arrivée. Le rat est le seul mammifère présent sur l’île depuis l’éradication des porcs en 1968 par l’armée française, c’était pourtant le principal prédateur du crabe. Un reptile et une dizaine d'insectes et quelques arthropodes sont les autres occupants de cette île.
Le crabe
Gecarcinus planatus Stimpson envahisseur et non comestible, prédateur des œufs d’oiseaux, n’a rien du crustacé des tables festives des restaurants de fruit de mer. Métaphore animalière du cancer, il demeure la principale nuisance de l’atoll. Il est devenu le vrai roi de Clipperton ! Un roi glouton, antipathique, certes, mais régnant quasiment sans partage sur l’atoll et qui se taille « la part du crabe » sur cet atoll en l’absence de lions fussent-ils de mer.
Crabes dévorant un fou démasqué –© C. Jost
La présence des crabes est d’ailleurs ressentie dès l’approche aérienne ! Certains militaires, bien avant la mode lancée par Yann Artus-Bertrand, ont pu contempler Clipperton « vu du ciel ». Hélitreuillés depuis leur vaisseau, ils ont été impressionnés par la couleur orange du sol, celle des carapaces de crabes recouvrant l’atoll lors de leur arrivée en hélicoptère (Témoignages collectés par Jean-Yves Gaudart).
Les crabes ont été évalués à plus de onze millions d'individus en 1967 sur une superficie d’à peine 170 hectares, soit une densité moyenne de 6,5 individus au mètre carré et encore ne sont-ils pas répartis uniformément. Ils sont de nos jours toujours probablement presqu’aussi nombreux. Sans plus aucun prédateur, la population des crustacés a certainement augmenté, mais elle restera limitée, comme toute population, par les réserves alimentaires et par les lois de l'équilibre démographique. Ce qui explique les variations de recensement d’une expédition à l’autre. Gecarcinus planatus Stimpson n'existe qu'en trois points du Pacifique oriental : à Clipperton, sur l'île Malpelo au large de la Colombie et dans l'archipel des Revillagigedo, notamment sur l'île Socorro, 900 kms au nord de Clipperton
Dévastateur redoutable qui mange tout ce qu'il trouve, il est aussi un remarquable nettoyeur. Herbivore, devenu omnivore à force de désertifier l'atoll, ce crabe terrestre s'attaque aux œufs et aux poussins des fous qui nichent à même le sol. Contraints de s'abriter du soleil dans les anfractuosités et sous les rebords de croûtes détritiques en bord de lagon où, empilés les uns sur les autres, ils peuvent dépasser les 50 individus au mètre carré. Dès le coucher du soleil ils sortent de leurs abris et envahissent la couronne par millions se dirigeant vers les fous qui se regroupent alors en colonie comme pour défendre leurs petits. Ils s'attaquent aussi aux jeunes pousses de cocotiers et aux noix de coco délaissant toutefois le bois de cocotiers de Bougainville.[iii] (Voir note)
Le Porc
Les suidés ont été introduits en 1897 par les Mexicains comme source de nutritionnelle ; ils étaient encore une cinquantaine en 1952, revenus à l’état sauvage. La décision d’éradication des cochons fut prise car ceux-ci détruisaient systématiquement les plantations des militaires et du fait de leur agressivité. Le porc fut longtemps le seul véritable prédateur des crabes. L'élimination des porcs en deux étapes, 1958, puis en 1968, par l’armée française vit en contrepartie la prolifération des crustacés en l'absence de l'homme. Les deux derniers porcs présents sur l’île avaient été surnommés amicalement Arthur et Brigitte par les militaires, certains témoins ont d’ailleurs regretté qu’ils aient été abattus. Le porc mangeait en effet du crabe. De plus, leurs déjections fertilisaient le sol, encore plus que le guano. Toutefois, un seuil démographique peut être atteint et la population de crabes se mettre à décliner selon un processus naturel d'équilibre biologique. Les autres espèces, tels que les rats ou les fous, peuvent aussi contribuer pour partie à limiter la prolifération des crabes.
Le Rat
L’arrivée des rats avec les navires est le problème récurrent des îles qui en étaient exemptes. Car c’est bien connu, les rats quittent le navire, non quand il coule (pour aller où ?), mais quand il accoste ! Les rats seraient arrivés lors du naufrage d’un navire de pêche en 2000, le Lily Mary, dont l’épave est encore échouée sur le rivage. L’histoire de la cohabitation de l’homme et du rat existe depuis des millénaires, mais sur une île, elle peut se montrer problématique, car le rat s’attaque à tout ce qui de près ou de loin ressemble à de la nourriture. Il ronge, il pollue par ses déjections et s’insinue partout. Une tentative de dératisation a été effectuée lors de l’expédition de Jean Louis Etienne, mais n’a pas obtenu l’éradication totale. Le rat, omnivore et très adaptatif est un danger permanent pour l’écosystème quand il n’a pas de prédateur naturel capable d’enrayer sa prolifération.
Les oiseaux
On retrouve une quarantaine d’espèces d’oiseau sur Clipperton. Mais Le fou masqué Sula dactylatra peut revendiquer à lui seul le titre de symbole de l’île. Si Clipperton possédait un blason officiel, il est certain que cet oiseau y aurait la place principale, car d’aspect nettement plus sympathique que le crabe.
La plus importante colonie de fous masqués au monde se trouve à Clipperton.
La faune ornithologique de l'atoll est connue depuis longtemps pour être extrêmement abondante en espèces océaniques. Les Sulidés, ou Fous, dominent largement mais leur population a considérablement variée au courant des 100 voire 150 dernières années.
Sur les oiseaux de Clipperton [iv] (Voir note).
L’introduction volontaire ou accidentelle d’une nouvelle espèce animale ou végétale doit toujours entrainer une vigilance accrue afin d’éviter une catastrophe écologique. Le non contrôle de la prolifération d’une espèce peut s’avérer catastrophique à terme. Si la nourriture peut entrainer des conflits, la réintroduction d’animaux domestiques comme le porc ou toute autre espèce prolifique et adaptable doit être réalisée avec prudence et sous surveillance permanente pour la réguler. L’introduction du cerf de Java à la Réunion n’a pas été sans poser de problèmes de compatibilité avec la flore locale. Enfin, il faut toujours rester mesuré dans le traitement des espèces autochtones, afin d’éviter de réitérer leur disparition comme cela fut le cas du malheureux et débonnaire Dodo dans la même île.
L’Intérêt des animaux de compagnie, comme substitut de présence humaine a été remarqué depuis Alexandre Selkirk. Dans le cas de Georges de Caunes, la présence d’animaux qu’il avait choisis ne l’a pas épargné de la dépression créée par l’isolement prolongé. Les militaires des missions Bougainville ont introduit des chats, mais la raison officielle était de les utiliser comme goûteur du poisson pêché afin d’éviter des empoisonnements et des réactions anaphylactiques par les toxines produites par certaines espèces. En fait, les chats se sont montrés peu coopératifs et ont surtout servi de compagnie aux marins, comme jadis pour Alexandre Selkirk.
On constate une évolution régressive du milieu végétal et animal depuis 50 ans qui tend vers la désertification, avec une prédominance du crabe et du fou masqué et une disparition progressive de la biodiversité. Il est à noter que l’homme est loin d’être la cause de cet état de fait. La présence humaine, si ce n’est permanente du moins régulière et la réouverture du lagon, pourrait rééquilibrer la diversité des espèces sur l’atoll. La lutte contre l’envahissement par les crabes, par la réintroduction contrôlée des porcs pourrait relancer la biodiversité.[v] (Voir note)
La couronne de l’atoll, © C. Jost
[i] Climatologie
Le climat de Clipperton est de type tropical humide océanique équatorial avec saison sèche en principe de décembre à mars, mais de fait quasi inexistante en raison de l'humidité constante.
Les rares enregistrements correspondent à quelques périodes d'observations n'excédant pas six mois : observation américaine de 1944, six mois en 1958 par Marie-Hélène Sachet, missions Bougainville de 1966 à 1969 et quelques données éparses occasionnelles en 1980, 1997 (mission SURPACILP), 2001 et 2005 (Jean-Louis Etienne-7ième Continent).
Les conditions climatiques générales sont les suivantes :
- Les précipitations annuelles oscillent entre 3000 et 5000 mm
- Les températures varient de 26° à 29°C de moyenne mensuelle avec une faible amplitude diurne de 3 à 4°C.
- L'hygrométrie : variable selon les années : 90% de juillet à octobre, 93 à 94% de mai à juillet, pouvant descendre certaines années à 85%.
- Les vents dominants de sud-est deviennent mousson à partir de mai en arrivant du sud-ouest après avoir franchi l'équateur, force : 10-12 nœuds.
- Les cyclones : Clipperton se situe dans la zone de formation et de déplacement des cyclones et tempêtes tropicales du Pacifique nord-est. La saison cyclonique s'étend d'avril à septembre, mais des phénomènes peuvent se produire exceptionnellement en dehors de cette période. L'ensemble de la région connaît en moyenne 15 épisodes par an mais leurs trajectoires passent le plus souvent au nord-est de l'île.
[ii] Statut de Clipperton
La loi détermine le régime législatif et l'organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton » Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, l'île est explicitement mentionnée au dernier alinéa de l'article 72-3 de la Constitution de la République française. Et depuis 2007 (loi n° 2007-224 du 21 février 2007 et l’arrêté ministériel du 03/02/2008), l'île de Clipperton est directement administrée, sous l’égide du ministre de l’Outre-mer, par le Haut-commissaire représentant l’Etat en Polynésie française qui délivre les autorisations d’accès à l’île et l’octroi des droits de pêche dans la zone économique exclusive (ZEE).
Le texte précise bien cependant que l’île ne fait pas partie de la Polynésie française. La loi de 2007 indique clairement que les lois et règlements de la République s'y appliquent de plein droit. Dès lors, « les juridictions de l’ordre judiciaire ayant leur siège à Paris » sont « territorialement compétentes » (selon les principes de la loi du 6 août 1955, et le décret du 24 janvier 1979). L’effet de ce texte, qui a été validé au plan constitutionnel, a également pour effet d’inclure l'île de Clipperton dans le champ d’application des traités internationaux engageant la France.
(Source Christian Jost)
[iii] Les crabes
En l'absence de végétation herbacée sur la couronne, bien que ne supportant pas l'eau plus de dix minutes sans périr, les crabes sont aujourd'hui contraints de se nourrir des algues et phanérogames flottant sur le lagon. Ils montrent en effet une certaine capacité à être temporairement immergés, à se laisser portés par les amas d'herbes flottantes ou à les attraper avec leurs pinces à partir des bords du lagon. Les crabes de Clipperton sont aussi décrits comme non comestibles, car à la chair toxique ou, tout au moins, contenant une toxine légère qui rend malade. Les "oubliés mexicains" ne purent ainsi le consommer pour survivre.
En l'absence de comptage avant 1967, il est impossible de s'avancer sur des chiffres de populations antérieures à cette année-là, mais à la lecture des écrits attestant de plus en plus fréquemment des nuisances occasionnées par les crabes, leur nombre s’est accru dans une telle proportion que la végétation herbacée qui recouvrait 80% de la couronne de l’atoll en 1958 n’a pas résistée à leur voracité. D’ailleurs, lors des expéditions Bougainville, les militaires avaient organisé une corvée de ramassage des crabes écrasés la veille, afin d’éviter l’odeur pestilentielle dégagée par les carapaces en putréfaction.
Les observations faites en 2005 (expédition Etienne) semblent d'ailleurs aller dans ce sens. Les scientifiques mexicains, qui ont pu comparer les chiffres publiés avec les observations de 1997, parlent d'une diminution sensible de la population des crabes et surtout d'une bien moins grande agressivité. Certains avancent que les rats, dénombrés à plus de 150 et qui ont donc proliférés depuis 1997, pourraient être responsables de la diminution des crabes dont ils trouvèrent des éléments de carcasse dans les déjections de rats. Cette diminution des crabes explique aussi le retour de quelques plaques de végétation herbacée notamment près du Bois Bougainville et à la Pointe du Pouce.
[iv] Les oiseaux de Clipperton
Les différentes missions françaises ont recensé environ 13 espèces d'oiseaux, mais plusieurs espèces migratrices, donc saisonnières, peuvent faire monter ce chiffre à environ 40.
Les seules observations antérieures à 1958 concernant les oiseaux remontent à 1901 où un naturaliste, R.H. Beck, signale quelques milliers de fous de type Sula dactylatra ou fous masqués. En 1958, l'ornithologue Kenneth Stager, lors de l'expédition américaine Doldrums à laquelle s'était jointe la française Marie-Hélène Sachet, nota une "faible population de Sulidés", "de moins d'un millier d'individus", mais avec une prédominance nette des Fous à ventre blanc qui ont été les plus nombreux jusque dans les années 1980. (K. Stager, 1964).
Aujourd’hui, avec plus de 100.000 individus les Fous masqués constituent la plus importante population d'oiseaux de l'île. Pour les migrateurs, l'île de la Passion est un point de halte et/ou un lieu de nidification unique dans cette immensité océanique.
Voir aussi : Snodgrass et E. Heller. 1902. Les oiseaux de Clipperton et des îles Cocos.
Le crabe n'est pas étranger à la modification de la répartition démographique des oiseaux du fait de son rôle de prédateur naturel.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la domination actuelle du fou masqué par rapport aux autres espèces :
o la disparition de la végétation du fait des crabes a favorisé les espèces nidifiant au sol.
o les fous à ventre blanc nidifient aussi au sol, mais plus sur le Rocher, moins accessible aux crabes.
o le comportement différent des deux espèces peut expliquer l'inversion démographique des vingt dernières années entre ces deux Sulidés.
o la plus grande agressivité ou plutôt, l'attitude plus défensive du fou masqué face à un intrus tel que le crabe, tandis que le fou brun, plus farouche s'enfuit plus facilement, est un facteur explicatif d'un plus grand nombre d'œufs et de juvéniles de fous masqués arrivant à terme à l'âge adulte.
o des habitudes alimentaires un peu différentes entre les deux espèces, telle qu'une pêche moins au large peuvent aussi contribuer à expliquer ces différences (le fou masqué peut être obligé aujourd'hui d'aller jusqu'à 300 kms de la côte pour chercher sa nourriture en raison de la surpêche pratiquée dans la zone par les chalutiers industriels).
Autres oiseaux présents sur l’île
Autres Fous
o Fous à ventre blanc (Sula leucogaster nesiotes)
o Fous à pattes rouges (Sula sula)
Sternes
o Sternes fuligineuses (Sterna fuscata crissalis)
o Sternes blanches (Gygis alba candida)
Anous
o Noddis (Anous stolidus ridwayi)
o Noddis (Anous tenuirostris diamesus)
Frégates
o Fregata minorminor ridwayi
Foulques
o Fulica americana americana
Chevaliers
o Tringa flavipes
Paille-en-queue
o Phaeton rubricauda melanorhynchos
Puffins
o Puffinus Pacificus
[v] Faune et flore de Clipperton
Animaux marins :
o Le corail :
Seules 12 espèces de coraux ont été répertoriées en 2005, deux espèces seulement participent à la construction du récif.
Une explication de ce nombre réduit d’espèces est peut-être le résultat de la présence du courant El Nino qui provoquerait la mort de nombreuses variétés de coraux sur son passage par réchauffement des eaux. Clipperton est maintenant intégré dans le Réseau mondial de surveillance des récifs coralliens (G C R M N ou Global Coral Reef Monitoring Network).
o Les mollusques :
Environ 48 espèces de mollusques dont 5 endémiques ont été recensées.
o Les poissons :
Environ 110 espèces de poissons ont été recensées.
Les requins sont en voie de disparition, conséquence de la surpêche des Chinois, Japonais et Coréens avides d’ailerons.
Il est possible de voir des raies manta, des dauphins, des mérous, mais surtout des caranges, d’autres variétés moins nombreuses sont présentes en périphérie de l’atoll.
Les deux espèces du lagon, avec des modifications d’adaptation dues à l’acidification progressive du lagon, ont à ce jour quasiment disparu.
o Quelques tortues marines, qui venaient autrefois fréquemment pondre sur l’atoll, ont été aperçues près des côtes.
La flore
Les cocotiers juvéniles inférieurs à 1mètre, dont la survie reste subordonnée à l'activité des crabes n'ont pas été recensés en détail, mais sont entre 2000 et 3000 pièces. (Extrait du rapport scientifique de la mission "Passion 2001").
En dehors de cocotiers, la flore est peu diversifiée (une dizaine d’espèce de plantes), la plupart des espèces supportent mal les tempêtes, mais surtout la présence massive des crabes, redoutables prédateurs. Aucune des tentatives de cultures vivrières implantées par les Mexicains et l’armée française n’a résisté après le départ des humains. Et malgré son nom, le fruit de la passion, ou maracuja, pourtant originaire du continent sud-américain n’a jamais réussi à pousser sur Clipperton.
On recense cependant une végétation herbacée dans les petits îlots du lagon, à l’abri de la voracité des crabes. Quelques liserons subsistent en taches éparses sur l’atoll. Cependant, du fait de la réduction de la population des crabes, les missions de 2005 (J.L.Etienne) et 2008 (radioamateurs) ont constaté des plaques plus abondantes de végétation que lors des expéditions de 1997 et 2001. L’évolution régressive des espèces végétales constatée depuis 1966, évoluant vers la désertification progressive, n’a pas encore été inversée.
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