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Accueil du site > Culture & Loisirs > Voyages > Le Rwanda, vingt ans après

Le Rwanda, vingt ans après

Cette semaine a marqué la triste commémoration du génocide contre les Tutsis au Rwanda il y a exactement vingt ans. J'ai eu l'occasion il y a quelques mois de me rendre à Kigali, la capitale Rwandaise, pour documenter des projets de développement agricoles financés principalement par l'ONU et me rendre compte à quel point ce génocide est resté présent dans le subconscient collectif.

Kigali est aujourd'hui l'une des capitales africaines les plus agréables à vivre, la ville est bien organisée avec une planification urbaine bien pensée, ses magasins et supermarchés sont bien fournis, le trafic automobile est réduit au minimum, elle est très peu polluée et surtout, elle est extrêmement propre. Pas de déchets apparents le long des trottoirs, pas de poubelles débordantes et aucun sachet en plastique nulle part, ils sont interdits. Le Rwanda, pays aux mille collines, est devenu en quelque sorte la Suisse de l'Afrique où tout fonctionne. Le pays a mis vingt ans à se remettre du traumatisme provoqué par le génocide, au cours duquel une moitié du pays en tua l'autre, et à se reconstruire en essayant d'oublier ou plutôt de pardonner. J'ai d'ailleurs senti chez les Rwandais que j'ai rencontrés, surtout les jeunes, encore enfants à l'époque du génocide, une volonté très forte de tourner la page et de reconstruire leur pays pour le bien commun, laissant de côté leurs motivations personnelles.

Je ne parlerai pas ici du gouvernement autocratique de Paul Kagame, au pouvoir depuis presque 20 ans, il génère suffisamment d'analyses politiques et économiques dans la presse internationale, mon but est plutôt de relater mon expérience personnelle dans un pays où la douleur est encore présente, même si diffuse ou camouflée. En voyageant dans le pays, où l'agriculture en terrasse est une des spécificités géographiques, j'ai pu comprendre à quel point tout le monde fut atteint. Dans les zones rurales les plus démunies, chaque famille a une ou plusieurs tombes où reposent leurs victimes du génocide. Pacifique Musabyimane, une jeune femme de 25 ans, devenue orpheline lors du génocide, élève à son tour sept orphelins de sa communauté villageoise. Elle est aujourd'hui la bénéficiaire d'un programme de développement assez répandu au Rwanda qui consiste à faire don d'une vache aux paysans très pauvres. En guise de remboursement, ils doivent passer la première femelle issue de cette vache à une autre famille démunie. Cette vache leur permet d'avoir des proteines animales par le lait et du fumier pour fertiliser leur lopin de terre et augmenter ainsi leur production de légumes. La deuxième famille bénéficiaire passe à son tour sa progéniture à une autre famille, sélectionnée pour son manque de ressources, créant ainsi une chaine de solidarité entre les familles les plus démunies de la communauté. Lors de ma visite, Pacifique Musabyimane me montra où sont enterrés ses parents à côté de sa maison. Seul un amoncellement de terre brute, placé à côté du petit jardin potager et monté d'une croix précaire faite de deux morceaux de bois, indique la présence des deux tombes. Pacifique vit dans la région de Kirehe dans le sud-est du pays, tout près de la frontière avec la Tanzanie. Cette proximité permit à un grand nombre de Tutsis de se réfugier au-delà de ces confins et d'échapper ainsi à une mort certaine.

Tout près de son village, j'ai eu l'occasion de visiter le mémorial de Nyarubuye, ancien monastère et église catholique qui se transforma en bain de sang où plus de 50.000 personnes furent torturées avant d'être cruellement assassinées. Ce site est devenu l'un des huit mémoriaux nationaux du génocide. Le guardien qui me fit visiter le musée, ouvert depuis peu, m'expliqua qu'il restait là, dans cet endroit, parce que toute sa famille y reposait et qu'il préférait être près d'eux. Il eut du mal à contenir son émotion, tellement la plaie était encore vive. Dans la salle principale du petit musée, une multitude d'os et de crânes humains étaient empilés sur de longues tables. Sur une autre table juste à côté, tous les vêtements et chaussures que portaient les victimes formaient un tas anonyme pour ceux qui ne les avaient pas connu personnellement. Ces vêtements permirent justement d'identifier les victimes. Il me montra que les crânes gisant là étaient fracturés, signe des tortures endurées par ces mêmes victimes, à qui on brisait la tête à coups de marteau alors qu'elles étaient encore vivantes. Il passa ensuite aux rudimentaires instruments de torture utilisés, surtout gynécologiques, qui me firent frémir. Il m'expliqua ensuite qu'une fois torturées, les victimes étaient noyées ou étouffées la tête la première dans les latrines. Une fois de plus, les leçons du passé ne servent à rien, surtout pas à ce que d'autres horreurs de ce type ne se reproduisent. Les Tutsis étaient devenus les victimes d'un meurtre généralisé contre leur ethnie et uniquement à cause de leur ethnie. Dans ce massacre sanglant, plus rien n'arrêtait les Hutus. Même les statues religieuses de saints étaient décapitées et démembrées parce qu'on pensait qu'elles ressemblaient aux Tutsis.

Aujourd'hui, le pays a une forte volonté de regarder de l'avant. Les projets agricoles mis en place par le gouvernement avec l'aide de la communauté internationale fonctionnent mieux qu'ailleurs justement à cause de ce désir de reconstruction physique et morale.

 

 

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2 réactions à cet article    


  • aubance aubance 14 avril 2014 22:03

    On parlera plus tard des 7 millions de mort du Kivu. On peut toujours se réjouir aprés les massacres de n’avoir pas été emporté avec eux.


    • leypanou 15 avril 2014 09:45

      Affirmer : «  Les Tutsis étaient devenus les victimes d’un meurtre généralisé contre leur ethnie et uniquement à cause de leur ethnie. » est tout de même un peu réducteur et ne tient pas compte de l’historique du pays.

      En tout cas, cet article donne une autre vision des choses concernant les Tutsis victimes.

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