Dire Daoua : l’ancienne ville française d’Ethiopie
Voyage vers l'Est : deuxième partie d'un périple vers l'est de l'Ethiopie qui nous fait découvrir l'ancienne ligne de chemin de fer d'Addis à Djibouti construite par les Français, la ville francophone de Dire Daoua et la fameuse cité de Harar, chère au poète Arthur Rimbaud.
En continuant sur la route de Dire Daoua (ou Dire Dawa), on peut visiter un village de pasteurs semi-nomades Afar qui expliquent aux visiteurs étrangers leur mode de vie séculaire, ou bien faire le trajet de quelques heures d'une traite. C'est ce que nous fîmes pour arriver à Dire Daoua en début d'après-midi et pouvoir s'y promener à loisir avant de poursuivre vers Harar le lendemain.
Dire Daoua est la deuxième ville d'Ethiopie même si elle ressemble plus à une petite ville de province tranquille. La plupart des guides anglophones la mentionne à peine, n'y voyant guère d'intérêt touristique pour les visiteurs pressés par le temps, à part peut-être le fait qu'il y ait une ligne aérienne directe pour Addis. Pour les résidents -surtout Européens- d'Addis, Dire Daoua est une bouffée d'oxygène avec ses larges avenues bordées d'arbres, ses trottoirs piétons et ses vieilles maisons pleines de charme. Dans son architecture, c'est certainement la plus européenne des villes ethiopiennes et pour cette raison, ils s'y sentent à l'aise. Je pris moi-meme beaucoup de plaisir à y déambuler en toute liberté, activité rare à Addis.
Un peu d'histoire
Pour les Français surtout, Dire Daoua est pleine de références historiques car elle fut pendant presque un siècle le pouls du Chemin de Fer franco-ethiopien qui devint le Chemin de Fer Djibouto-ethiopien après l'indépendance de Djibouti en 1977 et dont les débuts furent plutôt mouvementés. La construction des 785 kilomètres de ligne qui dura presque 20 ans démarra en 1897, un an après la victoire d'Adoua, pour se terminer en 1917 alors que la Première Guerre Mondiale tirait à sa fin. Un certain nombre de conflits d'intérêt empêchèrent les travaux d'avancer aussi rapidement que prévu. Notamment, les nobles locaux s'y opposèrent par crainte de l'inconnu d'une part mais aussi poussés par les Britanniques qui s'y étaient prononcés contre, craignant une réduction du trafic commercial vers le port de Zeila en Somalie britannique. A l'époque la Somalie était partagée entre la France (aujourd'hui Djibouti), la Grande Bretagne qui controlait le territoire de la Somaliland actuelle, l'Ethiopie à qui appartenait le Galla land, territoire restreint au sud de la Somalie Land, et l'Italie qui gouvernait les territoires autour de Mogadishu. C'est cette ancienne division qui est encore à l'origine des problèmes politiques rencontrés en Somalie aujourd'hui. Un accord fut finalement conclu et la ligne, gérée par la nouvelle Compagnie des Chemins de Fer Ethiopiens, put être terminée.
La langue française à Dire Daoua
Cette société employa en son temps des générations de cheminots qui s'occupaient de l'entretien de la voie et des locomotives et qui devaient utiliser le français comme langue de travail. Pour cette raison, le français était une langue très prisée à Dire Daoua parce qu'elle ouvrait la porte à une carrière garantie au Chemin de Fer. Les cours étaient dispensés (et le sont d'ailleurs toujours) par l'Alliance ethio-française de Dire Daoua, devenue depuis une des grandes institutions de la ville. D'une école primaire au départ, elle se transforma en institution linguistique et culturelle pour tous, avec à sa tête Monsieur Josef, le fameux directeur en place depuis presque 30 ans. Lors de notre visite, la cour de l'Alliance était bondée de monde, principalement des hommes venus pour assister à la retransmission télévisée d'un match de foot (je ne sais plus lequel). La scène en valut la peine. Dans la cour, des rangées de chaises d'étudiant étaient alignées devant une estrade sur laquelle était placée une minuscule télévision depuis longtemps dépassée par les nouvelles technologies et posée sur une table toute simple pour pouvoir être vue de loin. Je n'eus pas l'honneur de rencontrer Monsieur Josef, certainement absent un samedi après-midi.
Nous visitâmes cependant la fameuse gare de Dire Daoua construite par un architecte français sur le modèle d'une gare de province française des années 1920 et devenue un musée depuis l'interruption de la ligne en 2008. Locomotive à vapeur, wagons, machines, morceaux de voie ferrée, manuels d'entretien, tout y est expliqué en français. Devant la gare, je rencontrai un vieux cheminot qui s'adressa à moi en français voyant mon intérêt pour ce lieu qui représentait toute une vie pour lui. Il me raconta qu'il fut forcé de prendre sa retraite (le concept de retraite existe à peine en Ethiopie) lors de la fermeture de la ligne, mais qu'il espérait fort qu'elle réouvrît sans trop tarder même s'il n'en ferait plus partie. La ligne est actuellement en cours de rénovation financée par des fonds de l'Union Européenne et du governement chinois. Je compris alors que ce cheminot, traînant toujours autour de la gare, me parlait d'un monde révolu qui, même avec la ré-ouverture d'une ligne modernisée, ne reviendrait pas. Le monde d'une francophonie en voie de disparition. Avec une nouvelle gestion de la ligne, le français ne sera plus nécessaire et les futurs cheminots, certainement moins nombreux à cause des améliorations techniques apportées, se contenteront de l'anglais plus communément répandu en Ethiopie.
à suivre
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