Grèce, un an plus tard
L'année dernière, nous avions fait un voyage à Corfou et j'avais écrit un article pour cette même rubrique d' Agoravox. Cette année, nous sommes allés en Grèce continentale, avec un itinéraire classiquement touristique : Delphes, mont Pélion, les Météores, Ioannina... Ceci pour les paysages et les monuments, bien sûr, mais aussi en espérant un aperçu direct, aussi fragmentaire soit-il, de ce qui s'y passe. J'aborde ici ces deux volets, en y joignant quelques réflexions personnelles ; malheureusement, elles ne peuvent pas être très optimistes.
Les Météores : évitons les préjugés !
Nous n'avions pas prévu d'y aller. Je m'attendais en effet à un énorme déballage de boutiques pour touristes, à l'instar de Lourdes ou Lisieux, et à un pesant business ecclésiastique.
Eh bien, ce n'est pas du tout cela. Et ces lieux sont magiques !
Les photos des guides ne nous avaient pas donné une très bonne idée du site. Les formes de ces rochers sont tourmentées, leur aspect est très différent selon l'angle d'où on les regarde et une végétation abondante donne tout leur charme aux promenades et randonnées.


La visite du site et celle des monastères ne sont pas indissociables. Par contre il y a certains chemins d'accès aux monastères qu'il serait dommage de ne pas avoir suivis. Ils descendent (parfois) et montent (toujours), mais sont très bien aménagés et entretenus. Cela vaut mieux étant donnée la foule qui s'y agglutine à certaines époques. Une exception : deux couples, manifestement VIP, ont eu le droit de venir par le téléphérique du monastère d'Aghia Triada, accompagnés d'un pope qui était venu à leur rencontre, évitant ainsi la montée à pied. Tant pis pour eux !
La visite des monastères pose cependant un petit problème. Ce n'est pas le droit d'entrée assez modique qui y est perçu et qui couvre plus ou moins les frais occasionnés. Il s'agit des contraintes vestimentaires. Bien qu'étant théoriquement au courant, nous nous sommes fait piéger
Il y a deux cas de figure, signifiés par des panneaux très visibles à l'entrée ds chemins d'accès : le cas général, très strict, et celui du monastère de la Saint Trinité (Aghia Triada), nettement plus compréhensif.
Un des monastères interdit même aux femmes francophones de porter « des pantalons ou des pantaloons ».
Il y a bien une solution pour les femmes en pantalon. Des tabliers enveloppants, formant jupes, sont prêtés. Le hic, c'est la transpiration des utilisatrices précédentes. Après un très court essai de ce palliatif, nous sommes allés visiter le seul monastère qui se montre arrangeant.
La religion est très visible
En Grèce les symboles religieux sont partout, surtout au bord des routes.
Et pas seulement au bord des routes : dans la ville portuaire de Volos, il y a une petite chapelle orthodoxe juste à côté de l'entrée de l'hôpital, en contrebas de la rue.
Cela signifie sans doute quelque chose quant à la place de la religion, mais jusqu'à quel point ?
En tout cas, nos controverses sur la laïcité et le voile islamique m'ont brusquement paru bizarres.
La politique se fait, elle, discrète
A Corfou, l'année dernière, on voyait de nombreuses affiches de Syriza, du KKE et parfois de droite. il est vrai que Corfou était un fief électoral de Syriza. Rien de pareil actuellement. Je n'ai remarqué en tout et pour tout qu'un bombage du KKE (parti communiste) le long de la route de Delphes à Lamia, qui mettait en cause l'union Européenne, et des affiches avec les photos de quatre politiciens locaux, probablement de droite, dans la station balnéaire de Kamena Vourla.
Quant à Syriza, ou d'ailleurs à l'Unité Populaire (dissidence de gauche de Syriza), plus rien !
Ioannina, à cause d'Alexandre Dumas
Ayant lu Le comte de Monte-Cristo (« On nous écrit de Janina »), nous avons voulu voir l’île du lac où Ali Pacha s'était réfugié. Le monastère où il s'était installé a été transformé en musée Ali Pacha.
C'est le clou de la visite d'une ville par ailleurs intéressante. Mais attention : les attrape-touristes sont redoutables, car les habitants de cette île vivent essentiellement des visiteurs.
Delphes : archéologie, bourg pour touristes et oliveraies
Delphes est un des sites archéologiques les plus visités de Grèce. Il l'est particulièrement par les Français. C'est d'ailleurs un des rares endroits où on connaît largement notre langue et où il y a des explications en français.
Les guides détaillent très suffisamment ce qu'il y a à voir ; n'y ajoutons rien.
L'agglomération, assez isolée, n'est qu'un gros bourg.
Entre Delphes et la mer, il y a depuis l'antiquité une grande étendue d'oliveraies, la « vallée des oliviers sacrés ». Et le contraste est total entre le gaspillage que promeuvent les boutiques à touristes, qu'il n'y a pas lieu de reprocher à ceux qui en vivent maigrement, et le soin mis depuis toujours à utiliser l'eau au mieux pour l'irrigation.
...
La misère ne saute pas aux yeux
Si la pauvreté est apparente (elle l'a toujours été), la misère n'est pas évidente dans les villes que nous avons traversées. On peut quant même voir un hommes assis sans rien faire sur un muret, le visage absent, ou une vieille qui récupère un minuscules fagot de branchettes et nous fait un grand sourire...
Car toutes les villes de Grèce sont gravement appauvries : fermeture de commerces et d'ateliers, chômage de masse, baisse des salaires, dégringolade des retraites.
C'est sans doute un peu moins vrai là où on vit principalement du tourisme ou de l'agriculture.
Et pourtant, la Grèce n'a rien d'un pays sous-développé. Le réseau routier est bien entretenu et parfaitement signalisé. Le long des grands axes, on voit de nombreuses entreprises moyennes, mais beaucoup certainement sont arrêtées, et quelques-unes flambantes neuves, probablement des filiales de groupes étrangers. Et le système scolaire est d'un très bon niveau.
A noter qu'il n'y a presque plus de ces maisons où des groupes de ronds à béton émergeaient de terrasses inachevées. C'était en effet le moyen privilégié d'échapper à l'impôt foncier, mais cela ne marche plus. L'esthétique y gagne et probablement l'habitat aussi.
J'avais lu que les Grecs auraient même renoncé à une de leur principales activités sociales : la réunion des hommes le soir devant les cafés pour discuter. En semaine, ceux-ci semblent en effet un peu calmes. Par contre, le dimanche soir, à Kalampaka, toutes les terrasses débordaient d'hommes qui discutaient. Quand nous nous en sommes étonnés, on nous a répondu : « Oui les Grecs se réunissent encore dans les cafés le dimanche soir, quitte à partager une bouteille pour dix... C'est le seul plaisir qui leur reste. ils continueront même quand il n'y aura plus rien. »
La pauvreté dégrade aussi le lien social
Nous avons aussi entendu : « C'est devenu terrible. La jalousie est partout. Dès que quelqu'un achète quelque chose, « Ah tu as encore bien les moyens, toi ! ». La solidarité méditerranéenne existe encore un peu : on peut toujours demander un oignon ou une tomate à un voisin. Mais les relations sont devenues très difficiles. »
A contrario, c'est notamment à Kifisia, la banlieue chic d'Athènes, que nous avons rencontré l'hospitalité traditionnelle des Grecs. Égarés, nous demandons le chemin de notre hôtel à un passant qui parle anglais mais ne connaît pas l'hôtel. Il en interroge un autre qui ne parle que grec mais connaît, lui, cet hôtel. Ce dernier arrête la circulation pour nous permettre de faire demi-tour, puis monte dans la voiture pour nous guider, rejoint par sa compagne qui parle français. A l'hôtel, impossible de se garer, mais le couple négocie que l'employé de la réception gare notre voiture à un emplacement plus ou moins interdit, à la place de sa propre voiture.
Comment en est-on là ?
Plutôt que de répéter ce qui a déjà été souvent écrit, renvoyons à une bonne analyse sur le site en français de l'Unité Populaire :
https://unitepopulaire-fr.org/2016/04/23/la-veritable-histoire-de-leurozone/
La Grèce doit en effet verser, principalement à des organismes internationaux qui ont pris à leur compte les créances risquées de la Grèce envers les banques étrangères, le montant énorme de 3,5 % de son produit intérieur brut. Ceci pour payer des prêts qui ont massivement profité aux groupes étrangers, quand leur montant ne se retrouve pas sous forme de dépôts dans ces mêmes banques !
Un exemple : nous avons pris entre Panagia et Ioannina l'autoroute A2. Ce tronçon traverse une chaîne de montagnes et c'est une succession presque ininterrompue d'ouvrages d'art. Pour cette autoroute, il y aurait environ 54 Km de tunnels dans chaque sens. Elle a forcément coûté très cher. Des intérêts français ont d'ailleurs eu une part appréciable du gâteau. Or elle dessert une région peu peuplée et peu active économiquement ou touristiquement. Elle a certes un rôle important de désenclavement, mais le trafic est visiblement faible. On peut douter que cet investissement soit rentabilisé un jour. En revanche, il a appliqué la politique « tout autoroutes » de l'Union européenne, laquelle correspond elle-même aux intérêts commerciaux des groupes internationaux. Le titre d'une publication antérieur à sa construction l'illustrait : « Le projet Egnatia Odos en Grèce. Un axe d'importance européenne ».
Quant au peuple grec, il paye le capital, les intérêts et... les fuites de capitaux.
Des leçons pour nous Français
L'année dernière, j'étais revenu de Corfou modérément optimiste. C'était l'époque où Syriza semblait encore capable de tenir la dragée haute à l'U.E. Et, qui sait, la Grèce allait peut-être nous rendre l'immense service de déclencher le début de la fin de cette dernière ?
Ces illusions sont bien finies. Non seulement la Grèce est rentrée dans le rang, mais elle fait maintenant du zèle pro « européen » pour essayer de ralentir un peu l'étranglement implacable qu'elle subit.
Bien que le gouvernement Tsipras aie fait des choses utiles et se soit efforcé de limiter les dégâts, il a globalement échoué. Alexis Tsipras était certainement sincère et croyait à ses choix. Maintenant, il prend des coups de partout et n'a plus d'avenir politique.
La droite va revenir au pouvoir.
Une leçon à méditer pour ceux, malheureusement très nombreux chez nous, qui croient qu'on peut s’accommoder avec la dictature des grands intérêts financiers, dictature que l'Union Européenne a pour raison d'être de relayer.
On ne dîne pas impunément avec un diable, même avec une longue cuiller.
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